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Nigeria

Des enfants comme cobayes ?

Trente familles nigérianes ont déposé, fin août, une plainte contre le géant pharmaceutique Pfizer devant un tribunal new-yorkais. Durant une épidémie de méningite en 1996, le laboratoire aurait en effet traité une centaine de jeunes malades avec un nouveau médicament, encore jamais testé sur des enfants. Sans informer les familles.
Une centaine d'enfants qui avaient contracté une méningite, durant l'épidémie qui a frappé le Nigeria en 1996, ont été traités avec le Trovan, un antibiotique fabriqué par la firme pharmaceutique américaine Pfizer. Dans le même temps, une centaine d'autres jeunes malades sélectionnés par l'équipe envoyée sur place par le laboratoire, ont pris un médicament standard dans le traitement de la méningite, le Ceftriaxone. Cet essai clinique avait pour but d'évaluer l'efficacité du Trovan. Mais à l'époque, le médicament n'avait encore jamais été testé sur des enfants. Cette affaire a été révélée par une série d'articles du Washington Post, en décembre 2000.

En portant plainte contre Pfizer devant la Cour fédérale de Manhattan, à la fin du mois d'août, trente familles nigérianes dont les enfants sont morts (11) ou ont été victimes de graves séquelles cérébrales ou motrices à la suite de leur traitement, ont donc voulu dénoncer l'attitude de la firme qui a mené d'une manière jugée «illégale» une expérimentation sur l'homme.

Pour les avocats des plaignants, Pfizer a profité du «chaos» dans lequel se trouvait le pays ravagé par une épidémie particulièrement meurtrière. Environ 16 000 personnes sont décédées durant cette période. La firme aurait violé la loi internationale en n'informant pas les familles des enfants du type de traitement dont il s'agissait, des risques mais aussi de leur droit de refuser de participer au test et de choisir un autre traitement ayant déjà fait ses preuves. La plupart des parents concernés ont affirmé qu'ils n'étaient absolument pas au courant du fait que leurs enfants faisaient office de cobayes pour tester un nouveau médicament. Alors que dans chaque cas, ils auraient dû faire part d'un consentement explicite et éclairé.

Les malades africains sont-ils des «cobayes» ?


Pfizer semble ne pas avoir respecté les procédures indispensables pour pouvoir mener de tels essais cliniques. En dehors de l'accord des familles, il était aussi nécessaire d'obtenir un feu vert officiel du comité national d'éthique. Ce qui semble n'avoir pas été le cas. Selon le Washington Post, Pfizer a, en effet, produit une lettre de l'hôpital de Kano qui autorise le laboratoire à utiliser le Trovan. Mais ce document a été antidaté et n'aurait, en fait, pas été écrit au moment de l'expérience mais un an plus tard, lorsque Pfizer a dû se justifier.

D'autre part, selon Pfizer : «L'étude a été bien conçue, bien exécutée, et a sauvé des vies». Le taux de mortalité de la population traitée grâce au Trovan pendant l'épidémie de méningite serait de 6%, un pourcentage comparable voire légèrement meilleur que celui obtenu avec les autres médicaments utilisés contre cette maladie. Marc Gastellu, responsable des opérations techniques à Médecins sans frontières, qui a dirigé l'intervention menée par cette organisation à Kano pendant l'épidémie de méningite, confirme : «Dans des conditions d'épidémie, il y a beaucoup de gens qui viennent en tardif. L'objectif est donc d'obtenir un taux de mortalité inférieur à 10%».

Pourtant, en 1999, face au nombre important de patients ayant souffert de séquelles graves à la suite d'un traitement à base de Trovan, la Food and Drug Administration (FDA), qui avait accordé l'autorisation de mise sur le marché américain en 1997, a pris la décision de restreindre l'utilisation de ce médicament pour les adultes et de l'interdire complètement dans le cas des enfants.

La mise en place de ce test sur de jeunes nigérians aurait été décidée pour répondre aux attentes du géant pharmaceutique en terme d'exploitation commerciale du médicament. Pfizer envisageait de faire du Trovan un antibiotique de référence dont la vente pourrait rapporter un milliard de dollars par an. Il a d'ailleurs permis d'engranger, lors de la seule première année de commercialisation, plus de 160 millions de dollars. Dans ce contexte, l'épidémie de méningite qui ravageait le Nigeria offrait une opportunité d'accélérer la série de tests nécessaires avant que les autorités américaines valident l'autorisation de mise sur le marché.

La procédure contre Pfizer vise pour les plaignants, d'une part à obtenir des dommages et intérêts pour le préjudice subit. D'autre part, à faire prononcer à l'encontre de la firme l'interdiction de mener ce type d'essais cliniques «illégaux» sur l'homme. Pour Marc Gastellu, une telle condamnation pourrait avoir des conséquences néfastes : «Cela me fait peur car il n'y a pas assez de recherche/développement dans les pays africains. Je crains que ce type d'interdiction ne fasse le lit de ceux qui ne veulent rien faire... Réaliser des essais cliniques sur le terrain est quelque chose d'indispensable. Mais il faut des garanties».

Cette affaire pose tout de même une question importante sur la tentation de certains laboratoires d'utiliser des malades africains comme cobayes à des fins commerciales. A ce propos, Marc Gastellu ajoute : «L'Afrique ne doit pas être un terrain d'expérience pour les Occidentaux. Mais je ne dis pas que Pfizer le faisait».



par Valérie  Gas

Article publié le 18/09/2001