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Nigeria

Obasanjo fragilisé à six mois de la présidentielle

Le bilan des affrontements interreligieux, qui ont secoué la semaine dernière le Nigeria en raison de l’organisation à Abuja de l’élection de Miss monde, n’en finit pas de s’alourdir. Deux cent quinze personnes ont été tuées, plus d’un millier blessées tandis que 30 000 autres ont été déplacées à Kaduna, une ville du nord du pays où se sont concentrées les émeutes de ces derniers jours. Ces affrontements interviennent à six mois de l’élection présidentielle et risque de peser lourdement sur la candidature du président Olusegun Obasanjo. Ils mettent surtout en lumière le fragile équilibre politique sur lequel repose le géant de l’Afrique.
«Le monde va enfin découvrir que nous ne sommes pas aussi mauvais qu’on le dit», s’était exclamé Afgani Darebo, la première Nigériane à avoir décroché le titre de Miss Monde, en recevant sa distinction qui faisait du Nigeria le prochain pays organisateur de ce concours très médiatisé. L’événement devait en effet permettre au monde de découvrir sous un autre jour ce pays dont on ne parle souvent qu’en terme de violence. Les autorités espéraient même placer à cette occasion sur les fonts baptismaux les premiers jalons d’une industrie touristique, jusqu’à présent quasi-inexistante. Mais c’était sans compter les affrontements religieux qui ont enflammé le pays la semaine dernière après la parution d’un article jugé blasphématoire par les musulmans dans lequel l’auteur, qui rendait hommage aux Miss, affirmait que le prophète Mahomet aurait pu choisir une épouse parmi les candidates.

Ces émeutes interreligieuses, qui ont déjà coûté la vie à plus de 200 personnes et poussé 30 000 autres à quitter leur foyer, se sont concentrées dans la ville de Kaduna, une agglomération qui a déjà été le théâtre de violents affrontements entre chrétiens et musulmans au moment de l’introduction en 2000 de la charia dans l’Etat qui porte le même nom. Deux milles personnes avaient à l’époque été tuées. Kaduna semble à cet égard cristalliser les violences entre les différentes communautés religieuses et pour certains la grave crise économique qui secoue cet Etat du Nord est largement responsable de ces tensions. Des habitants expliquent ainsi que la religion semble avoir fourni un prétexte à des jeunes désoeuvrés et à l’affût de toute occasion de se livrer au pillage. Mais la pauvreté ne suffit pas à expliquer à elle seule le succès grandissant de ce retour à un islam rigoriste. Et pour de nombreux analystes, l’échec du modèle occidental au Nigeria, caractérisé par une corruption généralisée, est largement mis en cause.

Des émeutes qui affaiblissent le président Obasanjo

Les affrontements de Kaduna interviennent à six mois de la présidentielle nigériane au cours de laquelle le président Olusegun Obasanjo doit remettre en jeu son mandat. En se prononçant en faveur de la tenue de l’élection de Miss Monde à Abuja, le chef de l’Etat, un chrétien du Sud qui a été élu en 1999 grâce aux voix des musulmans du Nord, s’est sans aucun doute mis à dos une grande partie de son électorat. Pourtant l’homme avait pris soin de ne pas attaquer de front les douze Etats du nord du pays qui ont instauré la loi islamique. Le gouvernement avait certes déclaré, en mars dernier, la charia anticonstitutionnelle en vertu du caractère laïc du pays. Mais manque de moyens ou surtout absence de volonté politique, il n’est toutefois pas allé, jusqu’à appliquer sa décision et cela au grand dam des défenseurs des droits de l’homme.

Depuis l’introduction, il y a trois ans, de la charia dans 12 des 19 Etats du nord du pays, les affrontements entre chrétiens et musulmans ont déjà fait plus de 10 000 morts. A quelques mois de l’élection présidentielle, les récentes émeutes de Kaduna ne font donc que confirmer l’échec du président Obasanjo à réduire la fracture entre le Sud et le Nord, où les autorités locales se vantent ouvertement d’avoir fait considérablement chuté, grâce à l’application de la loi islamique, la criminalité. Sa situation économique désastreuse avait déjà fait du Nigeria un géant aux pieds d’argile. Des affrontements interreligieux pourraient très vite accélérer sa chute.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 25/11/2002