Nigeria
La vengeance des militaires fait des dizaines de morts
Les ethnies Tiv de l'Etat de Benue et Jukun de l'Etat de Taraba au sud-est du Nigeria, en conflit armé,prennent pour cible le détachement militaire déployé sur place pour calmer les tensions. La riposte militaire tourne au carnage. Il y aurait des dizaines de morts.
Depuis la mi-septembre les ethnies Tiv et Jukun de se battent pour la possession des terres à la frontière des Etats de Benue et de Taraba. Le gouvernement central a dû envoyer sur place un détachement militaire qui a pris position entre les belligérants avec une mission d'interposition et de maintien de l'ordre. Les soldats avaient des consignes strictes de neutralité. Mais des milices armées, présumées de l'ethnie Tiv, ont enlevé et sauvagement massacré dix-neuf soldats et officiers le 11 octobre dernier. Selon le chef d'état-major des armées, le général Alexander Ogumudia, ces militaires avaient déjà servi dans des opérations de maintien de la paix au Libéria et en Sierra-Leone. Ils auraient été tués en essayant de dégager des barrages posés sur une route, à la frontière entre les Etats en conflit.
Le président Olusegun Obasanjo, très ému, a participé aux obsèques des soldats le 22 octobre à Abuja. Il a déclaré que ces tueries étaient d'autant plus condamnables que «ces soldats avaient été tués par des individus qu'ils avaient fait le serment de défendre». L'Etat fédéral a dépêché sur place des troupes supplémentaires pour le rétablissement de l'ordre. Mais avant cela, des militaires ont mené des expéditions punitives pour venger leurs frères d'armes. Ces soldats justiciers auraient tué au moins 200 personnes et rasé les localités de Gbéji, Vaase, Anyin, et Zaki-Bian, le soir même des obsèques de leurs compagnons.
Face à la violence de la répression, les habitants de Zaki-Bian, non loin de l'endroit où les corps mutilés des militaires ont été retrouvés, dans l'Etat de Benue, auraient fui la ville. Selon le gouvernorat de Benue, les soldats seraient revenus sur les lieux désertés pour terminer leur besogne. Le marché de la ville aurait été entièrement brûlé et rasé. Ces représailles militaires ont suscité beaucoup d'indignation, surtout à Makurdi, la capitale de l'Etat de Benue, où des étudiants ont organisé des marches de protestation le mercredi 24 octobre. Ils ont érigé des barrages en mettant le feu à des pneus. La police a repoussé les manifestants à coup de gaz lacrymogène et les manifestations ont dégénéré en bataille rangée, faisant 13 nouvelles victimes. Le gouvernement de l'Etat de Benue a alors immédiatement instauré un couvre-feu pour une période illimitée, de dix-huit heures à six heures dans les principales villes de l'Etat, Makurdi et Gboko.
Chacun chez soi
Depuis 1999, le Nigeria est en proie à des violences religieuses et ethniques, au nord comme au sud du pays. Mais pour de nombreuses organisations de défense des droits de l'homme, et de l'avis même de certains officiers supérieurs de l'armée nigériane, les réponses apportées par l'Etat fédéral sont inadaptées. Il devrait préférer une opération policière à une expédition militaire. Déjà en décembre 1999, une opération militaire de rétablissement de l'ordre avait fait trois cents morts à Odi, une ville de l'Etat de Beyelsa, au sud du pays. Aujourd'hui, l'état-major des armées refuse d'imputer au détachement militaire envoyé à Benue la responsabilité des tueries dans cet Etat. Une enquête est ouverte, mais seulement par les autorités de Benue. Ces derniers événements montrent bien la fragilisation du système fédéral nigérian, qui traverse actuellement une période que les observateurs de la vie politique nigériane comparent à la situation d'affrontements ethniques d'avant la guerre du Biafra, à la fin des années 60.
Le Nigeria compte plus de trois cents ethnies, qui n'ont toujours pas trouvé, depuis l'indépendance en 1960, des raisons de ne plus s'entretuer. Les décideurs politiques avaient certainement compris que les populations de ce pays auraient du mal à nourrir un projet commun au sein de la même nation. C'est pourquoi, de douze Etats fédérés à la naissance de l'Etat nigérian, on est passé aujourd'hui à trente-six Etats. Le but avoué est d'installer des peuples sur des terres qui leur sont propres. Le système établi reconnaît aux différents Etats une certaine autonomie politique, mais une prééminence de l'Etat fédéral dans les domaines de l'armée et de la police. Les grandes orientations économiques incombent aussi au pouvoir central. Mais ces bonnes intentions n'ont jamais pu connaître une application simple et effective. L'armée régulièrement au pouvoir, (30 ans au total sur les 40 années d'indépendance), a toujours mis entre parenthèses les différentes constitutions du pays. L'expérience de l'Etat fédéral n'a donc que dix ans de vie réelle, mais hachée et perpétuellement reconsidérée.
Pour réaliser un certain équilibre géographique entre les différentes ethnies, l'administration coloniale britannique avait procédé à des déplacements et implantations de population, qui aujourd'hui sont source de querelle. Les populations «parachutées», souvent très entreprenantes suscitent des jalousies. Une banale dispute dans un bistrot peut dégénérer en une guerre clanique. Par ailleurs, le système fédéral nigérian a renforcé un sentiment identitaire ethnique qui veut que chacun reste chez soi. La conquête et la détention de tous les pouvoirs par le groupe dominant dans son «pays», est une règle admise qui ne laisse aucune place à l'ouverture. Mais si la détention du pouvoir politique local ne présente aucun souci pour les autochtones, assurés d'être élus par les leurs, il n'en est pas de même pour le pouvoir économique qui relève plus d'initiatives personnelles. Mais dans une conception largement admise, qui fait appel aux valeurs culturelles, nul ne peut être riche uniquement par et pour soi. On l'est plutôt par et pour une communauté. Ce rang social donne des pouvoirs à l'individu «riche» et aux siens. Or il est incongru et mal vu de faire fortune sur des terres qui n'ont pas vu naître ses ancêtres. C'est dans ce contexte de vie communautaire repliée sur elle-même, qu'il faut comprendre la propension des «autochtones» à s'arroger certains droits, au mépris de la loi, et au détriment des «étrangers». Un Haoussa, musulman, venu du nord et qui fait fortune dans une région musulmane du sud, entraîne dans son sillage les ressortissants de sa communauté et vit forcément avec eux dans des quartiers isolés. Ainsi vivent les groupes ethniques qui trouvent dans ce mode de vie des garanties sociales et une certaine sécurité. L'appartenance à une même religion n'est pas un critère d'intégration. Au Nigeria le droit du sol est le premier des droits.
Les guerres ethniques révèlent aujourd'hui les faiblesses d'un système fédéral, qui se veut démocratique, mais qui bute sur des réalités culturelles de contrôle et de répartition des pouvoirs politiques et économiques, dans une société hétéroclite.
Le président Olusegun Obasanjo, très ému, a participé aux obsèques des soldats le 22 octobre à Abuja. Il a déclaré que ces tueries étaient d'autant plus condamnables que «ces soldats avaient été tués par des individus qu'ils avaient fait le serment de défendre». L'Etat fédéral a dépêché sur place des troupes supplémentaires pour le rétablissement de l'ordre. Mais avant cela, des militaires ont mené des expéditions punitives pour venger leurs frères d'armes. Ces soldats justiciers auraient tué au moins 200 personnes et rasé les localités de Gbéji, Vaase, Anyin, et Zaki-Bian, le soir même des obsèques de leurs compagnons.
Face à la violence de la répression, les habitants de Zaki-Bian, non loin de l'endroit où les corps mutilés des militaires ont été retrouvés, dans l'Etat de Benue, auraient fui la ville. Selon le gouvernorat de Benue, les soldats seraient revenus sur les lieux désertés pour terminer leur besogne. Le marché de la ville aurait été entièrement brûlé et rasé. Ces représailles militaires ont suscité beaucoup d'indignation, surtout à Makurdi, la capitale de l'Etat de Benue, où des étudiants ont organisé des marches de protestation le mercredi 24 octobre. Ils ont érigé des barrages en mettant le feu à des pneus. La police a repoussé les manifestants à coup de gaz lacrymogène et les manifestations ont dégénéré en bataille rangée, faisant 13 nouvelles victimes. Le gouvernement de l'Etat de Benue a alors immédiatement instauré un couvre-feu pour une période illimitée, de dix-huit heures à six heures dans les principales villes de l'Etat, Makurdi et Gboko.
Chacun chez soi
Depuis 1999, le Nigeria est en proie à des violences religieuses et ethniques, au nord comme au sud du pays. Mais pour de nombreuses organisations de défense des droits de l'homme, et de l'avis même de certains officiers supérieurs de l'armée nigériane, les réponses apportées par l'Etat fédéral sont inadaptées. Il devrait préférer une opération policière à une expédition militaire. Déjà en décembre 1999, une opération militaire de rétablissement de l'ordre avait fait trois cents morts à Odi, une ville de l'Etat de Beyelsa, au sud du pays. Aujourd'hui, l'état-major des armées refuse d'imputer au détachement militaire envoyé à Benue la responsabilité des tueries dans cet Etat. Une enquête est ouverte, mais seulement par les autorités de Benue. Ces derniers événements montrent bien la fragilisation du système fédéral nigérian, qui traverse actuellement une période que les observateurs de la vie politique nigériane comparent à la situation d'affrontements ethniques d'avant la guerre du Biafra, à la fin des années 60.
Le Nigeria compte plus de trois cents ethnies, qui n'ont toujours pas trouvé, depuis l'indépendance en 1960, des raisons de ne plus s'entretuer. Les décideurs politiques avaient certainement compris que les populations de ce pays auraient du mal à nourrir un projet commun au sein de la même nation. C'est pourquoi, de douze Etats fédérés à la naissance de l'Etat nigérian, on est passé aujourd'hui à trente-six Etats. Le but avoué est d'installer des peuples sur des terres qui leur sont propres. Le système établi reconnaît aux différents Etats une certaine autonomie politique, mais une prééminence de l'Etat fédéral dans les domaines de l'armée et de la police. Les grandes orientations économiques incombent aussi au pouvoir central. Mais ces bonnes intentions n'ont jamais pu connaître une application simple et effective. L'armée régulièrement au pouvoir, (30 ans au total sur les 40 années d'indépendance), a toujours mis entre parenthèses les différentes constitutions du pays. L'expérience de l'Etat fédéral n'a donc que dix ans de vie réelle, mais hachée et perpétuellement reconsidérée.
Pour réaliser un certain équilibre géographique entre les différentes ethnies, l'administration coloniale britannique avait procédé à des déplacements et implantations de population, qui aujourd'hui sont source de querelle. Les populations «parachutées», souvent très entreprenantes suscitent des jalousies. Une banale dispute dans un bistrot peut dégénérer en une guerre clanique. Par ailleurs, le système fédéral nigérian a renforcé un sentiment identitaire ethnique qui veut que chacun reste chez soi. La conquête et la détention de tous les pouvoirs par le groupe dominant dans son «pays», est une règle admise qui ne laisse aucune place à l'ouverture. Mais si la détention du pouvoir politique local ne présente aucun souci pour les autochtones, assurés d'être élus par les leurs, il n'en est pas de même pour le pouvoir économique qui relève plus d'initiatives personnelles. Mais dans une conception largement admise, qui fait appel aux valeurs culturelles, nul ne peut être riche uniquement par et pour soi. On l'est plutôt par et pour une communauté. Ce rang social donne des pouvoirs à l'individu «riche» et aux siens. Or il est incongru et mal vu de faire fortune sur des terres qui n'ont pas vu naître ses ancêtres. C'est dans ce contexte de vie communautaire repliée sur elle-même, qu'il faut comprendre la propension des «autochtones» à s'arroger certains droits, au mépris de la loi, et au détriment des «étrangers». Un Haoussa, musulman, venu du nord et qui fait fortune dans une région musulmane du sud, entraîne dans son sillage les ressortissants de sa communauté et vit forcément avec eux dans des quartiers isolés. Ainsi vivent les groupes ethniques qui trouvent dans ce mode de vie des garanties sociales et une certaine sécurité. L'appartenance à une même religion n'est pas un critère d'intégration. Au Nigeria le droit du sol est le premier des droits.
Les guerres ethniques révèlent aujourd'hui les faiblesses d'un système fédéral, qui se veut démocratique, mais qui bute sur des réalités culturelles de contrôle et de répartition des pouvoirs politiques et économiques, dans une société hétéroclite.
par Didier Samson
Article publié le 25/10/2001