Immigration
Les pirogues et l’Europe
(Photo : AFP)
Plus de 180 migrants ont été arrêtés au large du Sénégal depuis un peu plus d’une semaine. Le 7 septembre, les patrouilles organisées par les autorités sénégalaises épaulées par des renforts européens sont devenues opérationnelles. Deux jours plus tard, 88 personnes ont été appréhendées et le 12 septembre, 98 autres candidats au départ ont été interceptés sur une pirogue à bord de laquelle ils voulaient effectuer la traversée depuis Saint-Louis, au nord du pays, vers les îles Canaries.
C’est la première fois que des clandestins sont empêchés de partir. Le ministre sénégalais de l’Intérieur a fait part de sa satisfaction. «On peut être optimiste sur la suite des opérations. Ce sont des résultats importants. Je suis sûr que cela va se poursuivre», a déclaré Ousmane Ngom. Le ministre en a profité pour détailler le système de surveillance des côtes sénégalaises mis en place par Dakar en coopération avec plusieurs pays européens dans le cadre de Frontex. La nouvelle Agence européenne de gestion des frontières extérieures de l’Union a mis à disposition du Sénégal «au moins quatre navires, des vedettes rapides et un avion» pour surveiller les 700 kilomètres de côtes du pays. L’Espagne en particulier, ne sachant plus comment faire face à l’afflux de migrants dans son archipel canarien, a mis à disposition de la police sénégalaise un bateau, deux vedettes, un avion de surveillance et un hélicoptère. Un navire italien devrait prochainement rejoindre ce dispositif. L’Italie, elle aussi, est un pays du sud de l’Union confronté à l’arrivée massive de clandestins cherchant un passage par l’île de Lampedusa.
Un avion italien, présent dans cette zone au large de Saint-Louis, a prévenu les autorités sénégalaises de la présence de ces pirogues en mer. Un navire sénégalais, avec à son bord «deux observateurs espagnols», s’est rendu sur place et a procédé aux interpellations. Elles sont devenues possibles depuis la signature, le 24 août dernier, d’un accord entre l’Espagne et le Sénégal prévoyant des «mesures sécuritaires» communes dans le cadre du dispositif Frontex.
Le Sénégal est le pays africain le plus concerné par le départ de migrants cherchant à entrer en Europe. Les Sénégalais eux-mêmes sont les Africains les plus tentés par l’aventure. De plus, le Sénégal, comme la Mauritanie et le Cap-Vert, est un pays de transit. L’Espagne subit le plus ces arrivées massives. Après ces premières interpellations, le ministre sénégalais de l’Intérieur a qualifié d’«exemplaire» la coopération entre Dakar et Madrid. Il a par ailleurs précisé que l’Espagne venait de confirmer une aide de 20 millions d’euros destinés à financer le plan Reva (Retour vers l’agriculture), lancé par le président sénégalais. Il s’agit d’un projet pour aider les migrants à rester dans leur pays d’origine.
Poussée par Madrid, Bruxelles plaide désormais pour une coopération plus étroite des 25 dans le domaine de l’immigration. Le jour où le dispositif organisé par Frontex devenait opérationnel sur la côte sénégalaise, José Manuel Durao Barroso lançait un appel à «la solidarité» des 25. Une manière pour le président de la Commission de faire appel à une aide financière et logistique. Frontex, en effet, a encore peu de moyens. Le Commissaire européen à la Justice et la Sécurité, Franco Frattini n’y allait pas par quatre chemins en déclarant : «La Commission n’a pas de patrouilles navales ou de garde-côtes. C’est aux Etats membre de mettre des moyens à disposition si on ne veut pas que la solidarité soit un mot creux».
L’Agence européenne de gestion des frontières extérieures (Frontex) a été installée il y a un peu plus d’un an à Varsovie, en Pologne. Ses moyens sont modestes, fournis par les pays de l’UE confronté à l’augmentation du flux de migrants : Espagne, France, Italie et Malte. Ce groupe de pays a obtenu que l’immigration clandestine tienne une place importante au prochain sommet européen prévu le 20 octobre en Finlande. Mais l’immigration reste de la compétence des Etats membres. Et même si M. Barroso demande qu’à l’avenir ce dossier soit géré à la majorité qualifiée, afin d’harmoniser les politiques d’immigration des différents pays membres de l’Union, ce changement n’est pas possible sans un accord à l’unanimité des 25, puisque les réformes institutionnelles prévues par la Constitution n’ont pas vu le jour…
Toutes les attentions sur le Sénégal
Plus rapidement et plus concrètement, l’Union européenne va chercher à renforcer le dispositif logistique de Frontex. Pour que la vieille Europe n’ait pas l’image d’une forteresse imprenable, Bruxelles veut, dans le même temps, ajuster sa politique de développement pour qu’elle réponde aux «raisons profondes» de l’immigration clandestine. Si l’Espagne fournit une aide au Sénégal pour développer le micro-crédit, la Commission explique qu’elle finance déjà dans ce pays des programmes de formation et des projets «à haute intensité de main-d’œuvre». Dans son plan qui se termine en 2007, le Fonds européen de développement a consacré 3,6 millions d’euros à des projets au Sénégal. Du côté du Commissaire européen au Développement, on sait cependant que la plupart des migrants viennent de la région de Dakar. Ces urbains ne sont certainement pas intéressés par le projet Reva de retour à la campagne. La convergence des projets espagnol et européen devrait permettre de monter de petites entreprises, indique le porte-parole de Louis Michel, le commissaire européen au Développement.
Ces nouveaux projets devront franchir bien des obstacles en passant dans les méandres des administrations situées sur les deux rives de la Méditerranée. Pour le moment, la montée de l’immigration clandestine fait débat au sein de l’Union. Le ministre français de l’Intérieur, partisan d’une «immigration choisie», a critiqué l’attitude de Madrid et de Rome, estimant que la régularisation massive de clandestins en 2005 avait créé des «appels d’air». Nicolas Sarkozy a également reproché à l’Espagne et à l’Italie d’avoir procédé à ces régularisations sans prendre l’avis de leurs partenaires européens. Les pays d’Europe du Nord, eux aussi, s’inquiètent des politiques nationales de régularisation car une fois qu’ils ont leurs papiers, les nouveaux venus circulent librement sur le territoire de l’Union, à la recherche d’un travail.
Depuis le début de l’année, plus de 22 000 personnes ont débarqué aux Canaries : un record, d’autant plus que le passage par Ceuta et Mellila est devenu quasiment impossible. Le mois de septembre étant la période la plus propice à la navigation entre les côtes africaines et l’archipel, il est probable que le flux ne va pas tout de suite se tarir.
par Colette Thomas (avec AFP)
Article publié le 13/09/2006 Dernière mise à jour le 13/09/2006 à 17:22 TU