Nigeria
Intrigues et jeux d'influence avant la présidentielle
(Photo: AFP)
L’exclusion du candidat de l’opposition, le vice-président Atiku Abubakar, de la course à la magistrature suprême a provoqué un choc politique dans le pays et laisse présager des élections agitées le 21 avril.
De notre correspondante à Abuja
«Atiku : la fin ?», titrait samedi l’un des gros tirages du Nigeria, le quotidien This Day. En une, la photo du vice-président Atiku Abubakar, candidat du parti d’opposition Action Congress (AC) et exclu de la course présidentielle. La publication de la liste des postulants à la magistrature suprême a provoqué un choc politique dans le pays. 24 heures après, une première manifestation a éclaté dans le Nord dont Atiku est originaire. «Pas d’Atiku, pas d’élections», clamaient la centaine de partisans. Dimanche, une rixe entre supporters du candidat de l’opposition et du parti au pouvoir a fait dix morts.
Atiku dénonce un complot
La commission électorale justifie sa décision en avançant un argument juridique. Selon l’article 137 de la Constitution, toute personne accusée de corruption par un tribunal ou un comité d’enquête administratif ne peut être candidat à des élections. Or, en février, Atiku Abubakar a été épinglé par l’Agence de lutte contre la corruption. Elle l’accuse d’avoir détourné plus de 100 millions de dollars de fonds publics. Un panel d’enquête nommé par le gouvernement a confirmé ces suspicions, rendant Atiku inéligible.
Le vice-président dénonce un complot. Il accuse le président Olusegun Obasanjo, d’avoir manipulé le comité d’enquête pour l’empêcher de se présenter. Obasanjo et Abubakar, de proches alliés sont devenus les pires ennemis. Le chef de l’Etat, au pouvoir depuis huit ans, n’a pas pardonné à son bras droit de s’être ouvertement opposé à un amendement de la Constitution qui lui aurait permis de briguer un troisième mandat.
Le vice-président n’a pas déclaré forfait. Il a déposé un recours en justice. Sa dernière chance pour que son nom soit remis sur la liste des candidats à la magistrature suprême. Une première audience doit avoir lieu vendredi. Mais certains, au sein de la commission électorale, brandissent déjà la menace d’un report des élections. «C’est une course contre la montre. Les cartes électorales sont en train d’être imprimés (…) un problème technique important va se poser si Atiku redevient candidat», estime le chercheur en géopolitique, Emmanuel Iga.
Le scrutin présidentiel est jugé crucial pour la stabilité du pays et de la région étant donné le poids démographique et politique du géant nigérian sur le continent. C’est la première fois, depuis l’indépendance en 1960, qu’un gouvernement civil élu doit succéder à un autre. Mais la transition «exemplaire», annoncée par le président nigérian est entachée de nombreuses intrigues politiques. Dernière en date : celle qui flotte autour de l’état de santé du candidat du Parti démocratique du peuple (PDP), Umaru Yar Adua, 56 ans, donné largement favori en tant que candidat du parti au pouvoir.
Il y a quinze jours, Umaru Yar Aduaa été évacué d’urgence en Allemagne pour des problèmes respiratoires. Pendant quelques heures, la rumeur l’a donné pour mort. Seul un entretien téléphonique entre le président et son dauphin, retransmis à la télévision, a permis de dissiper la fausse information. Les craintes sont restées. Le présidentiable, ancien gouverneur de l’Etat de Katsina (nord) a souffert par le passé de problèmes de reins. Peu connu des Nigérians, il peine à convaincre. Et selon certaines sources, des tractations sont toujours en cours au sein du PDP pour envisager un remplacement.
Le général Buhari refait surface
Au milieu de cet imbroglio politique, émerge un troisième candidat. Muhamadu Buhari, un général à la retraite, lui aussi originaire du Nord musulman et candidat du Parti démocratique du Nigeria (ANDP). L’homme a dirigé le pays d’une main de fer pendant 18 mois, avant d’être renversé par l’armée en 1985. Il a déjà été candidat contre Obasanjo en 2003. Il était arrivé second. Le général qui mène une campagne discrète, tente de profiter de ce climat de confusion politique.
«En posant cette candidature du gouverneur de Katsina (nord) et en invalidant la candidature d’Atiku, le président Obasanjo et ses amis ont réussis en quelque sorte à diviser la classe politique du Nord », explique Emmanuel Iga. «Le général Muhamadu Buhari est en train d’aborder ça en fin stratège pour essayer de se donner le maximum de chances de devenir, peut-être, le candidat de recours».
Enfin reste le delta du Niger, le poumon économique du pays secoué par la violence. La région et ses neufs états fédéraux peuvent faire basculer les élections. Depuis janvier, les sabotages, enlèvements et attaques d’installations pétrolières sont devenus routiniers, battant tous les records. Ils ont réduit de 20% les exportations de pétrole en 2006. L’accès aux ressources financières du pays, concentrées dans le delta, est un enjeu majeur. Lors des élections de 2003, des bandes armées avaient été «achetées» pour semer la terreur et influencer le scrutin.
La semaine dernière, six otages expatriés, dont un Français, ont été libérés. Mais le Mouvement d’émancipation du delta du Niger (Mend), un groupe séparatiste qui demande un meilleur partage des richesses pétrolières, a déjà annoncé d’autres enlèvements et de nouvelles attaques dans les semaines à venir.
par Léa-Lisa Westerhoff
Article publié le 21/03/2007 Dernière mise à jour le 21/03/2007 à 14:18 TU