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Nigeria

<i>«La violence est récurrente à Kano»</i>

Les manifestations de protestation contre les frappes américaines en Afghanistan, qui ont viré à l'émeute, ce week-end, à Kano, dans le Nord du pays, ont fait plus de 100 morts, selon la Croix rouge. Pour Marc-Antoine Pérouse de Montclos, spécialiste du Nigeria, ces événements tiennent davantage à un antagonisme ancien qu'aux suites des attentats du 11 septembre.
RFI : Comment interprétez-vous les violences de Kano ?

Marc-Antoine Pérouse de Montclos : Je remets plutôt cela dans une dimension historique, parce qu'il y a des affrontements récurrents à Kano entre chrétiens et musulmans. Il y en a eu l'année dernière. Il y en a eu en 1995, en 1991. Il y en a eu dès 1953, d'autres en 1966, qui devaient d'ailleurs jouer un rôle important dans la motivation des biafrais qui allaient déclarer une sécession et essayer de quitter le Nigeria, convaincus que chrétiens et musulmans, que Ibos et Haoussas, ne pouvaient pas vivre ensemble. Donc cela s'inscrit dans une histoire ancienne d'affrontements réguliers qui sont en apparence religieux, dans la mesure où ils mettent aux prises des chrétiens et des musulmans. Mais ce qu'il faut voir derrière cette apparence religieuse, c'est que cela met aussi aux prises deux groupes économiques bien structurés qui, en fait, se disputent des parts de marché dans la région.

RFI : Les manifestations de protestation contre les frappes américaines auraient donc servi de prétexte à de nouveaux affrontements ?

M-A P.d.M. : Peut-être. Je n'ai pas assez de détails sur la manière dont se sont déclenchés les derniers événements. Mais dans les autres cas il y a eu, à chaque fois, un prétexte qui a mis le feu aux poudres qui était sous-tendu par des enjeux très largement économiques.

RFI : Faut-il voir dans l'application de la loi islamique dans plusieurs Etats du Nord, l'une des causes de ces tensions ?

M-A P.d.M. : Il est sûr que l'introduction de la Charia à partir de 1999, dans l'Etat de Zamfara, a ensuite rejaillit sur Kano et a accru les tensions entre chrétiens et musulmans. Ce que j'observe à chaque fois que je vais là-bas, c'est un état permanent de peur de l'autre. La moindre étincelle peut donc dégénérer en un incident beaucoup plus grave.

RFI : Que conclure des images de ces jeunes brandissant des portraits de Ben Laden dans les rues de Kano ?

M-A P.d.M : C'est difficile à dire. Il y a effectivement une jeunesse conscientisée, embrigadée par certains mouvements islamistes. Je pense aux Izalas, mais surtout au mouvement de Yahaya El Zakzaky qui est un cheikh ayant le soutien de l'Iran et qui tient des propos extrémistes. Parmi ses supporters, il y a des jeunes très conscientisés. Mais dès qu'il y a une manifestation, il y a aussi le phénomène des casseurs qui ne sont certainement pas très conscients de ce que peu représenter Ben Laden dans le monde.

RFI : Doit-on tout de même prendre en considération les affirmations selon lesquelles des Nigérians auraient des liens avec Al-Qaida, l'organisation d'Oussama Ben Laden ?

M-A P.d.M : Il y a un an ou deux, on a arrêté à l'aéroport de Lagos quelqu'un qui était en transit et qui serait mêlé aux attentats contre les ambassades américaines de Nairobi et Dar es Salaam, en 1998. On ne peut pas exclure qu'Al-Qaida ait des ramifications au Nigeria. En tous cas, il n'y a pour l'instant aucune information qui vienne prouver un lien entre Ben Laden et les activistes musulmans du Nigeria.

A lire: Le Nigeria, de Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Karthaka-IFRA, Paris, 1994.



par Propos recueillis par  Christophe CHAMPIN et Didier SAMSON

Article publié le 17/10/2001