Nigeria
Turbulent delta
(Photo : AFP)
Au terme de deux heures d’entretiens, mercredi à Abuja, « nous sommes arrivés à un arrangement temporaire, pas à un cessez-le-feu. Mais nous avons décidé que, pendant que nous discutons, nous ne tirerons pas sur eux et ils ne tireront pas sur nous », a déclaré Mujahid Dokubo Asari qui dirige la rébellion de la région du delta du Niger. Les discussions ont repris jeudi matin et ne devaient pas s’étendre au-delà de la journée, la délégation rebelle ayant indiqué qu’elle quitterait la capitale nigériane dans la journée.
Une incertitude subsiste sur le niveau de la représentation gouvernementale. Les rebelles affirment que le chef de l’Etat en personne, Olusegun Obasanjo, s’est personnellement impliqué dans la discussion. Les services de la présidence ne le confirment pas.
La tenue de négociations dans la capitale fédérale témoigne en tout cas d’une volonté au plus haut niveau de réduire la tension dans une région capitale pour le pays. L’embouchure du Niger est en effet une éponge gorgée de pétrole, notamment dans les marais du delta ou offshore, dont le pays tire l’essentiel de ses ressources. Le Nigeria, premier producteur d’Afrique, sixième exportateur mondial, cinquième fournisseur des Etats-Unis et membre de l’Opep, extrait 2,3 millions de barils/jours des puits de la région. Et la milice d’Asari a lancé un ultimatum, fixé au 1er octobre, aux autorités fédérales, les menaçant d’embraser la région et conseillant aux compagnies pétrolières de fermer leurs installations et aux ressortissants étrangers de quitter les lieux.
« Une conférence nationale souveraine »
La Force volontaire du peuple du Delta du Niger (FVPDN) réclame l’autodétermination des Ijaws, quatrième communauté nigériane. Elle revendique au passage le contrôle des ressources de la région. Elle réclame « l’organisation d’une conférence nationale souveraine pour discuter de tous les problème du Nigeria. Mais si ce faux Etat nigérian refuse de négocier, ce sera la guerre totale », menace Mujahid Dokubo Asari. La FVPDN revendique 200 000 volontaires, affirme acheter des armes au Nigeria et dans les pays voisins et être financée « par des Ijaws du monde entier ». Le leader du mouvement affirme ne pas mener de guerre ethnique, ni religieuse, revendiquer le droit de se battre pour l’indépendance et admirer « Oussama Ben Laden parce qu’il combat les occidentaux arrogants ».
Quoi qu’il en soit, à Port Harcourt, où siège du gouvernement régional de Rivers State, dans le delta, on se félicite du premier pas accompli mercredi. « C’est un développement positif », a souligné le porte parole de l’autorité locale, tout en reconnaissant qu’il faudra encore « du temps pour réduire les tensions dans le delta du Niger ».
En dépit de cet apparent progrès, l’armée se prépare à toute éventualité. Elle annonçait mercredi avoir lancé une opération visant à assurer la sécurité des travailleurs expatriés et la poursuite de l’extraction. Un effort particulier est porté sur les zones côtières où opèrent les groupes armés, bandits ou militants, qui déstabilisent la production nationale. Car cette région attise toutes les convoitises et on estime à 100 000 barils/jours le détournement vers le marché noir de la production. Equipés et déterminés, les trafiquants d’or noir sont une constante régionale depuis de nombreuses années et contribuent à instaurer un climat d’insécurité plus ou moins soutenu, selon les périodes.
« Le gang est capable de tout »
Cette région est un foyer de tension latente ou active depuis de nombreuses années. Mais depuis plusieurs semaines, l’insécurité va grandissante. Et les ambitions des groupes armés ne sont évidemment pas toujours de nature strictement politique, même lorsqu’elle s’en réclame. De source officielle, mais pas seulement, le FVPDN compterait parmi ces « gangs » armés en activité qui, avec ou sans la complicité de certains politiciens locaux, tenteraient de prendre le contrôle des zones de production et de s’emparer d’une partie de la rente pétrolière. La capitale régionale, Port Harcourt, est affectée. Selon Amnesty international, au mois d’août, les violences ont fait 500 morts, en majorité des civils. « L’armée fait de son mieux pour assurer la sécurité », mais « le gouvernement ne devrait pas prendre cette menace à la légère. Le gang est capable de tout puisqu’il a été capable d’opérer ces derniers mois sans être repéré », déclare un commerçant de Port Harcourt à l’AFP.
On ne compte plus les incidents, à l’issue parfois dramatique, survenus dans la région en relation avec l’activité pétrolière : occupations de plates-formes, assauts de puits, prises d’otages, demandes de rançon, meurtres, violences interethniques entre Ijaws et Itsekiri (l’autre grande communauté locale), se multiplient dans un contexte politique corrompu et social dégradé, donc favorable au développement d’une insécurité grandissante dans une région historiquement confrontée aux tentations sécessionnistes, comme ce fut le cas à la fin des années 60 avec l’aventure du Biafra. A l’époque, déjà, les Ijaws combattaient aux côtés des indépendantistes Igbos du colonel Ojukwu.
Cette affaire intérieure nigériane a des conséquences internationales considérables. La menace de la Force volontaire du peuple du Delta du Niger a ébranlé cette semaine le secteur pétrolier et a contribué à l’établissement du record historique à 50,47$ le baril atteint mardi sur le marché de New York. Inversement, l’annonce de la trêve d’Abuja, associée à la révélation d’une augmentation des stocks américains, a favorisé la baisse.
par Georges Abou
Article publié le 30/09/2004 Dernière mise à jour le 23/12/2005 à 15:39 TU