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Serbie

La Constitution et l’avenir des déplacés

Les guerres des années 1990 se sont soldées par une catastrophe évidente pour les Serbes chassés de Croatie et du Kosovo. 

		(Photo : AFP)
Les guerres des années 1990 se sont soldées par une catastrophe évidente pour les Serbes chassés de Croatie et du Kosovo.
(Photo : AFP)
La nouvelle Constitution que les électeurs serbes doivent approuver ce week-end stipule que «le Kosovo est une partie intégrante de la Serbie». Pourtant, les quelque 150 à 200 000 déplacés serbes chassés du Kosovo depuis juin 1999 ne nourrissent guère l’espoir de revenir un jour chez eux.

De notre correspondant dans les Balkans

Dans la campagne référendaire, les enjeux du texte constitutionnel sont largement passés au second plan et le scrutin se présente de plus en plus comme un plébiscite en faveur des droits de la Serbie sur le Kosovo. À en croire les discours officiels à Belgrade, le référendum constituerait même une première étape vers le retour des déplacés, dont le nombre exact demeure d’ailleurs un sujet de polémiques. Les Albanais estiment en effet que le chiffre de 200 000 déplacés installés en Serbie serait exagéré, mais nombre de ces Serbes, enregistrés en Serbie, pratiquent en fait des allers-retours entre les centres d’accueil collectifs où ils croupissent depuis sept ans et les enclaves serbes du Kosovo.

La commune de Vranje abrite beaucoup de ces réfugiés. «En dix ans, plus de 50 000 personnes sont passées dans le Palais des sports de Vranje», explique Voja Djordjevic, le fonctionnaire chargé des affaires sociales à la mairie, bureaucrate local de la Ligue des communistes yougoslaves, puis du Parti socialiste de Serbe. «D’abord sont venus les réfugiés serbes chassés de Croatie et de Bosnie-Herzégovine, puis les déplacés du Kosovo». Aujourd’hui, la commune abrite toujours près de 5 000 de ces déracinés, les plus pauvres.

Beaucoup vivent à Vranjska Banja, une station thermale située à cinq ou six kilomètres de la ville. Les eaux bouillantes et sulfureuses qui sourdent du sol sont connues depuis l’antiquité, mais les hôtels construits dans les années 1930 sont presque tous à l’abandon. Un autre immense hôtel, dont l’édification avait commencé dans les années 1970, dresse toujours sa carcasse de béton inachevée.

Une très difficile «transition» économique

Aux abords de l’hôtel, des maisonnettes en bois ont été construites pour accueillir les déplacés du Kosovo qui avaient campé durant plusieurs années dans le stade de Vranje. La villa «Balkan», autrefois coquette, abrite également aussi des réfugiés et des déplacés, originaires du Kosovo, mais aussi de Croatie et de Bosnie. Tout retour semble exclu: «nous n’avons plus rien en Croatie, ni maison, ni parents, ni amis», explique Marija, 50 ans, originaire de Slavonie occidentale. «Les conditions de sécurité ne sont pas remplies, chez nous, on tue toujours les Serbes», ajoute un couple de retraités venu du Kosovo.

Ceux qui le peuvent quittent Vranje, pour essayer de gagner Nis, Belgrade ou la Voïvodine. À cause de la situation économique, mais aussi parce que Vranje n’offre pas, à leurs yeux, des garanties de sécurité suffisante. «Le territoire de la commune de Vranje touche le Kosovo. Nous sommes presque sur la ligne de front», sourit le journaliste Radoman Iric. En 2001, Bujanovac et Presevo, deux communes majoritairement albanaise situées juste au sud de Vranje, ont été le théâtre d’action de la guérilla de l’UCPMB. En janvier dernier, les partis politiques albanais de la vallée de Presevo ont adopté une plate-forme commune demandant une forte décentralisation ou, à défaut, un rattachement au Kosovo. Ces Albanais du sud de la Serbie ne veulent pas être «oubliés», dans le cadre du règlement du statut du Kosovo. Ils vont en tout cas boycotter le référendum constitutionnel de ce week-end.

Les guerres des années 1990 ont été menées au nom de l’idéologie de la «Grande Serbie», mais se soldent par une catastrophe évidente pour les Serbes chassés de Croatie et du Kosovo, bien loin du slogan du début des années 1990 : «tous les Serbes dans un seul Etat». Ils survivent aujourd’hui dans des conditions extrêmement précaires, sans emploi pour la plupart. Bien peu ont réussi à s’intégrer dans une Serbie, qui se débat toujours elle-même dans une très difficile «transition» économique.

Les rêves de vengeance ne sont pas oubliés de tous. «Un jour, dans dix ans peut-être, l’OTAN et les Nations unies finiront bien par partir du Kosovo, et ce jour-là nous reviendrons, et les Albanais déguerpiront devant notre armée», ne craint pas d’affirmer Zorica Peric, la responsable de l’administration communale en exil de Lipljan, une petite ville du Kosovo central. Un millier de Serbes vivent toujours dans un ghetto dans le centre de Lipljan, quelques centaines dans une poignée de villages protégés par les troupes de l’OTAN, et les autres ont dû fuir leur terre. «Mais nous sommes contents d’avoir résisté à l’OTAN. Nous sommes fiers et heureux», affirme Zorica Peric, qui ne cache pas son appartenance au Parti socialiste de Serbie (SPS), la formation de l’ancien président Milosevic. Les réfugiés écoutent en silence cette péroraison.

Les cadres des partis politiques veillent à ce que les déplacés se rendent tous aux urnes ce week-end, et leurs conditions d’inscription sur les listes électorales ont été facilitées. Pourtant, certains ne cachent pas leur scepticisme. «A quoi bon voter ? Le Kosovo est perdu, et la Serbie ne sait pas quoi faire de nous», estime Bojan, un homme d’une quarantaine d’années, qui ajoute qu’il ne veut pas voter «pour faire le jeu des politiciens de Belgrade». Plus désabusée, une femme âgée commente: «on votera, de toute façon, parce que si nous ne votions pas, cela se saurait, et on pourrait nous couper l’aide humanitaire».

Officiellement, la communauté internationale envisage toujours un retour des déplacés serbes au Kosovo, naturellement exigé par Belgrade. Pourtant, tout le monde s’attend à de nouvelles violences en cas d’accession du territoire à l’indépendance, et des cadres du Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés (UNHCR) reconnaissent en privé qu’ils se préparent à un nouvel afflux de Serbes fuyant le Kosovo.

par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 28/10/2006 Dernière mise à jour le 28/10/2006 à 15:05 TU