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Nigeria

Attaques, enlèvements et politique dans le delta

La station Shell d'Awoba, dans le delta du Niger, au Nigeria. Depuis les attaques de décembre dernier, la compagnie anglo-néerlandaise a déclaré l'état de force-majeure et quatre stations de pompages ont dû être fermées.(Photo: AFP)
La station Shell d'Awoba, dans le delta du Niger, au Nigeria. Depuis les attaques de décembre dernier, la compagnie anglo-néerlandaise a déclaré l'état de force-majeure et quatre stations de pompages ont dû être fermées.
(Photo: AFP)
Assez courantes, les prises d'otages dans le delta du Niger se résolvent souvent par de rapides négociations avec les communautés locales. Mais cela fait presque une semaine que les quatre expatriés, un Britannique, un Américain, un Hondurien et un Bulgare, enlevés mercredi sur un champ pétrolier en mer, sont détenus. Des revendications politiques ont été posées pour leur libération, ce qui selon un porte-parole de Shell, n'était pas arrivé au Nigeria depuis le retour à un régime civil en 1999.

De notre correspondante au Nigeria

Dans un communiqué, un mystérieux Mouvement d'émancipation du delta du Niger a exigé la libération de Dokubo Asari, le chef d'un groupe armé de la région et celle de Diepreye Alamieyeseigha, l'ex gouverneur de l'Etat pétrolier de Bayelsa, récemment destitué. Les deux hommes appartiennent à la communauté Ijaw, une ethnie forte d'une dizaine de millions de personnes. Tous deux ont été arrêtés à la fin de l'année dernière, le premier pour trahison et complot contre le chef de l'Etat, le second pour corruption. Tous deux sont jugés à Abuja. Leur arrestation avait donné lieu à des menaces contre les installations pétrolières, en particulier celle de Shell, premier producteur du Nigeria avec 900 000 barils par jour, sur un total de 2,6 millions.

En décembre, le dynamitage d'un oléoduc a forcé la compagnie anglo-néerlandaise à déclarer l'état de force majeure. Elle n'était plus en mesure d'honorer toutes ses commandes. Moins d'un mois plus tard, le jour de l'enlèvement, les attaquants s'en sont pris à un important oléoduc qui alimente le terminal de Forcados. Quatre stations de pompage d'une capacité de 106 000 barils par jour ont dû être fermées. C’est l’une d'entre elles, Benisede, qui a été de nouveau ciblée dimanche. Les affrontements entre les attaquants et les militaires en faction ont fait des morts dans les deux camps ; parmi les employés, on déplore un mort et une dizaine de blessés.

En s'attaquant au pétrole, le groupe armé s'en prend à l'Etat

Conséquence directe de ce dernier assaut, l'évacuation dimanche des 330 employés des quatre stations marque une nouvelle étape dans la crise. Shell assure qu'aucune évacuation générale n'est programmée. Les réparations de l'oléoduc alimentant Forcados vont néanmoins être retardées. La compagnie invoque de nouveau la force majeure. D'ores et déjà, les pertes cumulées se chiffrent en millions de dollars pour la compagnie et le Nigeria, premier producteur du continent.

En s'attaquant au pétrole, source de 96% des revenus à l'exportation, le groupe armé s'en prend aussi à l'Etat. La montée en puissance de la guérilla intervient alors que, selon les autorités, un contrôle accru a permis une réduction drastique du bunkering. Cette activité consiste à trouer les pipelines pour recueillir le brut et le charger sur des navires de contrebande. A ce jour, une quarantaine de ces tankers ont été saisis en mer. De quoi mécontenter les groupes armés qui vivent de ce trafic.

2007, élection présidentielle

La crise est aussi contemporaine d'un vif débat sur le partage du pouvoir et des ressources pétrolières dans la Fédération. En juillet dernier, une conférence nationale organisée par le gouvernement a achoppé sur cette question. Les délégués du sud demandaient qu'au moins 25% des revenus pétroliers, au lieu de 13, soient reversés aux Etats producteurs. Economiquement sous-développés en dépit de leurs ressources, ces derniers disent être marginalisés sur le plan politique.

Depuis décembre, sur ordre de la présidence nigériane, les forces de sécurité du delta du Niger ont été placées « en état d'alerte ». Mais la configuration de la zone pétrolifère - vaste et marécageuse, innervée de rivières - est propice à la guérilla. Dans un récent rapport, Amnesty international soulignait que des dizaines de milliers d’armes de type AK-47 ou lance-grenades circulent dans la zone, et chacune des 1 600 communautés villageoises du delta a accès à plusieurs dizaines de ces armes. L'approche de l’élection présidentielle de 2007 pourrait contribuer à amorcer la bombe.


par Virginie  Gomez

Article publié le 17/01/2006 Dernière mise à jour le 17/01/2006 à 13:48 TU