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Nigeria

Le gouvernement déclare la charia anticonstitutionnelle

Une douzaine d’Etats dans le nord de la république fédérale du Nigeria ont adopté, depuis janvier 2000, la charia, la loi islamique. Son application soulève beaucoup d’indignation dans le monde, mais aussi au Nigeria qui se veut en principe un pays laïc. Mais c’est au nom de la cohésion nationale que le gouvernement fédéral déclare aujourd’hui, l’adoption de la charia anticonstitutionnelle.
«Un musulman ne devrait pas être soumis à une punition qui ne serait pas appliquée à d’autres Nigérians pour la même infraction. Une telle disparité n’est pas seulement contraire à la constitution, mais aussi à l’équité. La stabilité, l’unité et l’intégrité de la nation sont menacées». Ce sont les termes choisis par le ministre de la Justice Kanu Agabi, pour remettre en cause l’adoption de la charia, comme loi fondamentale dans certains Etats musulmans du nord du Nigeria. Le gouvernement fédéral nigérian s’était montré très prudent sur les questions religieuses, au point d’être accusé de laxisme par de nombreuses associations de défense des droits de l’homme. Mais la question paraissait très délicate pour Olushegun Obasanjo, président de la République, mais surtout chrétien originaire du sud. Interrogé sur le silence du gouvernement, il se plaisait à comparer la charia à une mode appelée à disparaître assez rapidement.

Contrairement à cette analyse, c’est plutôt un effet contagieux qui s’est répandu dans les Etats du nord. Entre 2000 et 2002, douze Etats sur dix-neuf ont adopté la charia, en annonçant une précaution discriminatoire dans son application. Les chrétiens et animistes sont exclus des sentences prononcées par la cour islamique et sont soumis aux compétences des juridictions républicaines dont l’existence n’est pas remise en cause.

Cette justice à deux vitesses n’a, malgré tout, pas eu du mal à fonctionner, les populations étant majoritairement musulmanes. Les vrais problèmes sont apparus avec les types de sanction recommandés par la charia. Le champs d’action de cette justice qui couvre aussi qui les libertés individuelles et régit les comportements des citoyens, a heurté autant l’opinion nationale nigériane qu’internationale. En effet la peine de mort pour adultère, l’amputation des membres pour vol, flagellation en public pour des rapports sexuels avant ou hors mariage, sont autant de peines qui renvoient à un autre âge.

Les rivalités ethniques font le lit de la religion

La récente condamnation de Safya Husseini, à la peine capitale par lapidation, par la cour d’appel islamique de Sokoto, a suscité beaucoup d’interrogation, même au Nigeria, sur le sens et la pertinence aujourd’hui de telles pratiques. A travers le monde de nombreuses sympathies se sont manifestées en faveur de la jeune femme. De nombreuses associations ont appelé leurs sympathisants à se rendre au Nigeria pour assister au procès ajourné de Safya. Le Nigeria, montré du doigt comme un Etat archaïque a conduit le gouvernement à changer d’attitude pour s’inscrire dans une ligne «moderne», depuis qu’il est assuré du «non-alignement» des Etats musulmans du sud. Ils sont en, majorité composés de Yoruba, une ethnie en rivalité hégémonique avec les Haoussa, musulmans du nord.


Mais les populations du sud sont moins unitaires que celles du nord. Les Yoruba sont à la fois musulmans et chrétiens, et s’opposent par ailleurs à d’autres chrétiens, les Ibo, qui avaient déjà tenté une sécession dans les années 70 et entraîné la fameuse guerre du Biafra. Les rivalités religieuses au Nigeria ont aussi une connotation ethnique. L’adoption de la charia, son application et l’interprétation de certaines dispositions ont fini par exacerber les tensions qui ont déjà fait plus 2000 morts. L’Association des chrétiens du Nigeria avait condamné l’adoption de la charia en accusant le gouvernement de renoncer à garantir les libertés individuelles et surtout le cosmopolitisme de la République. Néanmoins l’archevêque John Onaiyekan, président de la conférence des évêques catholiques se réjouit de la décision du gouvernement, «c’est ce qu’on leur avait dit de faire il y a deux ans. Ils ne nous avait pas écouté à l’époque», a-t-il déclaré.

En revanche, un maître coranique originaire du nord, Ahmed Murtala juge la décision du gouvernement discriminatoire. «Le gouvernement veut tout simplement détruire la charia. Les musulmans ne le toléreront pas. C’est une persécution religieuse et nous allons réagir», a-t-il affirmé. En effet les Etats du nord concernés et ayant adopté la charia préparent une riposte à la décision du gouvernement. Il est vrai qu'il n’appartient pas à ce dernier de décréter qu’un acte est anticonstitutionnel. Cette prérogative, au Nigeria, incombe à la cour suprême, or le gouvernement n’a pas l’intention de la saisir comme l’a précisé le ministre de la Justice. Dans ce cas on se pose la question du sens des déclarations solennelles du gouvernement.

En tout cas,l’Etat fédéral qui a choisi la confrontation doit préparer aussi une longue bataille constitutionnelle avec les Etats musulmans du nord.



par Didier  Samson

Article publié le 22/03/2002