Nigeria
Lendemains de catastrophe
Près d’une semaine après l’incendie qui a détruit le dépôt de munitions du quartier d’Ikéja à Lagos, le gouverneur de la capitale économique parle de plus d'un millier de morts, mais le bilan non-officiel s’établit à des milliers de victimes. Sur place, notre envoyé spécial, a vu la détresse des habitants.
De notre envoyé spécial à Lagos
Ikéja, un des plus vieux quartier du nord de Lagos aurait pu être confondue à Kaboul en pleine frappes américaines. Seulement le quartier des familles nombreuses par excellence n’a pas de chaîne de montagne. En dehors des usines, de l’aéroport international et des villas cossues des dignitaires yoruba comme celles de feu Moshood Abiola, l’opposant milliardaire et de l’ex-numéro deux du régime Sani Abacha le général Oladipo Dia, Ikéja a bien une banlieue surpeuplée avec des habitations précaires…
Depuis dimanche Ikéja offre le visage d’une zone pilonnée à l’arme lourde par l’ennemi. L’ennemi destructeur, c’est le dépôt de munitions de transit «l’ATD», le magasin où l’on entrepose depuis le milieu des années 1970 l’arsenal de neuf différentes unités. L’infrastructure n’a jamais été réfectionnée malgré de nombreux avertissements du commandant de la garnison, le général de brigade George Emdin et des épouses de soldats hébergés dans le camp.
Dimanche dernier, c’est un incendie anodin d’une rue voisine qui atteint le vieux dépôt. Une série de violentes explosions s’en suit. Les Nigérians s’affolent et croient à une remise en cause du processus démocratique. Panique, bousculade. La tragédie arrive. Les quartiers Ikéja, Oshodi, Isolo payent un lourd tribut. Des morts, des disparus mais aussi d’énormes dégâts, comme si un gigantesque incendie de forêt était passé par là.
Le canal de la mort
Long de 30 kilomètres environ, le canal d’Ajao Estate est recouvert de gros nénuphars laissant penser à de la terre ferme. Très profond et au fond vaseux il a été pour beaucoup, dimanche, un gouffre et un trou mortels. Lundi on y a découvert l’horreur. Des pêcheurs et des volontaires y repêchent, depuis lors, des centaines de corps. Les cadavres sont allongés. Pour la plupart il s’agit d’enfants de 6 à 13 ans. L’image est insoutenable. Des cris de rage et de furie fusent et accueillent la découverte macabre.
Au milieu de la foule, soudain, les cris de détresse d’une quinquagénaire. Elle se jette à terre, s’arrache les cheveux… On comprend très vite. Dans l’amoncellement des corps, Madame Tutu Emabuna a reconnu ses trois enfants. Impossible de la consoler et de la contenir. Elle finit sur le brancard de la Croix rouge.
Emmanuel Mukwolo a transmis mardi son chagrin et son émotion à tout le monde sur les berges de Isolo. Il découvre le cadavre, son rejeton de 13 ans repêché aussi dans les eaux. Il emballe la dépouille du petit Chinelu, s’agenouille et entonne un cantique de circonstance. «Pourquoi ne chantes-tu pas avec moi ?» lance t-il au corps inanimé de son enfant. «Au nom du Dieu Tout-Puissant…lève-toi» ordonne encore le père. Des sanglots éclatent dans l’assistance…On éloigne Emmanuel qui avait programmé pour lundi un voyage aux Etats-Unis pour son fils.
Au bord du canal et à la morgue de l’hôpital général d’Ikéja chaque identification de corps déclenche le même scénario… Dans cette tragédie qualifiée «d’Hiroshima» et d’un «deuxième 11 septembre» par les Nigérians eux-mêmes, le canal a englouti des milliers de personnes. Patrick Bawa le porte parole de la Croix rouge confesse que ses registres ont consigné 4000 noms de disparus. On est bien loin des 600 morts officiels annoncés par le pouvoir ! La presse nigériane s’accorde sur au moins 2000 victimes et 20 000 sans-abri. Les avis de recherche inondent les médias. Après de vaines tentatives à la morgue et au bord du canal de la mort, Richard et Adéyemi, à la recherche de proches ont choisi de circuler avec des photos, portraits grand format de leurs parents disparus, à l’image de l’attitude des New yorkais au lendemain du 11 septembre.
Les écoles et d’autres casernes ont recueilli les familles. Plusieurs fois par jour les pick-up de l’Unicef et de la Croix rouge, les camions de l’armée et des ONG nigérianes comme le bon Samaritain déchargent couvertures, eau potable, médicaments, matelas et couvertures. La distribution donne lieu à des scènes de bousculade ; la police nigériane intervient à coups de cravache par moments.
Le gouvernement fédéral très critiqué pour sa gestion de la catastrophe essuie revers sur revers. Malgré la mise en place d’un comité, malgré les excuses du Président Obassanjo à la télévision nigériane et malgré les annonces de crédits à allouer aux victimes, le vice-président Abubakar Attiku a été interdit d’accès à Ikéja jeudi par une foule en colère…Il était pourtant mandaté par le président Obassanjo.
A Lagos, au bureau du Gouverneur Bola Tinubu, les dons affluent…émanant surtout de la communauté yoruba, l’ethnie du sud-ouest du pays. Des sénateurs de la région ont aussi réagi en offrant des chèques. La société nationale de crédits a décaissé de ses immenses revenus 100 millions de nairas (860 000 dollars environ). Mais tout cela est loin de sécher les larmes des familles éplorées et de taire leur révolte…Les Nigérians connaissent bien la lenteur, l’inefficacité et le degré de corruption des services publics nigérians. Ils savent que le dédommagement prendra du temps.
Ikéja, un des plus vieux quartier du nord de Lagos aurait pu être confondue à Kaboul en pleine frappes américaines. Seulement le quartier des familles nombreuses par excellence n’a pas de chaîne de montagne. En dehors des usines, de l’aéroport international et des villas cossues des dignitaires yoruba comme celles de feu Moshood Abiola, l’opposant milliardaire et de l’ex-numéro deux du régime Sani Abacha le général Oladipo Dia, Ikéja a bien une banlieue surpeuplée avec des habitations précaires…
Depuis dimanche Ikéja offre le visage d’une zone pilonnée à l’arme lourde par l’ennemi. L’ennemi destructeur, c’est le dépôt de munitions de transit «l’ATD», le magasin où l’on entrepose depuis le milieu des années 1970 l’arsenal de neuf différentes unités. L’infrastructure n’a jamais été réfectionnée malgré de nombreux avertissements du commandant de la garnison, le général de brigade George Emdin et des épouses de soldats hébergés dans le camp.
Dimanche dernier, c’est un incendie anodin d’une rue voisine qui atteint le vieux dépôt. Une série de violentes explosions s’en suit. Les Nigérians s’affolent et croient à une remise en cause du processus démocratique. Panique, bousculade. La tragédie arrive. Les quartiers Ikéja, Oshodi, Isolo payent un lourd tribut. Des morts, des disparus mais aussi d’énormes dégâts, comme si un gigantesque incendie de forêt était passé par là.
Le canal de la mort
Long de 30 kilomètres environ, le canal d’Ajao Estate est recouvert de gros nénuphars laissant penser à de la terre ferme. Très profond et au fond vaseux il a été pour beaucoup, dimanche, un gouffre et un trou mortels. Lundi on y a découvert l’horreur. Des pêcheurs et des volontaires y repêchent, depuis lors, des centaines de corps. Les cadavres sont allongés. Pour la plupart il s’agit d’enfants de 6 à 13 ans. L’image est insoutenable. Des cris de rage et de furie fusent et accueillent la découverte macabre.
Au milieu de la foule, soudain, les cris de détresse d’une quinquagénaire. Elle se jette à terre, s’arrache les cheveux… On comprend très vite. Dans l’amoncellement des corps, Madame Tutu Emabuna a reconnu ses trois enfants. Impossible de la consoler et de la contenir. Elle finit sur le brancard de la Croix rouge.
Emmanuel Mukwolo a transmis mardi son chagrin et son émotion à tout le monde sur les berges de Isolo. Il découvre le cadavre, son rejeton de 13 ans repêché aussi dans les eaux. Il emballe la dépouille du petit Chinelu, s’agenouille et entonne un cantique de circonstance. «Pourquoi ne chantes-tu pas avec moi ?» lance t-il au corps inanimé de son enfant. «Au nom du Dieu Tout-Puissant…lève-toi» ordonne encore le père. Des sanglots éclatent dans l’assistance…On éloigne Emmanuel qui avait programmé pour lundi un voyage aux Etats-Unis pour son fils.
Au bord du canal et à la morgue de l’hôpital général d’Ikéja chaque identification de corps déclenche le même scénario… Dans cette tragédie qualifiée «d’Hiroshima» et d’un «deuxième 11 septembre» par les Nigérians eux-mêmes, le canal a englouti des milliers de personnes. Patrick Bawa le porte parole de la Croix rouge confesse que ses registres ont consigné 4000 noms de disparus. On est bien loin des 600 morts officiels annoncés par le pouvoir ! La presse nigériane s’accorde sur au moins 2000 victimes et 20 000 sans-abri. Les avis de recherche inondent les médias. Après de vaines tentatives à la morgue et au bord du canal de la mort, Richard et Adéyemi, à la recherche de proches ont choisi de circuler avec des photos, portraits grand format de leurs parents disparus, à l’image de l’attitude des New yorkais au lendemain du 11 septembre.
Les écoles et d’autres casernes ont recueilli les familles. Plusieurs fois par jour les pick-up de l’Unicef et de la Croix rouge, les camions de l’armée et des ONG nigérianes comme le bon Samaritain déchargent couvertures, eau potable, médicaments, matelas et couvertures. La distribution donne lieu à des scènes de bousculade ; la police nigériane intervient à coups de cravache par moments.
Le gouvernement fédéral très critiqué pour sa gestion de la catastrophe essuie revers sur revers. Malgré la mise en place d’un comité, malgré les excuses du Président Obassanjo à la télévision nigériane et malgré les annonces de crédits à allouer aux victimes, le vice-président Abubakar Attiku a été interdit d’accès à Ikéja jeudi par une foule en colère…Il était pourtant mandaté par le président Obassanjo.
A Lagos, au bureau du Gouverneur Bola Tinubu, les dons affluent…émanant surtout de la communauté yoruba, l’ethnie du sud-ouest du pays. Des sénateurs de la région ont aussi réagi en offrant des chèques. La société nationale de crédits a décaissé de ses immenses revenus 100 millions de nairas (860 000 dollars environ). Mais tout cela est loin de sécher les larmes des familles éplorées et de taire leur révolte…Les Nigérians connaissent bien la lenteur, l’inefficacité et le degré de corruption des services publics nigérians. Ils savent que le dédommagement prendra du temps.
par Jean-Luc Aplogan
Article publié le 02/02/2002