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Banlieues : décryptage d’une vague de violence

Un immeuble de Clichy-sous-Bois où se tenait ces derniers jours une série d'expositions baptisées «Clichy sans cliché». 

		(Photo : AFP)
Un immeuble de Clichy-sous-Bois où se tenait ces derniers jours une série d'expositions baptisées «Clichy sans cliché».
(Photo : AFP)
Trois semaines d’affrontements nocturnes entre des bandes de jeunes et les policiers, en région parisienne puis en province, des milliers de voitures brûlées, des centaines de bâtiments dégradés ou détruits, plus de 6 000 interpellations de fauteurs de troubles : le bilan des émeutes de novembre 2005 dans les banlieues françaises est lourd. L’impact de cette explosion de violence, exceptionnelle par son ampleur et sa durée, est aussi très important. Les émeutes ont obligé la France et ses élus à faire le constat des dégâts provoqués par un phénomène d’exclusion, ancien et complexe, de populations le plus souvent d’origine étrangère. Et elles ont montré la nécessité d’aller au-delà d’une politique de maintien de l’ordre pour éviter la résurgence de la violence.

Le décès accidentel de deux jeunes de Clichy-sous-Bois, Zyed et Bouna, qui s’étaient réfugiés dans un transformateur EDF pour échapper à un contrôle de police, le 27 octobre 2005, aurait pu ne rester qu’un fait divers malheureux. Et pourtant, c’est cet événement qui a été à l’origine d’un véritable embrasement en Seine-Saint-Denis, puis petit à petit dans les départements sensibles de la région parisienne, et ensuite dans d’autres points du territoire français. Même si l’événement était évidemment dramatique sur le plan humain, était-il suffisamment insupportable pour engendrer de telles émeutes ? Et surtout pour que le mouvement se diffuse ainsi d’un quartier à l’autre, de la capitale à la province. Si cela a été le cas, c’est parce que la mort de ces deux jeunes a joué le rôle de déclencheur dans un contexte de crispation ancien et profond.

L’échec de l’intégration

On sait aujourd’hui qu’il est réducteur d’analyser le phénomène des violences de novembre 2005 par le seul prisme de la délinquance organisée qui gangrène les cités, bien qu’il s’agisse d’une réalité. Des études ont montré que, contrairement à ce qu’avait dit le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, les délinquants récidivistes n’étaient pas majoritaires (34%) dans les bandes de jeunes émeutiers. Les thèses des émeutes organisées par des caïds et de l’implication des milieux intégristes musulmans ont été démenties. Par ailleurs, bon nombre de témoignages ont montré que parmi les jeunes des cités qui n’ont participé ni de près, ni de loin aux violences, on ne s’étonne pas que les choses aient dégénéré au point de provoquer une situation nécessitant de ressortir la loi sur l’état d’urgence et d’instaurer dans certaines villes un couvre-feu. Même s’ils condamnent le recours à la violence, ils comprennent les causes d’une telle explosion.

Les émeutes ont été le symptôme du malaise des populations des cités, et plus particulièrement des jeunes d’origine africaine ou maghrébine mal intégrés. Un malaise qui est lui-même un phénomène à tiroirs, où se mêle une crise identitaire, une crise générationnelle, une crise urbaine, une crise économique, une crise sociale. L’explosion de violence a obligé à le regarder en face et a rendu incontournable sa prise en compte. D’ailleurs pour calmer les émeutiers, le gouvernement n’a pas seulement déployé des policiers et des gendarmes, il a aussi promis des mesures de fond destinées à «réduire la fracture sociale» dans les quartiers déshérités. L’objectif affiché étant de lutter contre la stigmatisation dont souffrent les jeunes des cités, notamment en matière d’accès au logement ou à l’emploi.

La crainte d’un nouvel embrasement

Un an après, la situation n’a pas fondamentalement changé. La preuve, à l’approche de la commémoration du décès des deux jeunes de Clichy-sous-Bois, la crainte d’un nouvel embrasement est bien présente. Un rapport des renseignements généraux a établi un diagnostic inquiétant : «La plupart des conditions qui ont amené, il y a un an, un déclenchement de la violence collective, sur une grande partie du territoire métropolitain, sont toujours réunies». L’Ile-de-France étant identifiée comme la région la plus à risque. Le ministère de l’Intérieur a mis en place un dispositif pour surveiller au plus près l’évolution des quartiers où des incidents se produisent d'ailleurs depuis quelques semaines. Plusieurs agressions de policiers en patrouille dans les cités, présentées comme des guet-apens, ont eu lieu. Et depuis quelques jours, des jeunes cagoulés ont attaqué et brûlé des bus dans plusieurs villes de la région parisienne (Bagnolet, Montreuil, Grigny).

Pourtant, on ne peut pas dire que rien n’est différent. Mais c’est vraisemblablement plus au niveau des états d’esprits que des faits qu’une évolution a eu lieu. Même si la loi pour l’Egalité des chances a été adoptée en mars 2006 et contient des mesures destinées aux banlieues, comme la création de zones franches pour inciter les entreprises à s’installer dans les quartiers difficiles, ou si des programmes de rénovation urbaine ont été engagés. Les émeutes ont provoqué une prise de conscience nationale et ont participé à délier les langues. Le débat sur la discrimination a traversé les ghettos. Certaines personnalités de la société civile y ont contribué en s’emparant de la question et en plaidant contre la stigmatisation des habitants des banlieues. Ainsi le footballeur Lilian Thuram ou l’acteur Jamel Debbouze, qui ont eux-mêmes grandi dans les cités.

Un débat de société, un enjeu politique

La promotion d’un film qui plaide pour la reconnaissance de la contribution des combattants des ex-colonies dans la libération de la France durant la Seconde Guerre mondiale, Indigènes, joué par quatre acteurs d’origine maghrébine (Jamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem, Sami Bouajila) et réalisé par Rachid Bouchareb, a aussi donné l’occasion de faire passer des messages en faveur de l’intégration des populations issues de l’immigration, en rappelant que les Français ont avec elles une histoire commune. Dans les médias aussi, un effort a été réalisé pour répondre à la demande faite par le président de la République, en novembre 2005, de refléter la France telle qu’elle est, c’est-à-dire dans sa diversité ethnique. La chaîne privée TF1 a, par exemple, choisi pour la première fois un présentateur noir, Harry Roselmalk, comme doublure de Patrick Poivre d’Arvor au 20 heures durant l’été.

La banlieue est aussi devenue un enjeu encore plus incontournable du débat politique depuis les émeutes de novembre 2005. A quelques mois des échéances électorales présidentielle et législative, gauche et droite savent qu’il y a des attentes sur ce thème, qu’il s’agisse de gérer l’insécurité ou de lutter contre les discriminations. La pression sur le gouvernement, et surtout sur le ministre de l’Intérieur, est forte. Une nouvelle flambée de violence dans les cités serait un rude coup pour Nicolas Sarkozy. Cela poserait la question de l’efficacité de sa politique de sécurité basée sur la fermeté et la sanction des délinquants, qui a été beaucoup critiquée.



par Valérie  Gas

Article publié le 26/10/2006 Dernière mise à jour le 26/10/2006 à 13:11 TU