Somalie
Lutte des clans et anarchie à Mogadiscio
(Photo : AFP)
De notre envoyée spéciale à Mogadiscio
Carrefour kilomètre quatre dans le sud de Mogadiscio. La route qui vient de l’aéroport, empoussiérée, est bondée de camions taxis qui klaxonnent à n’en plus finir. Un cycliste franchit un trottoir défoncé et se fait soudain alpaguer par un soldat, qui brandit son AK47 au-dessus de sa tête. D’autres hommes en armes surgissent des échoppes près desquelles ils étaient assis et menacent de concert le jeune homme qui semble à peine effrayé et poursuit sa route, sans que l’on sache quel était l’objet de la querelle qui aurait pu mal finir. La scène est à l’image de la situation totalement volatile à Mogadiscio ces derniers jours.
A quelques mètres de là, se situe un des quartiers généraux des «troupes gouvernementales», qu’occupaient il y a encore deux jours les soldats éthiopiens. Ceux-ci ont quitté les lieux après l’embuscade dont ils ont été victimes dimanche soir par, dit-on, des milices non identifiées. Des grenades lancées contre trois de leurs véhicules n’ont fait que des morts et des blessés civils. Le même scénario s’est répété mardi soir. Deux roquettes, suivies d’une intense fusillade pendant dix minutes, puis des échanges plus sporadiques pendant plusieurs heures. «Nous vivons cela depuis 16 ans maintenant», commentait négligemment un habitant du quartier mardi soir alors que les tirs se poursuivaient à quelques mètres de là. «J’ai lu dans un livre que les Somaliens aimaient trois choses : le clan, l’Islam et les chameaux. Ils ont abandonné les deux derniers et ne vivent qu’au nom de leur appartenance clanique», ajoute-t-il en riant.
Les chefs de guerre sont de retour
Les clans. Résumé trop rapide et révélateur de la guerre civile latente qui se joue à Mogadiscio depuis le 28 décembre, c'est-à-dire depuis la reprise par le gouvernement de transition, appuyé par les troupes éthiopiennes, de la majeure partie du pays, renvoyant les tribunaux islamiques dans le sud du pays, à la frontière avec le Kenya. La veille de la prise de la capitale, les «anciens» des sous-clans Hawiye majoritaire dans la région de Bénadir, et principal soutien des tribunaux islamiques qui se préparaient à fuir, avaient pourtant décidé de ne pas se battre pour éviter un bain de sang. Mais le désarmement en trois jours, puis par la force, déclaré unilatéralement par le Premier ministre Ali Mohamed Gedi, ainsi que l’attitude générale des nouveaux «hommes forts» en Somalie, qui sont revenus grâce à l’ennemi historique, l’Ethiopie, suscitent plus de rancoeurs que d’envie de coopérer à la pacification du pays. Les chefs de guerre sont revenus à Mogadiscio et contrôlent à nouveau la partie nord de la ville, à grands renforts de check-points et de rackets quotidiens.
Qanyare, Bashir Raghe - toujours en Ouganda, mais qui promet chaque jour de revenir - Musa Sudi Yahalow, ces chefs qui ont été achetés par la CIA pour former la brève alliance contre le terrorisme, défaite en un éclair en juin dernier par les tribunaux islamiques, ont d’ores et déjà raflé toutes les armes au marché. «Une kalachnikov valait un peu moins de cent dollars, il y a encore quinze jours. Elle en vaut désormais 350» explique un habitant du marché Bakara, non loin du marché aux armes. «Avant le mois de juin, je ne pouvais pas rentrer chez moi après 18 heures, explique un médecin qui travaille dans le nord de la ville. Lorsque j’étais payé chaque mois, je dépensais une somme folle en taxis pour prendre des chemins détournés et ne pas me faire attaquer, avant d’être rentré chez moi. J’ai peur que tout cela ne recommence. Les tribunaux avaient au moins instauré une certaine sécurité.»
Une réconciliation difficile
L’enjeu du gouvernement est donc de mettre en place cette «réconciliation» dont tout le monde fait les gorges chaudes. Une réconciliation plutôt mal amorcée. En début de semaine, des centaines de troupes venues du Puntland du sous-clan Majerteen, celui du président Abdulahi Yusuf, sous couvert de l’appellation «troupes gouvernementales» ont débarqué à Mogadiscio dans l’espoir, disent certains, de réhabiliter l’autorité des Darods (le clan de l’ancien dictateur Syad Barré et celui d’Abdulahi yusuf) contre l’hégémonie des Hawiye.
«Gedi a fait trop d’erreurs et n’a aucun soutien clanique, Yusuf est Majerteen et ne peut entamer un vrai dialogue. Ce que les Somaliens veulent, c’est un véritable gouvernement, qui saura nommer les personnes compétentes à de véritables postes», estime un somalien membre de la société civile.par Stéphanie Braquehais
Article publié le 10/01/2007 Dernière mise à jour le 10/01/2007 à 09:00 TU