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Somalie

Les vestiges des camps jihadistes

Les restes des armes lourdes abondonnées par les islamistes. 

		(Photo : Stéphanie Braquehais/RFI)
Les restes des armes lourdes abondonnées par les islamistes.
(Photo : Stéphanie Braquehais/RFI)
En l’espace de 24 heures, le 27 décembre, la plupart des responsables des Tribunaux islamiques ont fui la capitale somalienne pour se réfugier dans le sud du pays, à Kismayo. Puis, alors que les troupes éthiopiennes les encerclaient, ils se sont dirigés vers la frontière avec le Kenya. La semaine dernière, les Etats-Unis ont bombardé plusieurs localités dans cette zone forestière, dans le cadre de la traque contre des responsables présumés d’al-Qaïda. A Mogadiscio, beaucoup de miliciens sont restés avec leurs armes, suscitant l’inquiétude de la population. Le cimetière italien, profané en janvier 2005, était l’un des camps d’entraînement les plus célèbres de ces jihadistes.

De notre envoyée spéciale à Mogadiscio

Un dôme aux murs blancs décrépis. Des tombes à ossements où s’amoncellent des douilles de canons et des mines anti-tanks. Un canon de 85 millimètres de fabrication russe gît à quelques mètres d’un camion rouillé. Dans l’extrême nord-ouest de Mogadiscio, le cimetière italien fait figure de musée macabre et constitue encore l’un des endroits les plus dangereux de la capitale.

Malgré une escorte armée, les journalistes étrangers ne peuvent s’aventurer seuls ici. Nous sommes accompagnés du général Mohamed Nur Galal. Les yeux rieurs, le visage bonhomme, affublé d’un tee-shirt délavé et d’un vieux pantalon à pinces, qui pourrait deviner que cet homme est un général trois étoiles, ancien ministre et chef des renseignements sous Siad Barré, commandant les forces rebelles au début des années 90 qui a bouté hors de Mogadiscio l’ancien dictateur ?

Appartenant au sous-clan Ayr (Haber Gedir), principal soutien des Tribunaux islamiques, le général, qui par sa position d’homme respecté a pu rester relativement neutre durant ces six derniers mois, déambule dans le cimetière et désigne un large trou creusé dans la terre et caché par des broussailles. «Ici, en janvier 2005, les Tribunaux islamiques ont creusé un trou et retiré tous les corps pour les jeter un peu partout dans la ville. J’ai personnellement aidé à ramasser les 1200 corps pour les renvoyer en Italie».

Dans les tombes réservées aux ossements, on ne voit plus que des douilles de canons et d'armes automatiques. 

		(Photo : Stéphanie Braquehais/RFI)
Dans les tombes réservées aux ossements, on ne voit plus que des douilles de canons et d'armes automatiques.
(Photo : Stéphanie Braquehais/RFI)

«La population vit dans la peur»

Après la profanation du cimetière, les Tribunaux islamiques ont transformé cet endroit en camp d’entraînement de leurs milices shabab. Pendant deux ou trois mois, ces centaines d’hommes recrutés partout dans le pays et à l’étranger apprenaient les rudiments du Coran et surtout le maniement des armes. Parmi les détritus, j’aperçois un cahier d’écolier à la couverture bleu ciel, dont les coins semblent avoir été dévorés par les rongeurs. En le feuilletant, nous découvrons de longs paragraphes écrits en arabe, et de temps à autre, sur une pleine page, des dessins au stylo à bille coloriés en jaune et rouge. «Deux mines attachées ensemble, reconnaît le général Galal. Des explosifs et des canons. Ce cahier a dû appartenir à l’un des miliciens qui, dans sa fuite, l’a abandonné ici.»  

En l’espace de quelques heures, les responsables des Tribunaux islamiques ont fui la capitale, laissant la majorité de leurs stocks d’armes à la Villa Somalia ou dans d’autres quartiers généraux. Ces jihadistes, dont le nombre est estimé à 3 000, étaient commandés par Adan Hashi «Ayro», jeune protégé de Hassan Dahir Aweys, entraîné en Afghanistan, accusé de nombreux meurtres et qui a transmis sa science des explosifs aux milices de Mogadisio pendant plusieurs années. Selon plusieurs sources, il aurait fui avec ses deux épouses en Europe.

«La plupart des shabab sont encore à Mogadiscio, avec leurs armes, explique un membre de la société civile. Nous les voyons dans les rues, aux mêmes endroits qu’avant. La population vit dans la peur

Huit Pakistanais et un Soudanais ont été arrêtés

Dans le sud du pays, à la frontière avec le Kenya, les Etats-Unis ont lancé la traque contre les responsables présumés d’al-Qaïda, bombardant plusieurs localités de cette région forestière, où les troupes éthiopiennes ont été victimes d’embuscades et connu des pertes sévères. Après avoir annoncé la mort de Mohamed Abdullah Fazoul, cet homme d’origine comorienne considéré comme le cerveau des attentats contre les ambassades américaines à Dar es Salam et Nairobi en 1998, le Pentagone a finalement déclaré ne pas être en mesure de confirmer si la cible avait été atteinte. En attendant, des dizaines de civils sont morts et cette intervention américaine, la première officiellement reconnue depuis l’échec de l’opération Restore Hope au début des années 90, a été diversement accueillie à Mogadiscio.

«Les Américains avaient besoin de créer un ennemi pour justifier leur attaque, mais ils ont fait une grave erreur, commente un ancien du clan Hawiye Abgal, dans le vieux centre de Mogadiscio. De nombreux nomades sont morts pour rien au nom de la lutte contre le terrorisme». Le gouvernement de transition, dont le président, Abdulahi Yusuf, a posé pour la première fois le pied à Mogadiscio depuis son élection en octobre 2004, a lancé la traque contre les «terroristes étrangers».

Pour le porte-parole, Abdirahman Dinari, les attaques à la grenade qui ont visé à plusieurs reprises les troupes gouvernementales sont le fait de ces miliciens, qui ont refusé de rendre les armes. La semaine dernière, huit Pakistanais et un Soudanais ont été arrêtés alors qu’ils se trouvaient dans la mosquée al-Tabligh, l’un des bastions des éléments les plus fondamentalistes et lié à la mouvance al-Itihad dont sont issus de nombreux responsables des Tribunaux islamiques. Cette arrestation a été suivie d’une courte manifestation devant l’une des prisons de la capitale. «Les Somaliens sont musulmans depuis des siècles et n’ont jamais été attirés par les positions extrêmes, estime Ali Iman Shermae, le directeur de la radio Horn Afrik. Mais si le gouvernement ne montre aucun signe d’ouverture, c’est alors que ces positions fondamentalistes trouveront à nouveau un terreau favorable pour poursuivre leurs actions.»   



par Stéphanie  Braquehais

Article publié le 15/01/2007 Dernière mise à jour le 15/01/2007 à 12:38 TU