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Energie

Un réseau, pour le meilleur et pour le pire

La polémique continue à propos de la panne qui a privé d’électricité une partie de l’Europe. Hommes politiques et dirigeants de compagnies énergétiques cherchent des solutions pour éviter un nouveau trou noir. Plus, cette panne électrique s’est produite avant l’ouverture de la conférence de Nairobi sur les changements climatiques. On y parle toujours des effets de la consommation d’énergie fossile sur le climat.
Pour quitter le chantier naval, le paquebot <em>Perle norvégienne </em>devait passer sous un câble mis hors tension plus tôt que prévu. &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo : AFP)
Pour quitter le chantier naval, le paquebot Perle norvégienne devait passer sous un câble mis hors tension plus tôt que prévu.
(Photo : AFP)

Les électriciens commencent à avoir un peu de recul sur cette panne, très inhabituelle, qui a touché samedi soir une bonne partie de l’Europe et a eu comme résultat de priver d’électricité environ 10 millions de personnes pendant une ou plusieurs heures.

On sait désormais comment est né l’incident. Le groupe énergétique allemand E.ON, c’était prévu, devait couper une ligne à haute tension, le temps de laisser passer un paquebot. Pour quitter le chantier naval où il a été construit et rejoindre la mer du Nord, le navire, Perle norvégienne devait passer par un fleuve, l’Ems, ce qui nécessitait de passer sous un cable. A la demande du chantier naval, l’opération a été réalisée plus tôt que prévu. Souhaitant mettre un terme aux critiques dont elle est l’objet, la compagnie E.ON a révélé ses intentions : elle voulait mettre le cable hors circuit plus tard dans la nuit, à un moment où la demande en électricité est toujours plus faible.

La coupure est intervenue à un moment - la soirée - où la demande est encore forte et alors que les températures en Allemagne étaient anormalement froides. Le reste du réseau s’est trouvé surchargé sans que la demande diminue. L’anomalie s’est ensuite propagée dans plusieurs pays européens. Les réseaux sont de plus en plus interconnectés. Les électriciens ayant des surplus peuvent ainsi les vendre à leurs voisins. Mais à l’inverse, la défaillance allemande et son effet domino ont mis à contribution la solidarité européenne : l’électricité doit circuler de manière fluide dans l’ensemble des cables.

Le débat autour du cas allemand

Avant de parler du rôle crucial du chantier naval, la compagnie E.ON avait, dès lundi, reconnu sa responsabilité dans la panne. Mais elle s’était défendue de mal gérer ses réseaux de distribution. «Les réseaux sont en bon état, entretenus en permanence», avait expliqué, sur une télévision allemande, un responsable de la filiale chargée de la distribution. «Nous investissons dans ces réseaux». La compagnie prévoit d’ailleurs de leur consacrer 2,8 milliards d’euros dans les prochaines années, a encore expliqué ce responsable. Pourtant, selon une étude réalisée par la fédération allemande VDE, une association regroupant techniciens et scientifiques spécialisés en énergie, les investissements réalisés par les producteurs auraient diminué de 40% depuis 1980.

Avant cette panne, les distributeurs allemands d’électricité étaient déjà sur la sellette. Année après année, ils font payer toujours plus cher le gaz et l’électricité. Les particuliers le leur reprochent, d’autant plus que des associations professionnelles ont montré des bénéfices en constante augmentation. Lundi, le ministre allemand de l’Environnement, Sigmar Gabriel, a fait preuve de fermeté à l’égard de ces compagnies : «Les groupes d’énergie doivent fournir les investissements», a-t-il déclaré. Il a rappelé à tous les électriciens allemands leur engagement de prolonger de 850 kilomètres le réseau de distribution. « Il n’est pas possible que les opérateurs de réseaux fassent toujours davantage de bénéfices, mais qu’ils ne procèdent qu’avec retard aux investissements nécessaires», a renchérit Michaël Müller, le secrétaire d’Etat à l’Environnement. E.ON s’était défendue en parlant des résistances des riverains qui refusent le voisinage de lignes à haute tension.

E.ON produit 23% de l’électricité consommée en Allemagne et cherche, comme la plupart des autres compagnies européennes, à s’agrandir en achetant d’autres producteurs d’électricité. Pour les syndicats de travailleurs du secteur de l’énergie, cette orientation détourne les compagnies du service aux particuliers. La CGT, notamment, estime que les consommateurs sont en train de payer le prix de la déréglementation du secteur. La CGT, dont l’orientation est tout sauf libérale, réclame «l’arrêt de la libéralisation du secteur et un bilan réel et sérieux de la déréglementation de l’énergie en Europe».

Toutes les compagnies en faveur d’investissements importants

Electricité de France (EDF), pour sa part, souhaite que l’Europe procède à des investissements massifs dans le domaine de l’énergie. «Ce que cet incident nous rappelle, c’est qu’il est urgent d’investir massivement en Europe pour augmenter la capacité de production et de transport d’électricité», a indiqué le président d’EDF, Pierre Gadonneix. «Il faut renforcer la solidarité européenne. La France est venue supporter les besoins de l’Allemagne…Un jour, ce sera peut-être l’inverse», a-t-il encore déclaré. Comme ses concurrentes, EDF a tout à gagner au financement de nouvelles infrastructures.

L’Europe a besoin d’investissements dans le domaine de l’énergie. Pierre Gadonneix les évalue à 1 000 milliards d’euros pour les vingt-cinq ans à venir, aussi bien pour augmenter les capacités de production que pour améliorer les réseaux d’acheminement. Alors que les pays signataires de la Convention climat et du Protocole de Kyoto sont réunis à Nairobi pour tenter d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre et donc de freiner la consommation d’énergie, la solution prônée par les professionnels est le renforcement des capacités existantes.

Un constat partagé mais sans solution unique

Fort opportunément, ce 7 novembre, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), publie, elle aussi, un rapport dans lequel elle revoit à la hausse les investissements nécessaires pour «satisfaire la voracité croissante du monde» en énergie. Pour Claude Mandil, directeur de l’Agence, la planète est, de fait, « confrontée à une double menace : celle de ne pas disposer d’approvisionnements suffisants et sûrs à des prix abordables et celle de nuire à l’environnement par une consommation excessive».

Dans une étude publiée courant octobre, Eurogroup, cabinet spécialisé en prospective économique, tirait déjà la sonnette d’alarme sur la manière dont les Européens gèrent leurs capacités énergétiques. Comme les compagnies européennes, comme l’AIE, ce rapport pointe des investissements insuffisants et pas assez diversifiés. Autre défaut de la stratégie actuelle : «Aujourd’hui, tous les nouveaux moyens de production mis en place en Europe, excepté un peu d’énergie renouvelable, sont des cycles combinés au gaz», expliquait encore ce rapport. De plus, les choix «sont dictés par des intérêts financiers» à court terme. «Progressivement, l’électricité s’est corrélée au prix du gaz, en raison de l’usage des cycles combinés au gaz et le prix du gaz est lui-même corrélé au prix du pétrole, ce sont des choses exogènes (extérieures) à l’Europe». Le rapport réalisé par Eurogroup estime enfin que «les fournisseurs comme Gazprom ou Sonatrach ont un pouvoir de marché énorme sur l’Europe».

L’Europe ne semble pas avoir encore trouvé la solution pour parer à l’éventualité d’un nouveau trou noir. Si les centrales au gaz sont faciles à programmer car les investissements ne sont pas lourds, elles augmentent la dépendance vis-à-vis des deux grands pays producteurs de gaz, l’Algérie et la Russie. Les centrales nucléaires, elles, ont l’avantage de ne pas rejeter de gaz à effet de serre mais leur construction est longue et coûteuse, le problème des déchets n’est pas réglé et dans nombre de pays européens, cette source d’énergie est refusée. Quant aux économies d’énergie, elles intéressent peu car elles ne font pas marcher le commerce. Reste les énergies alternatives. Mais le solaire, l’éolien et la biomasse restent considérés comme des sources d’énergie d’appoint.



par Colette  Thomas

Article publié le 07/11/2006 Dernière mise à jour le 07/11/2006 à 18:20 TU