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Nigeria

L’illusion démocratique

La victoire d’Olusegun Obasanjo et de son Parti démocratique populaire (PDP) est écrasante, de la magistrature suprême où il franchit la barre des 60% au premier tour, jusqu’à l’administration des 36 Etats de la fédération où le PDP rafle la quasi-totalité des sièges de gouverneurs, en passant par les deux chambres du Parlement où il domine de haut son principal challenger, l’Alliance de tous les peuples du Nigeria de Muhammadu Buhari, et anéantit les quelque 24 partis fraîchement légalisés. Cette réélection en forme de plébiscite avec des scores de parti unique contestés par l’opposition soulève toutefois une inquiétude à la mesure des espoirs de stabilisation démocratique fondés sur Olusegun Obasanjo. Car si leur verdict est accepté, les urnes d’avril auront consacré le premier passage de témoin d’une administration civile à une autre dans les marbres d’Aso Rock, le palais présidentiel d’Abuja. Mais ce défi relevé, Olusegun Obasanjo se devra alors de répondre aux véritables urgences de ses électeurs pour que démocratie rime enfin avec sécurité physique et alimentaire dans ce grand pays pétrolier dont 70% des habitants survivent sous le seuil de la pauvreté tandis que des politiciens professionnels jouent des tensions entre musulmans et chrétiens ou des rivalités pétrolières entre communautés.
Au Nigeria, le battle-dress semble passé de mode, surtout auprès des bailleurs de fonds. Il en reste une manière «forte» de se tailler un fief, si l’on en juge par les opposants tués par la police et les fraudes «préméditées» dénoncées par les observateurs de ces derniers scrutins, en particulier dans le Sud. C’est toutefois en civil et à fleurets mouchetés que le sortant Olusegun Obasanjo et son principal challenger, Muhammadu Buhari, ont mené leur duel, bien qu’ils soient tous deux généraux et acteurs principaux des alternances militaires qui ont émaillé de huit coups d’Etat les 43 années d’indépendance. Le président Obasanjo a d’ailleurs fait campagne sur son passé glorieux de militaire remettant le pouvoir aux civils: c’était en 1979 avec la première élection de Shehu Shagari renversé en 1983 peu après sa réélection -contestée- par le général Buhari justement. Tout juste avant, en 1976, le général Obasanjo avait lui-même servi de chef d’état-major puis de successeur intérimaire à un autre putschiste, le brigadier Murtala Mohammed. 1983-2003: les similitudes sont frappantes. Mais l’histoire n’est pas obligée de bégayer. Il n’en reste pas moins que d’hier à aujourd’hui, l’armée a fait, défait ou laissé faire les régimes successifs en invoquant régulièrement la violence et le désordre socioéconomiques qui font le quotidien des quelque 139 millions de Nigérians. Aujourd’hui, nul doute que ces derniers soient las pour longtemps des régimes militaires, en particulier depuis le cruel épisode du général Sani Abacha.


Sani Abacha s’était emparé de la présidence à l’occasion d’un bras de fer militaire visant à évincer un milliardaire nordiste, Moshood Abiola intempestivement sorti des urnes en juin 1993. Sous Abacha, le Nigeria avait été mis au ban du Commonwealth et plus largement de la démocratie internationale et de ses subsides, en 1995, après la pendaison de militants Ogoni qui revendiquaient leur part du pactole pétrolier tiré de leurs terres sudistes. En 1998, un visible soulagement général avait accueilli la mort –suspecte– de Sani Abacha, le général-président aux multiples comptes en banque suisses. Un utile repoussoir pour Olusegun Obasanjo qui avait tâté des prisons d’Abacha trois ans durant mais qui avait également su au tournant des années 80 occuper sa retraite militaire dans la diplomatie internationale, notamment au sein du comité des sages chargé d’aider l’Afrique du Sud à sortir de l’apartheid. Aisément élu aux présidentielles de 1999, Olusegun Obasanjo a effectivement relevé l’étendard nigérian sur la scène internationale. Il s’est également taillé une réputation panafricaine en bataillant avec les présidents algérien et sud-africain pour le Nouveau partenariat pour le développement en Afrique (Nepad). Au total, il a largement redoré le blason de son pays, géant d’Afrique, gendarme régional et pétrolier courtisé par les Américains dont il est le cinquième fournisseur, après le Venezuela. Mais la justice économique n’est pas sortie des urnes avec Obasanjo. Sous son premier mandat, les inégalités criantes se sont même plus que jamais traduites par les sanglants affrontements ethnico-religieux qui ravagent régulièrement le pays.

Un géant loqueteux

Aujourd’hui, les rares victoires du Yoruba nordiste et musulman Muhammada Buhari sont dans le Nord haoussa. Son parti arrache en particulier la très symbolique métropole de Kano. Au Sud, le PDP d’Obasanjo rafle tout, y compris avec des scores supérieurs à 90% dans un Etat comme celui de Rivers, au Sud où personne n’a vu d’électeurs se bousculer dans les isoloirs. Du temps de son règne, Buhari s’était surtout illustré par une main de fer qui a laissé de très mauvais souvenir aussi bien chez les nordistes que chez les sudistes. Le vote de Kano ressemble surtout à un vote de protestation contre le manque d’efficience sociale du gouverneur PDP. Mais du coup, le parti d’Obasanjo perd largement la main au Nord et le clivage régionalo-confessionnel s’accentue. Il s’est renforcé ces dernières années avec la mise en œuvre de la charia dans douze Etats du Nord. Et sur ce terrain confessionnel, le chrétien Obasanjo n’a pas été vraiment aidé par sa majorité parlementaire très largement motivée -ou démotivée- par un raisonnement électoraliste qui a d’ailleurs aussi encouragé des mouvements de transfuges d’un parti l’autre. Les fauteuils de gouverneurs valent leur pesant d’or noir, mono exportation du Nigeria et fondement de son économie depuis que l’agriculture a sombré dans la déshérence.

Les batailles rangées entre musulmans et chrétiens ont encore fait leur lot régulier de morts sous Obasanjo 1. Les tensions intercommunautaires au Sud aussi. Dans le delta du Niger, les compagnies pétrolières ont même dû fermer boutique à cause des affrontements entre Ijaw et Isereki autour des puits de pétrole. La production du Nigeria a chuté de 40%, chutant de quelque deux millions de barils par jour à un peu plus d’un million de barils-jour. Dans le Sud plane également toujours la tentation séparatiste des Ibo qui ne se sont jamais vraiment remis de l’aventure sanglante de 1967-1970. Le Nigeria est aussi un carrefour international de trafiquants en tous genres spécialisés en particulier dans les escroqueries financières ou les drogues dures, un géant loqueteux dont les administrateurs se disputent l’or noir et dont les politiciens professionnels ont plus souvent utilisé que lutté contre la pauvreté. Au total une violence sociale et économique qui laisse bien peu d’espace au rêve démocratique rongé par une corruption érigée en système de répartition. Obasanjo 1 a évité de s’y casser les dents en donnant surtout des gages sur la scène internationale. Cette fois, c’est vraiment dans l’arène nationale que les Nigérians attendent Obasanjo 2.




par Monique  Mas

Article publié le 23/04/2003