Nigeria
Tabous sexuels, logique politique
Amina Lawal relaxée du crime d’adultère ; Jibrin Babaji condamné à mort pour sodomie. La multiplication du traitement des affaires de mœurs par des tribunaux islamiques dans le nord de la fédération nigériane évoque une volonté d’autonomie grandissante de la part des Etats du nord et la fragilisation du lien fédéral au sein de la grande puissance ouest-africaine.
Jeudi, la Cour islamique d’appel de la ville de Katsina a finalement relaxé Amina Lawal du crime d’adultère, dont elle avait été reconnue coupable en première instance. La jeune femme a donc échappé à la peine de mort par lapidation. En revanche Jibrin Babaji, 20 ans, a été condamné ce même jour à cette même peine, selon la loi islamique, par un tribunal de l’Etat nordiste de Bauchi après avoir été reconnu coupable d’avoir eu des relations sexuelles avec trois garçons mineurs. Chacun d’eux, après avoir reconnu les faits, et réclamé l’indulgence du tribunal, a subi une bastonnade de 50 coups de canne chacun. Le porte-parole du tribunal a précisé que les trois jeunes gens avaient été incités par l’accusé qui leur avait proposé une somme de 50 nairas, soit l’équivalent de 30 cents de dollar.
Jibrin Babaji a annoncé son intention de faire appel et dispose pour cela d’un délai de 30 jours. Toutefois, en raison du très jeune âge de ses compagnons et des charges retenues contre lui, il doit envisager que la sanction prononcée ne soulève pas l’émotion qui avait marqué les condamnations à la lapidation pour adultère de Safiya Husaini et d’Amina Lawal, toutes deux finalement relaxées. Car, même si l’on constate depuis quelques années une évolution des mentalités et une plus grande tolérance en matière de mœurs, l’homosexualité reste très stigmatisée parmi les croyants, quelle que soit la religion considérée. Pour nombre d’entre eux il s’agit toujours d’un interdit sexuel élevé au rang d’infamie ou d’ignominie aussi grave, sinon plus, que l’adultère ou l’inceste et qui appelle la punition de Dieu.
Pourtant, aucune société n’échappe à la règle et l’hypocrisie n’y change rien : de toute éternité et sous toutes les latitudes des hommes et des femmes ont entretenu des relations homosexuelles, même s’ils le font clandestinement. Et aucune confession ni aucun continent n’est à l’abri du «pêché» en dépit de l’extrême sévérité des jugements rendus, en particulier dans les pays arabes et africains (en Arabie Saoudite, en Egypte ou au Nigeria).
Logique extra-judiciaire
On observe par ailleurs dans ces affaires une étonnante concordance de calendrier. Amina Lawal a été condamnée en première instance début juin 2002, soit trois jours avant l’acquittement de Safiya Husaini par la Cour d’appel de l’Etat de Sokoto. Et la condamnation de Jibrin Babaji intervient le jour même de l’acquittement d’Amina Lawal. Les trois affaires ont été traitées dans trois Etats différents de la fédération nigériane et se caractérisent par une remarquable unité de temps, d’action et de résultat. Et s’il est vraisemblable que les trois Cours islamiques ne se sont pas concertées, une telle unité soulève néanmoins la question de savoir si elle n’est pas surdéterminée par une logique extra-judiciaire.
La fédération nigériane est, de longue date, agitée de forces centrifuges qui ont pris au cours de ces dernières années un caractère particulièrement aiguë. Le sud, et notamment la région du delta du Niger, manifeste une volonté d’autonomie largement encouragée par les effluves pétrolières. Quant au nord, ses volontés d’affranchissement de la tutelle d’Abuja s’incarnent, comme on le voit depuis la restauration d’un régime civil, sous des habillages religieux dont les épisodes successifs et ininterrompus finissent par évoquer une stratégie de harcèlement contre les autorités fédérales et le président Obasanjo. L’embarras du chef de l’Etat et l’incapacité de son administration à prendre les décisions qui s’imposent pour réaffirmer la souveraineté des lois nationales évoquent enfin une fragilité grandissante de la principale puissance régionale.
Jibrin Babaji a annoncé son intention de faire appel et dispose pour cela d’un délai de 30 jours. Toutefois, en raison du très jeune âge de ses compagnons et des charges retenues contre lui, il doit envisager que la sanction prononcée ne soulève pas l’émotion qui avait marqué les condamnations à la lapidation pour adultère de Safiya Husaini et d’Amina Lawal, toutes deux finalement relaxées. Car, même si l’on constate depuis quelques années une évolution des mentalités et une plus grande tolérance en matière de mœurs, l’homosexualité reste très stigmatisée parmi les croyants, quelle que soit la religion considérée. Pour nombre d’entre eux il s’agit toujours d’un interdit sexuel élevé au rang d’infamie ou d’ignominie aussi grave, sinon plus, que l’adultère ou l’inceste et qui appelle la punition de Dieu.
Pourtant, aucune société n’échappe à la règle et l’hypocrisie n’y change rien : de toute éternité et sous toutes les latitudes des hommes et des femmes ont entretenu des relations homosexuelles, même s’ils le font clandestinement. Et aucune confession ni aucun continent n’est à l’abri du «pêché» en dépit de l’extrême sévérité des jugements rendus, en particulier dans les pays arabes et africains (en Arabie Saoudite, en Egypte ou au Nigeria).
Logique extra-judiciaire
On observe par ailleurs dans ces affaires une étonnante concordance de calendrier. Amina Lawal a été condamnée en première instance début juin 2002, soit trois jours avant l’acquittement de Safiya Husaini par la Cour d’appel de l’Etat de Sokoto. Et la condamnation de Jibrin Babaji intervient le jour même de l’acquittement d’Amina Lawal. Les trois affaires ont été traitées dans trois Etats différents de la fédération nigériane et se caractérisent par une remarquable unité de temps, d’action et de résultat. Et s’il est vraisemblable que les trois Cours islamiques ne se sont pas concertées, une telle unité soulève néanmoins la question de savoir si elle n’est pas surdéterminée par une logique extra-judiciaire.
La fédération nigériane est, de longue date, agitée de forces centrifuges qui ont pris au cours de ces dernières années un caractère particulièrement aiguë. Le sud, et notamment la région du delta du Niger, manifeste une volonté d’autonomie largement encouragée par les effluves pétrolières. Quant au nord, ses volontés d’affranchissement de la tutelle d’Abuja s’incarnent, comme on le voit depuis la restauration d’un régime civil, sous des habillages religieux dont les épisodes successifs et ininterrompus finissent par évoquer une stratégie de harcèlement contre les autorités fédérales et le président Obasanjo. L’embarras du chef de l’Etat et l’incapacité de son administration à prendre les décisions qui s’imposent pour réaffirmer la souveraineté des lois nationales évoquent enfin une fragilité grandissante de la principale puissance régionale.
par Georges Abou
Article publié le 26/09/2003
