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Nigeria

Un géant pétrolier en panne de carburant

Depuis que le gouvernement a décidé, le 1er octobre dernier, de ne plus plafonner les tarifs des carburants, dans le cadre de la libéralisation de la distribution qui ne sera plus subventionnée, les syndicats agitent la menace d’une grève générale qui pourrait également affecter les exportations de brut. Après une semaine de forte agitation sociale, les stations-services avaient promis de maintenir leurs tarifs à 34 nairas le litre (soit 22 centimes d’euro ou 144 francs CFA). Mais ce dimanche, la plupart des distributeurs affichaient toujours des prix situés entre 45 et 40 nairas (de 150 à 170 CFA, 23 à 26 centimes d’euro). Et cela en dépit de négociations qui ont rassemblé la semaine dernière tous les acteurs de la crise du carburant : gouvernement, distributeurs, compagnies pétrolières et syndicats. Mais conjuguée avec une pénurie de carburant chronique, la déréglementation fait monter la tension sociale avec les prix de l’essence et du gazole.
Au Nigéria, le prix du carburant, est un enjeu social de premier plan. Essence ou gazole, pour rouler ou cuisiner, voire faire un brin de trafic frontalier, disposer d’un carburant bon marché, c’est la retombée minimum du pactole pétrolier que les 120 millions de Nigérians s’estiment en droit d’espérer, quand plus de 60 % d’entre eux survivent en dessous du seuil de pauvreté. D’autant qu’au Nigéria plus encore que n’importe où ailleurs, recettes pétrolières riment depuis toujours avec corruption et cassette politique sinon personnelle. D’ailleurs, avec 2, 6 millions de barils de brut vendus chaque jour et 16 milliards de dollars de revenus pétroliers par an, le Nigeria ne parvient pas a éponger sa dette extérieure de quelque 31 milliards de dollars. Pire encore, le deuxième producteur africain (après l’Angola), cinquième exportateur mondial, est obligé d’importer massivement du carburant pour répondre à sa propre demande (les chiffres sont pudiquement occultés). Pourtant, il dispose de quatre raffineries potentiellement dotées d’une capacité de traitement suffisante de 450 000 barils de brut par jour. Elles sont paralysées par la mauvaise gestion.

Privatisation et arrêt des subventions

Celle qui fonctionne le mieux, l’une des deux raffineries de Port-Harcourt (au sud du pays), traite seulement 40 % des 150 000 barils de brut quotidiens qu’elle était censée transformer en carburant. Sur le même site, la seconde raffinerie sudiste ne tourne aujourd’hui guère plus que celle de Wari (sud) ou de Kaduna (nord). D’ailleurs, le 15 octobre dernier, le président Olusegun Obasanjo a jeté l’éponge, expliquant que les quelques 400 millions de dollars investis ces six dernières années par les autorités dans la maintenance de ces installations «n’ont pas amélioré leurs performances de manière significative». Les quatre raffineries sont désormais en vente, dans le cadre d’une politique de privatisation dictée par le Fonds monétaire international et par la Banque mondiale, qui ne veulent plus investir à fonds perdu au Nigéria après avoir rééchelonné vainement sa dette en 2000.

Les investisseurs étrangers pourront faire acte de candidature d’ici le 14 novembre pour acheter jusqu’à 51% des parts des quatre raffineries nationales. Parallèlement, la production doit monter en force jusqu’à 3,3 millions de barils de brut par jour d’ici l’année prochaine grâce à la mise en exploitation de quatre nouveaux gisements off-shore (notamment dans les zones d’exploration partagée avec Sao Tome et Principe). A charge désormais pour le secteur privé de raffiner suffisamment de brut pour atteindre l’autosuffisance nationale. Jusqu’à présent, mille et une fourmis arrosaient en même temps la sous-région (Bénin et Niger en particulier), détaillant l’or noir nigérian au bord de routes hérissées de jerrycans et de bouteilles de rosé pétrolier. Mais le régime Obasanjo a aussi décidé de déréguler la distribution qu’il entend désormais livrer à la seule «libre concurrence». Pour les fuites, les passe-frontières aussi devront s’en arranger.

Jusqu’à présent, il en coûtait chaque année près de deux milliards de dollars à l’Etat nigérian pour subventionner les prix à la pompe. En échange, il fixait les tarifs. Une pompe à finance publique, si l’on additionne subventions et dépenses d’importation massives de raffiné. Une soupape pour éviter la guerre sociale, si l’on en juge par les émeutes sanglantes enregistrées à chaque tentative gouvernementale pour augmenter les prix des carburants. Le 20 juin dernier, par exemple, Lagos avait dû faire marche arrière, après avoir décidé de relever les tarifs de 50 %. Début octobre, l’annonce du déplafonnement des tarifs a relancé les prix à la hausse et remis les manifestants dans la rue, syndicalistes en tête. Le 8 octobre dernier, les distributeurs privés avaient promis aux syndicats de ramener le prix du carburant à son niveau antérieur de 34 nairas. La promesse n’a que rarement été suivie d’effet, les pompistes expliquant : «nous avons essayé de fixer le prix à 36,90 nairas le litre, mais ce n’est pas encore suffisant pour couvrir nos frais et nous permettre de dégager une marge».

«Les premiers effets de la dérégulation peuvent être durs à supporter pour les citoyens, mais ils pourront bientôt bénéficier de ses retombées à long terme», assure pour sa part un grand distributeur de carburant. «Les distributeurs ont montré qu’ils n’étaient pas des personnes de confiance», rétorque le secrétaire général du Congrès nigérian du travail (NLC), la principale centrale syndicale, qui promet des piquets de grève pour tout affichage au-dessus de 34 nairas. C’est le cas à Lagos comme à Abuja dans la majorité des stations services. Mais, ce 20 octobre, les autorités ont fait un geste d’apaisement en libérant sous caution six syndicalistes arrêtés la semaine dernière. Accusés «d’incitation au désordre public», ils risquaient jusqu’à trois ans de prison. Mais le président Obasanjo a choisi d’avoir la main légère et se félicite des faveurs internationales reconquises.

«Quand nous sommes arrivés au pouvoir il y a quatre ans, le Nigeria était un Etat paria. C’est du passé maintenant», dit le président Obasanjo, en allusion à la mise au ban international de son prédécesseur, Sani Abacha. Ce dernier avait en particulier été exclu du Commonwealth après la pendaison de militants Ogoni qui revendiquaient une plus juste redistribution de l’or noir. Réélu en avril dernier, le président Obasanjo brigue un siège au Conseil de sécurité pour le Nigéria et il s’apprête à accueillir, en décembre prochain, à Abuja, le prochain sommet du Commonwealth. D’ici là, il entend marquer la différence avec Abacha tout en se montrant un bon élève des libéraux de Bretton Woods. Mais pour les syndicalistes, le président Obasanjo n’en est pas moins le «Ponce Pilate» des prix à la pompe.



par Monique  Mas

Article publié le 20/10/2003

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