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Territoires palestiniens

Blog-notes de Ramallah (2)

Derrière le mur : chroniques de la vie quotidienne dans les Territoires palestiniens, par Karim Lebhour.

Samedi 30 septembre
Un hôtel dans le désert

(Photo : Karim Lebhour/RFI)
(Photo : Karim Lebhour/RFI)

Hôtel Intercontinental de Jéricho. Quelques hommes en costume fument une cigarette dans le lobby, à l’abri des regards et des rigueurs du Ramadan. En deux jours, ce sont les seuls clients que je croise. Seules cinq chambres sont occupées sur les 181 disponibles. Le réceptionniste hausse les épaules: « C’est la saison creuse ». En fait, la saison creuse dure depuis six ans pour cet hôtel de classe internationale, le seul des Territoires palestiniens avec le Jacir Palace de Bethléem. L’Intercontinental, ses marbreries orientales, son Casino et sa piscine hollywoodienne, a ouvert ses portes à l’entrée de Jéricho, dans le désert, en juillet 2000. Le tourisme battait des records et malgré les tensions, la paix semblait encore à portée de main. Le 28 septembre, la seconde Intifada éclatait. « Pendant les trois mois avant l’Intifada, on a eu taux d’occupation de 85% et puis plus rien : 0% ! Jusqu’en 2004, Jéricho était complètement fermée. » se désole le directeur. Colin Powell et Condolezza Rice ont tenu ici des négociations avec des officiels palestiniens. Laura Bush y a passé quelques heures. Aujourd’hui, au prix cassé de 70 dollars la nuit, le directeur vise surtout la clientèle des groupes de pèlerins qui visitent la Terre Sainte. De quoi couvrir les frais d’entretien et de personnel en attendant des jours meilleurs. Le Casino, qui attirait de nombreux Israéliens, a fermé dès les premières heures de l’Intifada. On ne joue pas à la roulette quand la nation est en deuil. L’hôtel, lui, reste ouvert, comme un symbole de la vie « d’avant ».


Lundi 25 septembre
Le diable est dans les détails

C’est le genre de petites choses qui compliquent la vie. Depuis vendredi, les Territoires palestiniens sont passés à l’heure d’hiver. Israël (et Jérusalem) ne le fera que le 1er octobre. Quand il est 8h à Ramallah, il est donc 9h à Jérusalem, à 15 km de là. Un vrai casse-tête pour les rendez-vous et une situation bouffonne pour les milliers de Palestiniens qui vivent et travaillent entre les deux villes.

Cela vaut aussi pour les réseaux de téléphones portables. Trois réseaux se partagent le marché : Cellcom et Orange (israéliens) et Jawwal (palestinien). Pendant longtemps, les réseaux israéliens et palestiniens n’étaient pas compatibles. Depuis peu, il est désormais possible de joindre un Jawwal à partir d’un téléphone Orange ou Cellcom et vice-versa, mais le prix de l’appel est très prohibitif. Pour les SMS en revanche, la réception est aléatoire. Presque tout le monde possède donc deux, voire trois téléphones (et autant de factures), comme un rappel que, décidemment, nous vivons dans une situation bien étrange.  


Samedi 23 septembre
La nuit du doute

Retour de Gaza sans encombre. Je partage le taxi vers Jérusalem, avec une femme de Khan Younès qui a obtenu une autorisation pour se faire opérer dans un hôpital israélien. Elle a une soixantaine d’années et c’est la troisième fois de sa vie qu’elle sort de la bande de Gaza. Le chauffeur, palestinien de Jérusalem, lui n’a jamais mis les pieds à Gaza. Ils vivent à quelques dizaines de kilomètres de distance, mais ils ignorent tout de la vie de l’autre. Je mesure ma chance de pouvoir passer d’un monde à l’autre.

Le soir venu, commence la « nuit du doute », pendant laquelle les musulmans observent le ciel pour distinguer la fin du dernier croissant de lune, qui doit décider du début du mois de Ramadan. Le croissant est là. Le jeûne commencera ce samedi. En Israël, c’est Rosh Hashanah, le nouvel an juif, qui vient de commencer. Hasard du calendrier, cette année les deux fêtes tombent en même temps. Dans la vieille ville de Jérusalem, la police a décidé de réserver certaines rues aux Juifs et d’autres aux Musulmans pendant toute la période des fêtes. Histoire qu’ils ne se croisent pas.


Jeudi 21 septembre
Should I stay or should I go ?

Gaza bruisse de rumeurs. Une opinion au vitriol publiée par Le Figaro et reprise par Al-Jazeera, dans laquelle un prof de philo décrit le prophète Mahomet comme un « pillard, massacreur de juifs et polygame » enflamme les esprits. Le téléphone sonne dans ma chambre d’hôtel. Le représentant du consulat français prévient : les caricatures danoises, les propos du pape, à chaque fois des factions palestiniennes ont violemment réagi et cette fois, les journalistes français pourraient être la cible.

A la terrasse du Deira, où descendent de nombreux journalistes, l’inquiétude monte. La prise d’otage des journalistes de Fox News, le mois dernier, a marqué les esprits.  Les services français qui n’ont aucune envie d’avoir à gérer une prise d’otage à Gaza se font pressants. Les Français présents à Gaza ont été évacués et nous sommes vivement invités à quitter le bande de Gaza. Une collègue photographe se laisse convaincre et elle est raccompagnée en voiture blindée au passage d’Erez. Je suis à Gaza pour assurer une formation sur « les bases du journalisme radio » et puisque je dois passer la journée à l’abri d’un studio, je décide de rester.

Toute la journée, je traîne une sourde angoisse. J’ai l’impression d’avoir une cible dans le dos. Je demande à l’hôtel d’effacer mon nom du registre des entrées. Je refuse une invitation à parler sur une radio palestinienne. Je ne fais appel qu’à des taxis que je connais. Dans une bande de Gaza livrée à la rivalité brutale des factions armées, difficile de savoir où se termine la prudence et où commence la paranoïa. Tout ça à cause de quelques lignes écrites à des milliers de kilomètres de là, par un professeur de lycée qui ne représente que lui même.

Ce soir, je suis le seul Français à Gaza. Pas pour longtemps. Je vais partir demain, un peu plus tôt que prévu, avant la prière du vendredi et les manifestations qui ne vont pas manquer de se produire. Le Consulat m’a rappelé deux fois. Finalement, je ne suis pas mécontent d’appartenir à un pays qui se soucie de la sécurité de ses ressortissants. Cette nuit, je ne suis pas sûr de vraiment bien dormir. En plus, il fait une chaleur de bête et la clim’ ne marche pas.


Mercredi 20 septembre
L’information piégée

Ce matin, un même titre : « Une femme enceinte meurt à un check-point », attire mon attention sur le site du quotidien israélien Haaretz et sur celui de l’agence de presse palestinienne Wafa. L’histoire qui suit, en revanche, est très différente.

Sur Wafa on peut lire que « Bushra Sultan, 27 ans, enceinte de six mois, est morte au check-point de Za’tara, à l’est de la ville de Salfit, alors que les soldats israéliens ont délibérément arrêté l’ambulance et l’ont empêché de la transporter à l’hôpital ». L’agence palestinienne ajoute que la jeune femme est « mère de deux enfants, dont un est handicapé » et que « selon le ministère la Santé, le mois dernier, 68 femmes enceintes ont été obligé d’accoucher à un check-point militaire israélien, causant la mort de quatre d’entre elles. »

Haaretz, de son côté écrit : « [La jeune femme] a dit aux soldats qu’elle ne se sentait pas bien et avait besoin de voir un docteur dans la ville de Naplouse, rapporte l’armée israélienne.  Une unité médicale de l’armée s’est précipitée sur les lieux (‘rushed to the scene’)», arrivant en quelques minutes, a dit l’armée israélienne. Une ambulance palestinienne a également été appelée. (…) Malgré les soins  prodigués, la femme est morte. » L’article se termine sur une citation du chauffeur de l’ambulance : « Personne n’est responsable de ce décès puisque la femme est arrivée au check-point dans un état critique ».

Le lecteur de Wafa retiendra donc que des soldats inflexibles ont laissé mourir une femme palestinienne enceinte, celui de Haaretz que l’armée a, au contraire, fait tout son possible pour secourir la jeune femme. Cet exemple illustre bien toute la difficulté d’informer honnêtement sur ce conflit.

Côté palestinien, la tendance à la surenchère est proverbiale et les rumeurs trop souvent érigées en information. Le mois dernier, j’interrogeais à Gaza un chirurgien de l’hôpital Shifa sur l’apparition de blessures et de mutilation très profondes tendant à prouver que l’armée israélienne a utilisé pendant l’opération « Pluie d’été » des armes interdites par les conventions internationales. Pour appuyer ses dires, le chirurgien m’assurait avoir trouvé dans le corps d’un blessé un éclat d’obus portant la mention « For experiment only » (Seulement pour expérimentation). Alors que j’insistais sur ce détail, il a finalement admis en avoir, en fait, « entendu parler par un collègue ».  

Dans son livre Les emmurés, Sylvain Cypel, journaliste au Monde, dénonce « la tendance des médias israéliens à reprendre sans guillemets les communiqués de Dover Tsahal (service de communication de l’armée, ndr) », et le  lexique forgé par l’état-major dans lequel  « un bouclage estlevé’, une circulationrétablie’ (…)  alors qu’aucun bouclage n’est jamais levé’, tout au plus est-il relâché. » Gideon Levy, correspondant de Haaretz dans les Territoires, note non sans humour : « Si on fait le bilan de ce que nos journaux ont publié, depuis trois ans, l’armée a « liquidé » treize fois « le » chef des Brigades Ezzedine Al-Kassam à Jénine, dix-sept fois  « un très haut responsable » du Jihad à Naplouse, et 150 « chefs terroristes » à Gaza, etc. Soit on se fout de nous, soit ces chefs sont chaque fois remplacés et on devrait se demander à quoi servent ces liquidations. La réalité est qu’on n’en sait rien et que lorsque Tsahal tue ces gens, elle annonce systématiquement qu’il s’agit de « chefs ». Et nos correspondants répercutent ces communiqués, le doigt sur la couture du pantalon. » (cité par S.Cypel).

Demain, je commence justement une formation de trois jours, à Gaza, avec des journalistes palestiniens. La femme du check-point sera mon premier exemple.


Dimanche 17 septembre
Visa Trip

Le poste-frontière de Taba, porte d'entrée de l'Egypte... et d'un nouveau visa. 

		(Photo : Karim Lebhour/RFI)
Le poste-frontière de Taba, porte d'entrée de l'Egypte... et d'un nouveau visa.
(Photo : Karim Lebhour/RFI)

Retour sur le blog après quelques jours d’absence dans le Sinaï égyptien, pour cause de visa à renouveler. On appelle ça un «visa trip». La plupart des étrangers qui vivent et travaillent dans les Territoires palestiniens le font sur des visas de tourisme, qu’ils renouvellent tous les trois mois en passant un coup en Jordanie, un coup en Turquie, un coup en Egypte… Ce serait presque rafraîchissant, mais depuis quelques mois les autorités israéliennes ont mis un coup d’arrêt à ces renouvellements de visa à répétition et semblent avoir décidé de restreindre l’accès des étrangers, à la Cisjordanie, comme c’est déjà le cas pour Gaza. La mesure vaut aussi pour les Palestiniens porteurs d’un passeport européen ou américain. Les cas d’expulsions se multiplient et ceux qui en font les frais  s’entendent dire que les visas de tourisme sont limités à un par année. Sauf qu’obtenir un visa de travail ou de long séjour quand on réside dans les Territoires palestiniens relève de l’impossible. A Ramallah, c’est devenu le sujet de discussion numéro un entre étrangers. Les histoires circulent : untel retenu pendant plusieurs jours dans la zone de rétention de l’aéroport, une autre qui vivait ici depuis plus d’un an renvoyée manu militari dans son pays d’origine. D’où ce commentaire fataliste d’une Italienne travaillant dans une ONG : «A chaque fois que je pars quelques jours, je fais tous mes bagages au cas où je ne puisse pas revenir».


Vendredi 8 septembre
Nightclubbing

Le <i>Zan</i>. &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo: Karim Lebhour/RFI)
Le Zan.
(Photo: Karim Lebhour/RFI)

Jeudi soir, veille de week-end. Les bons plans pour la soirée circulent par SMS. Concert de jazz au Snow Bar, soirée d’anniversaire au Zan et sans doute un after au Grand Park. Au Snow Bar, Rabie a du mal à se laisser convaincre que les cheveux repoussent mieux si on les coupe un soir de pleine lune. Eve me décrit la tête de sa prof d’Hébreu à Jérusalem quand elle lui a dit qu’elle habitait côté palestinien assortie d’un conseil avisé «Faites attention qu’ils ne vous tuent pas !». J’observe avec amusement Atallah et Shadi faire la conversation à un groupe de (très) jeunes étudiantes fraîchement arrivées, venues apprendre l’arabe quelques mois à l’université de Bir Zeit, puis un jeune comédien tient absolument à me raconter sa dernière beuverie: «J’étais tellement bourré, je me suis réveillé à 16 h le lendemain. Il y avait une Anglaise dans mon lit. Je ne me souvenais de rien. Après, on a baisé pendant trois heures non-stop ». On se lasse et on file au Zan.

La place Manara aprés l'incursion. &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo: Karim Lebhour/RFI)
La place Manara aprés l'incursion.
(Photo: Karim Lebhour/RFI)

On arrive très exactement au même moment que l’armée israélienne. Plusieurs jeeps blindées passent à côté de nous et un haut-parleur éructe un «Go ! Go ! Go !» que l’on doit comprendre par: «Dégagez d’ici!». Complètement dégrisés par l’adrénaline, on marche le plus normalement possible en riant nerveusement avant d’atteindre avec soulagement l’entrée du Zan. A l’intérieur, la soirée a tourné court. La musique ne parvient pas à couvrir les explosions des bombes lacrymogènes et le claquement sec des fusils automatiques. Farah, dont c’est l’anniversaire, est franchement dépité et à chaque détonation ses amis lui lancent «happy birthday!». Plus personne n’a envie de danser. Ràmon, un Espagnol qui vit sa première incursion, à la franchise d’avouer qu’il est «mort de peur». On le rassure en disant qu’ils sont sans doute venus arrêter quelqu’un et qu’à l’intérieur nous ne craignons rien. Les filles retiennent les garçons qui veulent «juste aller voir». Vers deux heures du matin, les soldats s’en vont. C’est le moment de rentrer. Les hommes du quartier descendent pour savoir ce qui s’est passé. Je comprends que cinq personnes auraient été arrêtés dans une maison voisine. La rue principale est jonchée de pierres, de blocs de béton et de tout ce que les shebab (jeunes) ont trouvé à lancer sur les soldats. Le temps de prendre quelques photos et j’aperçois dans une voiture les étudiantes de Bir Zeit qui étaient restées au Snow Bar. On lit sur leurs visages quelque chose comme «mais c’est quoi ce bordel?». Je saute dans un taxi. En cherchant de la monnaie, je trouve un flyer oublié dans une poche pour la fête de la Bière, la semaine prochaine.


Mardi 5 septembre
Jour de grève

Les portes sont closes au <i>Bardoni</i>, l'un des restaurants les plus courus de Ramallah. &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo: Karim Lebhour/RFI)
Les portes sont closes au Bardoni, l'un des restaurants les plus courus de Ramallah.
(Photo: Karim Lebhour/RFI)

Pas de déjeuner ce midi. Restaurants, magasins, commerces sont restés fermés ce mardi pour cause de grève générale. C’est la deuxième fois en une semaine. Heureusement, le marchand de falafel au coin de la rue fait de la résistance. Mardi dernier, les Brigades des Martyrs d’al-Aqsa, la branche armée du Fatah, avaient décrété une journée de deuil pour la mort de l’un des leurs, tué par l’armée israélienne.

Cette fois, c’est un «comité populaire de soutien aux employés du gouvernement» qui a fermement invité les commerçants de tous les villes palestiniennes à se joindre par «solidarité» aux enseignants et aux fonctionnaires en grève depuis quatre jours pour protester contre le non-paiement de leurs salaires depuis plus de six mois. Ce comité est en fait une émanation du Fatah et la grève bien évidemment un moyen de pression sur le Hamas pour le pousser à quitter le pouvoir ou tout au moins à accepter un gouvernement d’union nationale. D’ailleurs, pour ceux qui n’auraient pas la «solidarité» chevillée au corps, à Jéricho et à Tulkarem des groupes armés se sont chargés de faire appliquer la grève aux commerçants récalcitrants.


Lire le précédent blog-notes : Ramallah (1)



par Karim  Lebhour

Article publié le 10/10/2006 Dernière mise à jour le 10/10/2006 à 17:13 TU