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Djibouti-France

Affaire Borrel : les trois lectures de l’histoire

Dans un livre paru la semaine dernière, Elisabeth Borrel raconte son combat. L’occasion de découvrir comment une femme courageuse, et décidée à obtenir la vérité sur la mort de son mari, magistrat français retrouvé à moitié calciné en 1995 à Djibouti, a mené une lutte sans merci. Contre ses collègues magistrats, contre l’opinion et contre deux Etats qui masquent depuis onze ans une vérité apparemment gênante.

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Couverture de l'ouvrage Un juge assassiné (Flammarion).
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Elle n’en veut à personne, mais elle ne pardonnera pas. Et la liste est longue de ceux qui ont soigneusement gardé, depuis onze ans, une parcelle du secret qui pèse sur l’affaire Borrel. Entre cette armée de fantômes -pas toujours démasqués- de la «raison d’Etat» et cette femme souvent seule face à l’ombre de son mari, on comprend mieux les mécanismes qui font de cette histoire une affaire d’Etat exemplaire.

«Au bout de la vérité»

Tout ceux qui ont eu ou auront un jour l’occasion de croiser Elisabeth Borrel ont été ou seront surpris par cette volonté farouche d’aller «au bout de la vérité». Cette façon d’attaquer les phrases haut perchées, comme un procureur. Ce rire tranchant qui déstabilise l’interlocuteur. Cette pointe d’ironie effilée comme un rasoir. Au scalpel -avec l’aide d’un chirurgien de la plume, le journaliste Bernard Nicolas- elle tire les mille et un fils de son histoire.

Ce n’est pas la moindre qualité de ce livre de faire plonger le lecteur dans une histoire complexe, sans en perdre le sens. Une fois terminée la page 369, l’impression est très nette: le récit donne à voir trois lectures de l’histoire.

La première est un cri solitaire, celui d’une âme blessée. Deux enfants de cinq et huit ans sur les bras et deux cancers du sein, dont le second fut publiquement révélé, contre la volonté de la malade, par un grand quotidien du soir. Livrée sans fausse pudeur, cette confession éclaire d’un jour singulier le personnage, en martelant que «non madame Borrel n’est pas folle».

En réalité, Elisabeth Borrel est une catholique convaincue, une femme généreuse et une mère comme les autres, avec ses doutes et ses certitudes. On le savait. D’autres le découvriront. Autant le préciser : Elisabeth Borrel redoutait le contact des journalistes. «La presse? Elle me fait peur et depuis longtemps déjà». Puis, à suivre les pérégrinations de l’affaire, la partie civile qu’elle est devenue a compris que sans la presse, rien n’avancerait dans son dossier. Doit-on s’en réjouir? Pas sûr.

S’ouvre alors aux néophytes la seconde lecture. Page après page, la liste des dysfonctionnements de l’institution judiciaire, des errements de la brigade criminelle et des chausse-trappes du ministère des Affaires étrangères ne cessent de s’allonger. Jusqu’à l’écœurement. Entre des experts de médecine légale qui rendent des expertises bâclées, les juges d’instructions dessaisis parce qu’ils ont effectué une reconstitution sans la partie civile et des policiers qui cherchent absolument à vérifier que son mari était un pédophile, la nausée n’est plus très loin.

Comment de telles erreurs peuvent-elles se produire? Quels sont les filtres de contrôle de ces autorités dont le pouvoir est immense? Sont-ils sanctionnés en cas d’abus? Les amateurs du fonctionnement de l’Etat et de ses dérives seront servis. Mais, pour ceux qui connaissent les épisodes précédents (voir les nombreux articles publié ici même, sur ce site), cette litanie n’offre pas de réelles nouveautés.

«Un juge assassiné» 

La troisième et dernière lecture d’Un juge assassiné fournit les plus riches pistes de réflexion. Car si les auteurs de cet assassinat ne sont encore pas identifiés, ses commanditaires sont omniprésents. C’est d’ailleurs tout le sens du «J’accuse» emphatique que l’auteur lance en guise d’épilogue. «Parce que je suis citoyenne, mère, magistrate, veuve d’un homme que j’aime, j’exige la vérité. Je ne me détournerai pas de cette mission, je ne négocierai rien. Que Français et Djiboutiens qui l’espèrent peut-être le sachent. Je veux savoir pourquoi, par qui, Bernard Borrel a été assassiné dans la nuit du 18 au 19 octobre 1995.» Suit en annexe la liste des personnalités ayant signé «l’appel pour la vérité sur l’assassinat du juge Borrel» où l’on découvre que, chez les politiques, pas un responsable de l’UMP ne figure parmi les signataires. C’est le seul parti à n’être pas représenté.

En fait, cette troisième lecture, encore floue, s’alimente de l’omniprésence des réseaux corses et de l’ex-RPR à Djibouti; de la gêne des représentants des services secrets français; ou encore de l’existence d’une franc-maçonnerie locale influente. Ces réseaux, très présents dans le monde judiciaire, ont-ils joué leur partition. Comment? Par qui? Pourquoi? Autant de questions que l’ouvrage laisse ouvertes… mais qu’Elisabeth Borrel ne renonce pas à éclaircir.



par David  Servenay

Article publié le 19/10/2006 Dernière mise à jour le 19/10/2006 à 15:46 TU

Un juge assassiné, d’Elisabeth Borrel avec la collaboration de Bernard Nicolas, Flammarion, 21 euros.

Audio

Jean-Claude Marin

Procureur de la République

«La justice a sans doute, à des temps différents, privilégié une thèse plutôt qu’une autre.»

[18/10/2006]

Elisabeth Borrel

Veuve du juge Bernard Borrel

«La chancellerie ne conteste pas la thèse de l'assassinat de mon mari.»

[12/10/2006]

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