Guinée
Difficile amorce de dialogue
(Photo : AFP)
La situation en Guinée est toujours bloquée, après un mois environ de manifestations antigouvernementales qui ont provoqué au moins 113 morts et conduit le président Lansana Conté à décréter l’état de siège, lundi 12 février. Les patrouilles militaires circulent toujours dans les principales artères de la capitale, mais moins ostensiblement.
Les premiers contacts en vue d’une solution de la crise ont eu lieu jeudi, au Palais du Peuple, entre les syndicats et les institutions de la République. Selon l’envoyé spécial de RFI à Conakry, Olivier Rogez, «il est encore trop tôt pour dire si cette amorce de dialogue va déboucher, ou même aboutir. Pour le moment, il s’agit seulement d’une reprise des contacts». Madame Rabiatou Sérah Diallo, leader de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG), une des centrales syndicales à l'origine de la grève générale entamée le 10 janvier et relancée le 12 février, a en effet pu rencontrer jeudi les institutions et notamment Aboubakar Samparé, le président de l’Assemblée nationale, ainsi que deux officiers envoyés par le chef d’état-major, Kerfalla Camara, qui est actuellement «l’homme fort du pays».
Les deux parties ont ainsi pu établir un premier contact. La dirigeante syndicale a condamné les exactions commises par les militaires, dans certains quartiers, et elle a surtout demandé la levée de l’état de siège et le respect du protocole signé le 27 janvier, sur la nomination d’un Premier ministre de consensus. Les syndicats souhaitent un autre homme qu’Eugène Camara, nommé par le président Lansana Conté, pour diriger le gouvernement guinéen. Tandis que le président du Parlement a demandé aux syndicalistes de lever leur mot d’ordre de grève.
Toujours selon Oliver Rogez, «en attendant la réunion de samedi, tout le monde va se concerter : les syndicalistes et la société civile veulent pouvoir se rencontrer publiquement». Mais, comme le dit l’autre dirigeant syndical, Ibrahima Fofana, secrétaire général de l'Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG), «avec l’état de siège, on ne peut pas discuter, on ne peut pas élaborer d’ordre du jour, donc on ne peut pas travailler».
L’armée se montre plus discrète
L’armée guinéenne semble jouer l’apaisement. Le chef d’état major, le général Kerfalla Camara, né en 1941 et formé en Union Soviétique, est un fidèle du président Conté. Il s’est adressé à la télévision jeudi pour inviter les Guinéens au dialogue en vue «d’une sortie de crise». Les militaires se sont faits plus discrets que les jours précédents et «pour la première fois depuis le début de la semaine, les habitants n’ont pas été réveillés par des rafales de mitraillette».
Olivier Rogez souligne également que «la population semble particulièrement assommée par la brutalité de la répression qui s’est abattue depuis l’instauration de l’état de siège». Une des grandes priorités c’est d’abord de soigner les blessés, l’autre priorité c’est de trouver de quoi se nourrir. «La ville de Conakry est totalement paralysée et les marchés sont fermés, quand ils n’ont pas été pillés par des voyous ou même, parfois par des militaires, comme disent les habitants».
Inquiétudes de la communauté internationale
L’Union africaine (UA) est toujours inquiète au sujet de la crise en Guinée. Le Conseil de paix et sécurité (CPS) de l’UA s’est réuni à Addis-Abeba, vendredi, «pour plancher sur la situation très grave et très inquiétante qui prévaut en Guinée, depuis la déclaration, par le président Lansana Conté, de l’état de siège». Le CPS souhaite envoyer une mission en Guinée. Les responsables de l’UA se sont déclarés très préoccupés par les «violences et la répression» en Guinée. Le président de la Commission de l’UA, Alpha Oumar Konaré, a envoyé, mercredi, une lettre au président guinéen, condamnant «l’usage disproportionné de la force contre les populations civiles qui a entraîné de nombreuses pertes en vies humaines». Dans cette lettre il a également souligné les risques «d’instrumentalisation des forces armées e de sécurité», suite à l’entrée en vigueur de l’état de siège.
Réagissant à cette démarche, le président Lansana Conté a fait dire, par son ambassadeur à Addis-Abeba, qu’il était favorable à «un règlement pacifique» de la crise dans son pays. «Nous sommes pour un règlement pacifique de la crise dans le respect des institutions», a affirmé le représentant de Conakry auprès de l’UA. Néanmoins, il a exclu le départ du président Conté «qui a été élu en 2003 pour sept ans». Les syndicats et les partis d’opposition guinéens réclament le départ du président.
La France va évacuer des étrangers
A Cannes, dans le sud de la France, où s’est tenu le 24ème sommet Afrique-France, le président Jacques Chirac a annoncé, vendredi, que Paris se tenait prête à évacuer de Guinée des milliers de ressortissants français, libanais et américains. Le président français a souligné que le sommet a adopté une résolution «appelant fermement les autorités guinéennes à sortir de l’impasse et à protéger les populations civiles et à enclencher un processus politique». Le président ghanéen John Kufuor a considéré que la situation est «préoccupante» et a annoncé qu’une délégation de la Communauté des Etats de l’Afrique occidentale (Cedeao) et éventuellement de l’UA devra se rendre en Guinée «dans quelques jours».
Plusieurs organisations humanitaires internationales se sont également déclarées inquiètes par la situation en Guinée. Ainsi, Human Rights Watch (HRW) a affirmé vendredi que les forces de sécurité guinéennes se servaient de l’état de siège comme excuse «pour terroriser les citoyens». L’Internationale Crisis Group a déclaré jeudi que la Guinée est «au bord du gouffre» et pourrait connaître un «bain de sang» susceptible de déstabiliser les pays voisins tels que le Liberia, la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire.
La frontière entre la Guinée et la Guinée-Bissau a été fermée mercredi, par les autorités de Conakry. Le gouvernement de Bissau a pris une mesure identique, pour empêcher l’entrée de refugiés. Les deux pays ont une frontière commune de 300 kilomètres. Le président de Guinée-Bissau, Joao Bernardo «Nino» Vieira, a déclaré vendredi à RFI qu’il maintient le contact avec Lansana Conté et a démenti les informations selon lesquelles des soldats de son pays seraient intervenus en Guinée, lors de la répression des manifestants : «Nous pensons que c’est de la spéculation». Vieira a considéré que la «situation est sous contrôle, après le décret d’état de siège en Guinée».
Les autorités guinéennes ont par ailleurs rejeté la demande du Parlement européen qui voulait envoyer sur place une commisssion d'enquête.
par Antonio Garcia, Rédaction Internet (avec AFP)
Article publié le 16/02/2007 Dernière mise à jour le 16/02/2007 à 18:17 TU