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Ethiopie

Mengistu reconnu coupable de génocide

Après 12 ans d’un procès-fleuve, l’ex-dictateur éthiopien Mengistu Haïlé Mariam a été déclaré coupable de génocide pendant la «Terreur rouge» (1977-78) par la Haute cour fédérale d’Ethiopie. Il risque la peine de mort. Renversé en 1991, Mengistu vit en exil au Zimbabwe, qui refuse de l’extrader.
Le leader éthiopien Mengistu Hailé Mariam, le 31 octobre 1986, à Harare. 

		(Photo: AFP)
Le leader éthiopien Mengistu Haïlé Mariam, le 31 octobre 1986, à Harare.
(Photo: AFP)

C’est presque la fin d’un procès-fleuve ouvert le 13 décembre 1994. Mardi, Mengistu Haïlé Mariam, l’ex-dictateur marxiste éthiopien, a été déclaré coupable de génocide pendant la «Terreur rouge» par la Haute cour fédérale d’Ethiopie. La sentence définitive pourrait être prononcée le 28 décembre. L’acte d’accusation visait 106 accusés, certains jugés par contumace, comme Mengistu, accusé de génocide et de crimes contre l’humanité, et qui encourt la peine de mort. Sur les 106 accusés, 34 seulement étaient présents mardi. «Les accusés de un à douze sont reconnus coupables de toutes les charges» de génocide, homicide, emprisonnement abusif et confiscation de biens, a déclaré le juge Methim Kiros, président de la Haute cour fédérale. Et, à l'exception d'un seul, tous les accusés ont été déclarés coupables d' «actes illégaux».

Les responsables du régime Mengistu sont notamment inculpés pour les assassinats de l’empereur Haïlé Sélassié, du patriarche orthodoxe Abuna Tefelows et d’une soixantaine de dignitaires de l’Empire. Ils sont accusés d’avoir fait exécuter et disparaître quelque 100 000 Ethiopiens entre 1977 et 1978, période baptisée «Terreur rouge».

En raison de la multiplicité des affaires et du nombre important de témoins à entendre, les procès ont traîné en longueur. En mai dernier, date à laquelle la Haute Cour devait initialement rendre son jugement, le juge avait déclaré : «Le cas Mengistu est énorme, l’enquête a pris trois ans rien que pour réunir les preuves». 730 personnes ont été entendues et 3 000 documents étudiés. Parmi les preuves contre Mengistu et les membres de sa junte : des centaines de milliers de pages de documents gouvernementaux, avec des ordres signés, des vidéos de séances de torture, des témoignages de victimes et la découverte de fosses communes. En 2005, 500 accusés, sur 6 000 au total dans les dossiers de la «Terreur rouge», avaient été libérés, après avoir purgé des peines de prison de deux à dix ans. Une quinzaine sont morts en prison. Les tribunaux ont prononcé plus de 500 acquittements et deux condamnations à mort, dont une par contumace.

Régime sanglant

En 1974, Mengistu fait partie des officiers qui renversent l’empereur Haïlé Sélassié lors d’un coup d’Etat fomenté par le Derg, junte révolutionnaire de type marxiste qui prend le pouvoir. Après une terrible purge au sein du Derg en 1976, Mengistu devient chef de l’Etat et dirigeant incontesté du Derg en 1977. Il impose un gouvernement totalitaire et militarise massivement le pays, soutenu par l’Union soviétique. En 1977 et 1978, des dizaines de milliers d’opposants présumés sont torturés ou tués. C’est la «Terreur rouge». Mengistu y gagne son surnom de «Négus rouge». Les tueries ont lieu en pleine rue et les miliciens demandent aux familles des victimes de rembourser le prix des balles pour pouvoir récupérer les corps… Selon Amnesty International, plus de 500 000 personnes auraient été tuées pendant cette période.

Le régime sera confronté dans les années 80 à de grandes sécheresses et famines, comme celle de 1984-85 et à des insurrections dans le nord du pays, qui devient l’Erythrée indépendante en 1993. Le gouvernement Mengistu tente de camoufler la famine de 1984, au nord du pays, avant de s’en servir pour déplacer de force des milliers de villageois dans les régions du sud.

Officiellement, pour les sauver de la faim. En réalité, pour vider les zones tenues par la rébellion. Cette relocalisation aurait fait 100 000 victimes, selon certaines estimations. Le dictateur sera chassé du pouvoir en 1991 par le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien, de l’actuel Premier ministre Mélès Zenawi. L’association suisse Trial (Association suisse contre l'impunité) rappelle que «ces 17 années de règne ont connu de nombreuses violations des droits de l’homme» comme «l’utilisation de napalm et de bombes à fragmentations contre les civils dans les régions rebelles et le recours aux famines comme arme de guerre».

Exil doré

A l’arrivée de la rébellion à Addis Abeba en 1991, Mengistu fuit au Zimbabwe avec l’aide de l’ambassade des Etats-Unis à Harare. Dans les années 80, il avait soutenu la guérilla indépendantiste de Robert Mugabe dans l’ex-Rhodésie. Le président Zimbabwéen a su s’en souvenir. Aujourd’hui, à 69 ans, Mengistu a obtenu l’asile politique et vit un exil doré dans une luxueuse villa du quartier de Gunhill, surveillée aux frais du contribuable zimbabwéen. Le gouvernement d’Harare a également mis à sa disposition deux grandes fermes, à Mazowe et Norton, et six voitures de luxe. Détenteur d’un passeport diplomatique zimbabwéen, il est considéré comme un ami proche du président Mugabe dont il serait «un consultant militaire», selon le journal indépendant zimbabwéen ZimOnline. Toujours selon ce titre, Mengistu serait le cerveau de la brutale campagne de démolition des bidonvilles de la capitale, qui a eu lieu en mai dernier, faisant 700 000 sans-abris.

Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi les différentes tentatives du gouvernement éthiopien pour faire extrader l’ex-dictateur ont toutes échoué. Mengistu a échappé à un attentat en 1995, dans sa résidence. Les deux hommes arrêtés, victimes de torture sous son régime, ont été condamnés à 10 ans de prison. Certains ex-officiels de la junte se sont repentis dans une lettre officielle, en 2004. Pas Mengistu. En 1999, lors d’une interview au journal sud-africain The Star, il expliquait que son régime était né d’une «révolution populaire». «Le soit-disant génocide était une guerre pour la défense de la révolution», justifiait-il, niant avoir ordonné la mort d’Haïlé Selassié. «Il avait 80 ans et il était très faible. Nous avons fait de notre mieux pour le sauver.» Mengistu accusait aussi l’ancien dirigeant russe Mikhail Gorbatchev d’avoir laissé tomber son régime et précisait que l’actuel gouvernement éthiopien, «ramassis de nationalistes et contre-révolutionnaires», ne possédait «aucune légitimité légale ou morale pour juger la révolution éthiopienne».



par Olivia  Marsaud

Article publié le 12/12/2006 Dernière mise à jour le 12/12/2006 à 16:24 TU