Santé
Peut-on freiner l’épidémie mondiale de diabète ?
(Photo : AFP)
Le diabète frappe déjà plus de 170 millions de personnes dans le monde, et il augmente aussi rapidement que l’obésité. On s’attend à 366 millions de cas en 2030. Les victimes sont toujours plus nombreuses, et de plus en plus jeunes. Victimes d’une information insuffisante, du manque de nourriture équilibrée et saine, des mauvaises habitudes de vie modernes. En déclarant le 14 novembre « Journée mondiale du diabète », l’Organisation mondiale de la santé veut attirer l’attention sur l’explosion d’une maladie que l’on pourrait le plus souvent prévenir.
Le diabète est fils d’une double ignorance. Première ignorance : une personne peut être déjà diabétique, ou pré diabétique, sans le savoir. Faiblesse inhabituelle, envie plus fréquente d’uriner, baisse brutale et transitoire de la vision, infections à répétition… Elle peut négliger ces manifestations, qui passeront inaperçues durant des années. C’est ici que le dépistage peut être salvateur. Des analyses de sang très simples permettront de mettre un nom sur ce trouble de santé qui se présente rarement sans des comparses : surpoids, hypertension, « mauvais » cholestérol… Des millions de diabétiques s’ignorent, qui risquent, si rien ne change dans leur vie, jusqu’aux effets les plus terribles de la maladie à un stade avancé : insuffisance rénale, dommages nerveux, affections cardiaques, accidents cérébraux, amputations, cécité. Ces effets peuvent toucher le plus tragiquement les populations défavorisées du Tiers et du Quart Monde, sur lesquelles l’OMS veut mettre l’accent cette année. Des experts réunis en Australie ont prévenu le 13 novembre que « l’épidémie de diabésité », contraction de diabète et obésité, menace d’extinction les peuples indigènes d’Asie, d’Australie, du Pacifique, d’Amérique du Nord et du Sud.
La seconde ignorance est celle des facteurs de risque. Ceux-ci sont connus, mais encore peu accessibles au plus grand nombre, faute de relais, de campagnes organisées, de sensibilisation médicale en cabinet et de moyens suffisants, y compris dans les pays riches. Il ne s’agit pas de médicaments coûteux ou d’appareils sophistiqués (sauf pour les stades avancés de la maladie), mais d’une alimentation équilibrée et saine, ainsi que d’une bonne hygiène de vie. Ainsi que le notent l’OMS et la Fédération internationale du diabète (1), les principaux facteurs de risque du diabète de type 2 (ou diabète gras, le plus fréquent) sont « comportementaux » : mode de vie sédentaire, alimentation hypercalorique riche en sucre, en sel et en graisses de mauvaise qualité mais pauvre en fruits et légumes, obésité, consommation excessive d’alcool, tabagisme. Le stress majore les risques.
Vie et mort « à l’occidentale »
Si des généticiens cherchent, dans le domaine qui est le leur, des « gènes de la diabésité » ou des mutations de certains chromosomes qui pourraient, dans une minorité de cas, prédisposer à une plus grande résistance à l’insuline, l’épidémiologie et la physiologie sont quant à elles très éclairantes pour cette pathologie. L’épidémiologie montre que, dans les pays du Sud, on constate qu’à mesure que des tranches importantes de la population adoptent une alimentation et un mode de vie « à l’occidentale », l’incidence de la maladie augmente. Tout comme dans les pays du Nord. Une étude portant sur 85 000 infirmières nord-américaines durant 16 ans a montré que neuf fois sur dix, le diabète 2 était dû à cinq facteurs : nutrition malsaine, manque d’exercice physique, surpoids, alcool et tabac. Une importante étude finlandaise, avec un suivi de 7 années, vient de montrer que la nutrition saine et l’exercice permettent de réduire de manière importante l’incidence du diabète 2 chez des personnes à haut risque (The Lancet, novembre 2006). Une autre, effectuée par trois universités nord-américaines, qu’une alimentation de type végétarien peut même faire régresser la maladie : après 22 semaines, 43% des patients ont pu abandonner ou réduire la dose de certains médicaments tels l’insuline ou les hypoglycémiants (Diabetes Care, juillet 2006). On sait aussi que la maladie est plus fréquente en ville qu’à la campagne. Quant à la physiologie, elle décrit par le menu sa progression dans l’organisme au cours des ans : troubles passagers mais répétitifs de la glycémie, résistance accrue des récepteurs à insuline dans les cellules (due pour beaucoup à la consommation de graisses de mauvaise qualité qui rigidifient les membranes de ces cellules), augmentation chronique du « sucre » dans le sang, baisse de production d’insuline par le pancréas.
Enfants et adolescents touchés
« Le plus inquiétant, c’est que le diabète 2, naguère dit de la maturité, commence maintenant à toucher des adolescents et même des enfants », soulignent les spécialistes de l’Ecole publique de santé de Harvard, aux Etats-Unis. (2) Les études scientifiques les plus récentes montrent que l’obésité à l’adolescence accroît non seulement le risque d’affections cardiovasculaires et de diabète, mais aussi, en conséquence, de mort prématurée à l’âge adulte. Elles montrent aussi que la résistance à l’insuline, mesurée dès l’adolescence, peut être à elle seule un marqueur de risque accru de ces deux maladies. On sait aussi qu’il existe une relation entre la résistance à l’insuline et la stéatose hépatique (le « foie gras » chez les humains), et que des millions de jeunes Nord-Américains – et probablement de jeunes ailleurs dans le monde – souffrent déjà de stéatose hépatique. Or le foie est l’organe qui gère, entre autres, le cholestérol et le glucose. Le numéro d’octobre du journal Pediatrics comprend une étude montrant que un Nord-Américain sur dix, dans la tranche d’âge des 2-19 ans, souffre déjà d’un « foie gras », donc qui risque de mal fonctionner : « 5% des enfants ayant un poids normal en souffrent, 16% des enfants en surpoids, 38% des enfants obèses. Le taux augmente avec l’âge (…) Etant donné le nombre d’enfants et d’adolescents déjà touchés, concluent les chercheurs, il est impératif d’étudier les interactions de la stéatose avec des maladies comme le diabète 2 et les affections cardiovasculaires. »
En fait, tous les dysfonctionnements organiques et cellulaires qui concourent au diabète et aux maladies cardiovasculaires se conjuguent pour aggraver un tableau que l’on nomme syndrome métabolique. Et tous sont sensibles à la même prévention. « La bonne nouvelle, soulignent encore une fois les experts de Harvard, c’est que neuf fois sur dix on peut prévenir le diabète 2 par des mesures très simples d’hygiène de vie. » Et même en cas de prise obligatoire d’insuline, ces mesures restent indispensables afin d’en limiter la quantité, d’en améliorer l’assimilation et de prévenir les terribles effets possibles de la maladie.
(1) http://www.who.int/diabetes/en/
(2) http://www.hsph.harvard.edu/nutritionsource/diabetes.html
par Henriette Sarraseca
Article publié le 13/11/2006 Dernière mise à jour le 13/11/2006 à 19:12 TU