Nigeria
Le drame du pétrole
(Photo: AFP)
L’incendie, mardi matin, d’un oléoduc dans un quartier populeux de Lagos, la capitale économique nigériane, a fait au moins 269 victimes, selon la Croix-Rouge nigériane. La Nigerian National Petroleum Corporation (Compagnie nationale pétrolière du Nigeria, NNPC), propriétaire de l'oléoduc, parle de 200 à 250 morts. Tandis que le quotidien nigérian This Day évoque des «rapports non officiels» faisant état d’au moins 1 000 victimes. Il y aurait en outre plus de 300 blessés. Selon les journaux nationaux, des hommes non identifiés avaient commencé à siphonner l’oléoduc la veille du 25 décembre. «La nouvelle s’est répandue dans les environs et de plus en plus de gens sont venus récupérer illégalement de l’essence jusqu’à l’explosion de mardi», rapporte This Day. Selon The Gardian, la foule, rassemblant des Nigérians «de 5 à 60 ans», était venue chercher son «bonus de Noël» en ces temps de pénurie d’essence dans le pays.
Livi Aguo-Nama
Porte-parole de la Société nationale des pétroles nigerians
«Même la chaleur peut provoquer un incendie d'oléoduc.»
Ce type de vandalisme est fréquent au Nigeria, notamment lorsque le carburant vient à manquer à la pompe, comme c’est le cas depuis plus de deux semaines. Une situation récurrente chez le huitième producteur mondial de brut qui importe 75% de ses besoins en produits raffinés, les quatre raffineries du pays fonctionnant seulement à 30% de leurs capacités. Selon un rapport de la NNPC, le pays a connu 2 258 actes de vandalisme sur ses oléoducs ces cinq dernières années. Et, pour la seule année 2005, la NNPC estime à plus de 650 000 tonnes le volume de pétrole détourné durant ces incidents qui tournent souvent au drame. Le plus meurtrier, qui a avait fait un millier de morts, a eu lieu en 1998 à Warri, dans le sud, et, en mai dernier, entre 150 et 200 personnes ont été brûlées vives dans l’explosion d’un oléoduc à Ilado Beach, village côtier de l’agglomération de Lagos.
Prises d’otages
La NNPC a annoncé sa volonté d’enterrer plus profond, et dans des zones inhabitées, quelque 5 000 km de pipeline, afin de les mettre hors de portée des pillards. Ce qui ne règlera pas le problème de fond. «C’est la honte de notre nation. Vous voyez où la faim mène les gens», a lancé Bola Tinubu, le gouverneur de l’Etat de Lagos, présent mardi sur les lieux du drame. En effet, au Nigeria, l’or noir est un enjeu économique mais aussi social et politique. Le pays tire plus de 95% de ses revenus en devises étrangères du pétrole mais peine à en redistribuer les bénéfices à la population, la corruption généralisée du secteur ne profitant qu’à une poignée d’hommes.
Le delta du Niger, au sud, qui abrite les réserves de pétrole et de gaz, est le théâtre de violences croissantes depuis des années. Le Nigeria perdrait 25% de sa production totale de 2,6 millions de barils/jour du fait d’attaques des infrastructures pétrolières, de séquestrations et d’enlèvements de personnel expatrié. Différents groupes armés, qui se financent grâce au trafic du pétrole, se partagent la région et terrorisent les populations locales tout en affichant des penchants sécessionnistes. Au cours des six derniers mois, quelque 600 personnes, dont deux Américains et un Britannique, ont péri dans des attaques et 187 travailleurs du pétrole ont été pris en otage par des groupes séparatistes ou des communautés locales.
Pour un meilleur partage des bénéfices
Apparu au début de cette année, le groupe séparatiste du Mouvement pour la libération du delta du Niger (Mend) fait beaucoup parler de lui. Il a revendiqué plusieurs opérations armées, des sabotages d’oléoducs et des prises d’otages, comme la dernière en date, celle de trois Italiens et d’un Libanais début décembre. Le Mend, qui dit lutter pour la communauté ijaw (14 millions de personnes, quatrième ethnie du pays), réclame un meilleur partage des bénéfices de la manne pétrolière et des compensations pour les dégâts environnementaux causés par l’extraction pétrolière. Le mouvement demande aussi la libération de différents détenus. Ses ennemis déclarés : le gouvernement fédéral nigérian, constitutionnellement propriétaire de toutes les richesses, et les compagnies étrangères comme Shell, Agip, Chevron ou Total, qu’il accuse de «piller» ces richesses avec la «complicité» du pouvoir.
Ce week-end, le mouvement a menacé, dans un communiqué, d’intensifier ses attaques. Un avertissement pris très au sérieux par les sociétés étrangères. On rappelle qu’en 1993, Shell avait abandonné ses puits en pays Ogoni, poussé par la colère des habitants et le Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (Mosop). Un mouvement fondé en 1990 par le défenseur des droits de l’homme et écrivain, Ken Saro Wiwa, exécuté en 1995 par le régime pétromilitaire de Sani Abacha. Aujourd’hui, même si les miliciens du delta naviguent entre activisme politique et banditisme économique, l’exaspération et la frustration des villageois n’ont pas faibli.
Extrême pauvreté
D’après le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), près des trois-quarts de la population nigériane vivent avec moins d’un dollar par jour. Les quelques projets de développement mis en place par les compagnies étrangères sont insuffisants. La plupart des localités du delta n’ont ni électricité ni service social de base. Les habitants sont victimes de maladies respiratoires et de la pollution de leurs zones de pêche. La pauvreté et le désœuvrement poussent les jeunes à rejoindre les groupes armés. La situation est d’autant plus explosive que les représailles menées par l’armée contre les milices font de nombreuses victimes civiles et que la région du delta, enchevêtrement de marécages, est très difficile à sécuriser.
L’instabilité qui prévaut au Nigeria se répercute sur les cours mondiaux du pétrole. Chaque attaque ou enlèvement augmente le prix du baril à Londres ou New York. Pour éviter cet effet papillon, Bola Tinubu, le gouverneur de Lagos, préconise de «lutter contre le chômage et le manque d’espoir dans le pays». «Nous devons nous préoccuper de savoir comment sauver des vies et pas comment faire de l’argent», dit-il. Ce serait déjà un bon début.par Olivia Marsaud
Article publié le 27/12/2006 Dernière mise à jour le 27/12/2006 à 17:23 TU