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Nigeria

«<i>Les violences ne sont pas religieuses</i>»

Alors que les habitants de Lagos sont encore traumatisés par l’explosion d’une armurerie dans le vaste quartier d’Ikeja, la capitale économique du Nigeria a connu de sanglants affrontements ces derniers jours. Des affrontements entre ressortissants des communautés Yoroubas et Haoussas ont fait plus de 100 morts et 400 blessés au nord de la ville. Pour Hudu Ayuba, professeur de science politique à l’université Ahmadou Bello, à Zaria (Nigeria), cette violence récurrente est l’un des héritages de la dictature militaire, même si elle tient aussi à l’aggravation de la pauvreté et de l’insécurité.

RFI : Comment expliquez-vous les nouvelles violences de ces derniers jours à Lagos ?

Hudu Ayuba :
Ce n’est pas la première fois en effet. C’est une fois encore cette violence qui a commencé en 1999 entre Yoroubas (originaires de l’ouest) et Haoussas (originaires du nord musulman). Ce problème a, en fait, commencé avec la dictature militaire du général Sani Abacha (1993-1998). Lorsque son prédécesseur, Ibrahim Babangida, a annulé les élections présidentielles de 1993 remportées par Moshood Abiola [le milliardaire Yoruba, emprisonné par la suite, puis décédé quelques jours avant sa libération], beaucoup de Yoroubas ont rejoint l’opposition. Et quand Abacha est arrivé au pouvoir, il a fait la chasse aux ressortissants de cette communauté. Beaucoup ont été tués, par exemple la femme de Moshood Abiola, d’autres ont été arrêtés, dont l’actuel président Olusegun Obasanjo, certains sont partis en exil. Bref, les Yoroubas se sont sentis persécutés par les Haoussas, même si Abacha, qui était lui-même Haoussa, a également fait tuer des membres de sa communauté. Dès 1999, des Yoroubas se sont constitués en groupements, tels que l’Afenifere et son bras armé l’Odua People's Congress (OPC), qui revendiquent l’idée d’une race Yorouba. Cela a débuté à Ibadan et à Lagos. Ils cherchent tout simplement à chasser les «étrangers», à savoir les Haoussas ou les Ibos (originaires du sud du pays). Ces groupes sont très actifs.

Des responsables politiques en cause

RFI : Comment ces mouvements ont-ils pu s’implanter à ce point ?

HA :
C’est en grande partie de la faute des élites de ce pays. Il y a des problème de sécurité à Lagos que la police ne règle pas. Résultats, certains utilisent ces groupes pour assurer l’ordre. Certains gouverneurs d’Etats Yoroubas font même appel à eux. N’ayant pas obtenu ce qu’ils demandent, à savoir le remplacement de la police fédérale par des polices régionales, ils s’appuient sur des groupes tels que l’OPC.

RFI : Les Yoroubas ne sont tout de même pas les seuls à s’être constitués en milices ?

HA :
Effectivement. A Lagos, notamment, les Haoussas, qui ont été menacés plusieurs fois, ont également formé leurs propres groupements.

RFI : Qu’est-ce qui a déclenché les affrontements de ces derniers jours ?

HA :
Une fois de plus, c’est la rumeur qui semble être à l’origine de tout cela. Une première version veut que l’information a circulé selon laquelle l’explosion du quartier d’Ikeja a été causée par des Haoussas pour détruire l’ethnie Yorouba. C’est comme cela que tout aurait démarré. Une autre version circule à propos d’une bagarre entre un Haoussa et un Yorouba sur une gare routière qui aurait dégénéré.

RFI : Peut-on parler d’affrontements religieux ?

HA :
Ce n’est pas une lutte religieuse à proprement parler. Il y a des Yoroubas musulmans (une minorité d’entre eux sont de confession islamique) qui tuent d’autres musulmans Haoussas ! Il y aussi des Yoroubas qui tuent d’autres Yoroubas dans d’autres villes pour de simples luttes de succession. La violence a aussi une origine politique. Certains responsables ont émergé en 1999, d’autres ont été laissés pour compte. Ils utilisent leur communauté pour revendiquer leur part du gâteau. Si on combine cela avec le chômage et la pauvreté qui règnent au Nigeria, c’est très facile de distribuer quelques billets à des jeunes sans emploi en leur disant : «vous n’avez rien car les autres ont tout pris».

RFI : Depuis l’arrivée au pouvoir d’Olusegun Obasanjo, en 1999, environ dix mille personnes ont péri dans divers affrontements. Comment expliquer cette violence ?

HA :
C’est paradoxalement le revers de l’avènement de la démocratie, en 1999. Les gens s’expriment plus librement, alors qu’avant la répression était systématique. Parallèlement, l’Etat n’arrive ni à s’imposer, ni à satisfaire les besoins primaires de la population. L’absence d’Etat a aussi fait que le gens font eux-mêmes leur loi. Quand il intervient, c’est pour envoyer l’armée qui ajoute aux massacres et se fait elle-même décimer. Et quand cette institution garante de l’unité nationale est attaquée, c’est l’Etat qui s’en trouve affaibli.

RFI : Comment percevez-vous l’attitude du président Obasanjo face à ces nombreuses violences ?

HA :
Il n’a pas les moyens de contrôler la situation. Il a pris le parti de la laisser pourrir. Il n’y a aucune tentative de négociations au niveau local ou de séminaires pour pousser les gens à se parler. On nomme des commissions d’enquête, dont on ne voit jamais les résultats, puisque ceux qui sont derrière les violences, notamment celles de Kaduna l’année dernière, ne sont pas condamnés. Le Nigeria n’a certes pas les moyens d’assurer le contrôle de son territoire, mais l’attitude d’Obasanjo est suicidaire.



par Propos recueillis par Christophe  CHAMPIN

Article publié le 05/02/2002