Nigeria
Un scrutin endeuillé
Les Nigérians se sont fortement mobilisés samedi pour élire leur nouveau président parmi vingt candidats. Le chef de l’Etat sortant, Olusegun Obasanjo, un chrétien du sud, est considéré comme le grand favori de ce scrutin jugé crucial pour consolider la démocratie dans le pays le plus peuplé d’Afrique. Son plus sérieux rival, le général à la retraite Muhamadu Buhari, est un musulman fortement soutenu par les Etats du Nord. Le scrutin, sous très haute surveillance dans un pays où les tensions ethniques et religieuses ont déjà fait des milliers de morts, s'est déroulé dans un calme relatif. Il a toutefois été entaché par la mort de six partisans de l’opposition. Des hommes en uniformes qui escortaient des membres du parti du président Obasanjo ont en effet ouvert le feu sur des militants de l’opposition, tuant six personnes et blessant sept autres. La police nigériane a par ailleurs annoncé l’arrestation de 30 personnes suspectées de fraude. Les résultats de cette élection devrait être connus en début de semaine. Les Nigérians ont également voté samedi pour élire les gouverneurs des Etats de la fédération.
De notre envoyé spécial à Lagos
Ils sont vingt candidats à solliciter auprès de 61 millions d’électeurs le ticket d’entrée à Aso Rock, le palais présidentiel et ainsi prendre la tête du pays le plus peuplé d’Afrique. Pour être élu dès le premier tour, le prochain président doit obtenir la majorité sur l'ensemble du territoire et au moins 25% des suffrages exprimés dans les deux-tiers des Etats.
Le décès providentiel en 1998 du général Sani Abacha, dictateur sanguinaire, a libéré le pays de l’emprise des militaires et l’a engagé sur le chemin de la démocratie. Après 28 ans de règne kaki, cette ouverture a été un véritable printemps. Aujourd’hui, trente partis sont officiellement enregistrés et vingt-six participent aux quatre rendez-vous électoraux qui vont renouveler le président, les deux chambres parlementaires, les gouverneurs et les conseillers locaux.
Ce multipartisme permet à tous les rêveurs de briguer un éventuel mandat. Un pasteur, un policier, des généraux à la retraite et même l’ex-épouse du président sortant ambitionnent de détenir le pouvoir politique ou du moins un morceau. Emeka Ojukwu, un officier originaire du sud-est du pays et ancien leader de la guerre sécessionniste du Biafra, une des plus grandes tragédies de l’Afrique moderne, est lui aussi dans la course pour la présidence de la fédération nigériane qu’il a si ardemment combattue. Aujourd’hui être coupable d’un tel drame, qui a fait un million de victimes, devrait pourtant conduire tout droit au TPI, le tribunal pénal international.
Au Nigeria, le contrôle du pouvoir politique est synonyme de gestion du pétrole. Le pays est en effet le sixième producteur mondial et la forte odeur de l’or noir est le «diable» qui tente la classe politique. Le titre est en outre une casquette supplémentaire. Il fait la différence et ouvre les portes. Excellency, «Oga» (grand patron en yoruba) ou encore «Danka dede», l’équivalent en haoussa, tiennent tout le monde en respect. Les Nigérians, dégoûtés de la chose politique, ironisent et baptisent leur démocratie «demo-crasy».
Deux poids-lourds
Au Nigeria, pas besoin d’instituts de sondage pour faire le tri. La loi de la décantation élimine les petits candidats. Et le prochain locataire du palais présidentiel sera soit Olusegun Obasanjo, un Yoruba de confession chrétienne, soit Muhamadu Buhari, ancien chef de l’Etat de 1983 à 1985 après avoir renversé le président élu, Shehu Shagari. Ce général à la retraite est le nouveau poulain du Nord musulman qui avait pourtant soutenu Obasanjo en 1999. Mais quatre ans après, ce dernier ne fait visiblement plus l’affaire. Il a en effet déçu en refusant de soutenir la charia, la loi coranique mise en place par douze des Etats du Nord. Il a également remis en cause plusieurs contrats industriels douteux et complaisants. Chez les prédateurs et pilleurs de la fédération cela vaut pour crime de lèse-majesté. Le désamour a culminé en 2002 avec une tentative d’impeachment de la part des députés. La cabale a échoué après des mois de fronde parlementaire.
Le Nord s’est donc trouvé un nouveau champion, fils du terroir, que l’on dit très tolérant avec les intégristes. Buhari passe aussi pour être un officier incorruptible, impitoyable avec l’indiscipline et l’anarchie. Lors de son premier passage aux affaires, les fonctionnaires nigérians improductifs étaient sanctionnés, les journalistes trop curieux emprisonnés et les ripoux arrêtés. Buhari a également dirigé le PTF, le fameux fonds des ressources pétrolières destiné aux plans de développement des régions. Il en a quitté la direction sans scandale.
Quand dans ses arguments de campagne Obasanjo met en avant le retour de l’ancien Etat paria sur la scène internationale –le Nigeria avait été exclu du Commonwealth en 1995– ou encore l’arrivée de la téléphonie mobile dans le pays, son rival Buhari lui oppose un texte bref «no way, no water, no light, no fuel» –«pas de route, pas d’eau potable, pas d’électricité, pas d’essence»– qui résume parfaitement la triste réalité quotidienne. A la décharge du président sortant, on peut dire que quatre années auront été une trop brève période pour déblayer les décombres d’un pays au bord du gouffre. Obasanjo a certes permis une légère amélioration du niveau de vie des ouvriers en portant le salaire minimum garanti de 3 500 à 6 500 nairas, soit un peu plus de 30 000 FCFA. Mais les Nigérians, épuisés par des décennies de galère et dont 60% vivent au-dessous du seuil de pauvreté avec moins d’un dollars par jour, veulent tout tout de suite. Pourtant en élisant les députés et les sénateurs le 12 avril dernier, ils ont donné au parti du président sortant, qu’on disait en difficulté, la majorité dans les deux chambres du parlement.
Ils sont vingt candidats à solliciter auprès de 61 millions d’électeurs le ticket d’entrée à Aso Rock, le palais présidentiel et ainsi prendre la tête du pays le plus peuplé d’Afrique. Pour être élu dès le premier tour, le prochain président doit obtenir la majorité sur l'ensemble du territoire et au moins 25% des suffrages exprimés dans les deux-tiers des Etats.
Le décès providentiel en 1998 du général Sani Abacha, dictateur sanguinaire, a libéré le pays de l’emprise des militaires et l’a engagé sur le chemin de la démocratie. Après 28 ans de règne kaki, cette ouverture a été un véritable printemps. Aujourd’hui, trente partis sont officiellement enregistrés et vingt-six participent aux quatre rendez-vous électoraux qui vont renouveler le président, les deux chambres parlementaires, les gouverneurs et les conseillers locaux.
Ce multipartisme permet à tous les rêveurs de briguer un éventuel mandat. Un pasteur, un policier, des généraux à la retraite et même l’ex-épouse du président sortant ambitionnent de détenir le pouvoir politique ou du moins un morceau. Emeka Ojukwu, un officier originaire du sud-est du pays et ancien leader de la guerre sécessionniste du Biafra, une des plus grandes tragédies de l’Afrique moderne, est lui aussi dans la course pour la présidence de la fédération nigériane qu’il a si ardemment combattue. Aujourd’hui être coupable d’un tel drame, qui a fait un million de victimes, devrait pourtant conduire tout droit au TPI, le tribunal pénal international.
Au Nigeria, le contrôle du pouvoir politique est synonyme de gestion du pétrole. Le pays est en effet le sixième producteur mondial et la forte odeur de l’or noir est le «diable» qui tente la classe politique. Le titre est en outre une casquette supplémentaire. Il fait la différence et ouvre les portes. Excellency, «Oga» (grand patron en yoruba) ou encore «Danka dede», l’équivalent en haoussa, tiennent tout le monde en respect. Les Nigérians, dégoûtés de la chose politique, ironisent et baptisent leur démocratie «demo-crasy».
Deux poids-lourds
Au Nigeria, pas besoin d’instituts de sondage pour faire le tri. La loi de la décantation élimine les petits candidats. Et le prochain locataire du palais présidentiel sera soit Olusegun Obasanjo, un Yoruba de confession chrétienne, soit Muhamadu Buhari, ancien chef de l’Etat de 1983 à 1985 après avoir renversé le président élu, Shehu Shagari. Ce général à la retraite est le nouveau poulain du Nord musulman qui avait pourtant soutenu Obasanjo en 1999. Mais quatre ans après, ce dernier ne fait visiblement plus l’affaire. Il a en effet déçu en refusant de soutenir la charia, la loi coranique mise en place par douze des Etats du Nord. Il a également remis en cause plusieurs contrats industriels douteux et complaisants. Chez les prédateurs et pilleurs de la fédération cela vaut pour crime de lèse-majesté. Le désamour a culminé en 2002 avec une tentative d’impeachment de la part des députés. La cabale a échoué après des mois de fronde parlementaire.
Le Nord s’est donc trouvé un nouveau champion, fils du terroir, que l’on dit très tolérant avec les intégristes. Buhari passe aussi pour être un officier incorruptible, impitoyable avec l’indiscipline et l’anarchie. Lors de son premier passage aux affaires, les fonctionnaires nigérians improductifs étaient sanctionnés, les journalistes trop curieux emprisonnés et les ripoux arrêtés. Buhari a également dirigé le PTF, le fameux fonds des ressources pétrolières destiné aux plans de développement des régions. Il en a quitté la direction sans scandale.
Quand dans ses arguments de campagne Obasanjo met en avant le retour de l’ancien Etat paria sur la scène internationale –le Nigeria avait été exclu du Commonwealth en 1995– ou encore l’arrivée de la téléphonie mobile dans le pays, son rival Buhari lui oppose un texte bref «no way, no water, no light, no fuel» –«pas de route, pas d’eau potable, pas d’électricité, pas d’essence»– qui résume parfaitement la triste réalité quotidienne. A la décharge du président sortant, on peut dire que quatre années auront été une trop brève période pour déblayer les décombres d’un pays au bord du gouffre. Obasanjo a certes permis une légère amélioration du niveau de vie des ouvriers en portant le salaire minimum garanti de 3 500 à 6 500 nairas, soit un peu plus de 30 000 FCFA. Mais les Nigérians, épuisés par des décennies de galère et dont 60% vivent au-dessous du seuil de pauvreté avec moins d’un dollars par jour, veulent tout tout de suite. Pourtant en élisant les députés et les sénateurs le 12 avril dernier, ils ont donné au parti du président sortant, qu’on disait en difficulté, la majorité dans les deux chambres du parlement.
par Jean-Luc Aplogan
Article publié le 20/04/2003