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Somalie

Mogadiscio, banale et déroutante

Les principaux chefs de guerre somaliens ont commencé à rendre leur armement lourd au gouvernement de transition, tandis que l'Union africaine (UA) se penchait, vendredi, sur le problématique déploiement d'une force de paix dans ce pays en guerre civile depuis 16 ans. Pendant ces discussions, au moins deux obus de mortier sont tombés sur le palais présidentiel. Après le départ des Tribunaux islamiques, la capitale somalienne présente un double visage, celui d'une ville sans loi où l'ordinaire côtoie l'absurde.

De notre envoyée spéciale à Mogadiscio

(Photo : Manu Pochez/RFI)
(Photo : Manu Pochez/RFI)

Une heure de retard. Non pas à cause de problèmes techniques, ou d’encombrements sur les pistes de l’aéroport de Nairobi. Non, une heure de retard parce que l’embarquement des ballots de qat prend beaucoup de temps. Les feuilles, fraîchement cueillies sur les arbustes des collines kenyanes, doivent arriver à Mogadiscio en début d’après-midi. La drogue, euphorisante, sera ensuite «broutée» jusqu’à la nuit. Et il y en a tellement, du qat, qu’après moult palabres, on se résout à transférer les bagages des passagers dans la cabine, où on les entasse sur les sièges arrière.

Le vol African Express, le premier vol commercial à partir pour Mogadiscio depuis la guerre express des Ethiopiens et du gouvernement de transition contre les Tribunaux islamiques, ne transporte de toute façon qu’une trentaine de passagers. Beaucoup de femmes, des enfants qui nous dévisagent… Nous sommes les seuls étrangers à bord de cet antique DC9 qui doit être presque aussi âgé que son pilote russe.

A l’arrivée sur «l’aéroport international de Mogadiscio», c’est la bousculade pour sortir. Le steward kenyan nous regarde d’un air inquiet. Il lance «take good care», faites gaffe… pendant qu’un autre passager, devant nous, lève le pouce en disant «OK». En fait d’aéroport international, un vaste hangar, fraîchement repeint. La foule est tenue à l’écart, derrière des barrières. Nous sommes dirigés vers ce que l’on nous désigne comme étant les services de l’immigration. Une table en bois brut derrière laquelle trois hommes sont assis sur des chaises en plastique. Ils arborent de beaux t-shirts propres… Un tampon sur le passeport, 50 dollars et un reçu sur lequel le nom de ma ville natale est laborieusement recopié à la place de mon patronyme. Maintenant, il faut un visa pour entrer en Somalie. Timide premier pas vers le rétablissement d’un Etat et d’un semblant de normalité ?

De la dentelle de pierres

(Photo : Manu Pochez/RFI)
(Photo : Manu Pochez/RFI)

C’est parti pour un tour de ville. Les vitres de la voiture sont teintées, deux hommes avec des Kalachnikov s’asseyent dans le coffre. Le tout dans une ambiance étrangement détendue. Et l’impression persiste lorsque l’on approche du marché Barakat. Certes, les rues sont défoncées, certes il y a des ordures un peu partout, mais finalement, ce n’est pas si différent de beaucoup de villes africaines. Par terre, des étals où les femmes voilées vendent des chaussures chinoises, du savon, quelques fruits. Les voitures peinent à se frayer un chemin, ça klaxonne, ça parle fort, ça s’invective. Les devantures des cybercafés et des salons de coiffure sont peintes de couleurs vives. Rien que de très ordinaire, finalement.

Et puis, soudain, un détail, saugrenu. Les voitures. Elles n’ont pas de plaques d’immatriculation. Un petit détail qui vient rappeler que l’on est ici dans un pays où l’Etat a disparu depuis seize ans. Il faut avancer plus loin vers la mer, s’approcher de ce que furent, autrefois, les quartiers résidentiels et administratifs, pour que tout bascule. Soudain, pratiquement plus de piétons ni de voitures. Et le long de ce qui fut sans doute une magnifique avenue, un paysage indescriptible. Des ruines, mais pas de simples ruines. De la dentelle de pierres, où les herbes folles poussent au milieu des gravats. L’ancien Parlement, des ministères, des ambassades, et, dressé comme en signe d’ironie, le fronton d’un bâtiment monumental sur lequel on lit, en italien, «Théâtre national».

L’interprète nous détaille ce que furent les bâtiments. Dans certains d’entre eux, des familles ont installé des abris. Ils vivent là, sans eau, sans électricité… Scène étrange que ces femmes assises par terre sur le bord de la route, comme surgies du néant.

Ils parlent de Zidane et de Thierry Henry

L’ambassade de France surplombe l’océan Indien, dont les vagues paresseuses viennent mourir sur une décharge à ciel ouvert. Quelques mètres plus bas, sur le terre plein face à la mer, des gamins jouent au football. Un peu à l’écart, les filles se cachent derrière leur voile pour commenter en riant les exploits de leurs champions. La scène est hallucinante. Le match de foot du jeudi après midi, début de week-end à Mogadiscio, dans un décor que l’on croirait de cinéma… Comme si un réalisateur génial avait imaginé, en carton pâte, la vie d’après l’apocalypse.

Ils ont seize ans, les joueurs de foot. L’âge du chaos à Mogadiscio. Ce décor-là, ils ont grandi dedans. Pourtant, lorsqu’ils interrompent la partie pour venir nous voir, ils parlent de Zidane et de Thierry Henry. «Moi, je ne sais pas ce que c’est qu’un gouvernement, explique Abdulkader. Mais on m’a dit que ça servait à rétablir la loi et l’ordre, et à donner de l’espoir aux gens. On ne voulait pas des tribunaux islamiques, parce qu’ils ne voulaient pas nous laisser jouer au football. Mais quand même, j’aimerais bien qu’on ait un gouvernement».

Dans cette ville sans loi, pourtant, Abdulkader et ses copains vont à l’école. Et l’adolescent explique qu’il travaille bien, parce qu’il veut devenir soit footballeur, soit docteur. Le match reprend, devant les ruines. Un jeudi après-midi ordinaire, dans une ville absurde où vivent des gamins comme les autres.



par Donaig  Le Du

Article publié le 19/01/2007 Dernière mise à jour le 19/01/2007 à 15:36 TU