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Nigeria

Menace indépendantiste dans le delta du pétrole

Le terminal pétrolier du groupe Shell à Eguatu (Nigeria).(Photo: AFP)
Le terminal pétrolier du groupe Shell à Eguatu (Nigeria).
(Photo: AFP)
Lundi, au sud du Nigeria, les militants séparatistes du delta du Niger ont revendiqué de nouvelles attaques à l’explosif contre un navire de l'armée nigériane et contre une plate-forme pétrolière de la multinationale Shell. Depuis l’attaque, samedi, de son terminal de Forcados et l’enlèvement de neuf employés de son sous-traitant, Willbros, la compagnie anglo-néerlandaise a fermé un champ pétrolier produisant 115 000 barils par jour. Elle a également coupé le robinet de son terminal de Forcados d’où s’écoulaient quelque 380 000 barils quotidiens, représentant 15% des exportations de pétrole nigérian. Cumulée avec de précédentes mesures d’ordre sécuritaire interrompant la production de 106 000 barils par jour, cette nouvelle réduction porte à plus de 25% la diminution des livraisons d’or noir nigérian sur le marché international. La confiance chute vis-à-vis du géant pétrolier africain et les cours repartent à la hausse.

Basée à Houston (Texas), la compagnie de services pétroliers américaine Willbros indique que ses employés (trois Américains, un Britannique, deux Egyptiens, deux Thaïlandais et un Philippin) ont été enlevés alors qu’ils étaient à bord d’un navire au large de Forcados pour poser un oléoduc sous-marin. Le détail en dit long sur la capacité de nuisance des militants du Mouvement d’émancipation du Delta du Niger (MEND) dans une zone truffée de militaires nigérians. Samedi, c’est en effet lourdement armés qu’ils ont fait exploser deux oléoducs et incendié un bateau de ravitaillement offshore. Leur opération terminée, ils ont menacé de s’en prendre désormais aux tankers et, d’une manière générale, de ne se fixer aucune limite dans la nature de leurs cibles.

En échange de la libération des neuf employés, le MEND exige une rançon de 1,5 milliard de dollars, le montant des dommages estimés en août 2004 par le sénat nigérian pour compenser les pertes halieutiques dues à la pollution des eaux de pêche de la communauté ijaw. Le MEND demande en même temps la libération de l'ex-gouverneur de l'Etat de Bayelsa, Diepreye Alamieyeseigha, jugé coupable de corruption et celle de «Mujahid» Dokubo Asari, un converti à l’islam, un gangster admirateur d’Oussama Ben Laden, selon ses détracteurs, un chef charismatique qui affirme mener ses actions au nom de la défense des ijaw, selon ses admirateurs. Jugé coupable de «trahison» par la Haute-Cour fédérale en octobre 2005, Asari dirigeait une milice armée désormais interdite, la Force des volontaires du peuple du delta du Niger (NDVPF), dont le MEND a apparemment pris la relève.

«Démontrer l'incompétence de l'armée nigériane»

Le 11 janvier dernier, lorsque le MEND a fait son premier coup d’éclat au large de l’Etat de Bayelsa, enlevant quatre expatriés finalement libérés le 30 janvier dernier, il avait déjà exigé la libération des deux chefs de file ijaw. Cette fois, le MEND menace d’être moins clément s’il n’obtient pas gain de cause. En attendant, il communique par courrier électronique avec les médias, expliquant que sa dernière opération vise surtout à «démontrer l'incompétence de l'armée nigériane». Si l’on en juge par la fin heureuse de la précédente prise d’otages, le MEND cherche surtout à s’imposer comme l’interlocuteur privilégié des pétroliers dans le delta où il entend leur prouver sa capacité d’agir en toute impunité.

Pour une compagnie pétrolière rompue à la gestion des risques, tant physiques que budgétaires, l’activisme du MEND est un classique du genre. Encore faut-il que le jeu en vaille la chandelle, c’est-à-dire que l’exploitation puisse se poursuivre à l’ombre du rapport de forces. Or, dans le delta, Shell a déjà perdu deux employés, tués le 15 janvier dernier lors de l’attaque indépendantiste contre sa station de pompage de Benisede. Celle-ci avait fait cinq morts et neuf disparus dans les rangs de l’armée nigériane. Mais surtout, les attaques revendiquées cette année par le MEND renouent avec un cycle de violence qui, depuis le début de la décennie, n’a pas cessé d’affecter les circuits Shell d’exploitation et d’exportation de pétrole.

Grèves musclées avec séquestration des personnels expatriés, attaques et enlèvements se sont multipliés ces cinq dernières années dans le delta du Niger où les communautés ijaw et itsekiri se disputent avec acharnement le contrôle des zones pétrolières. En août 2003, des affrontements avaient fait des dizaines de morts et imposé la fermeture de champs précipitamment évacués, réduisant momentanément la production pétrolière de 40%. En juillet et août suivant, des batailles rangées avaient fait au moins cinq cents morts dans les rangs de la milice d’Asari et du Groupe d’autodéfense du delta du Niger (NDV) de Tom Ateke, le premier accusant le second de servir le gouverneur de l’Etat de Rivers, au détriment des Ijaw.

Jusqu’à l’arrestation d’Asari, en octobre 2005, sa milice menaçait à la fois le gouvernement et les multinationales d’une «guerre totale», exigeant l’autodétermination des Ijaw et, surtout, leur souveraineté sur le pactole pétrolier. Tout en reconnaissant mettre à profit les fuites pétrolières pour militariser sa milice, Asari n’a eu de cesse de faire monter les enchères, menaçant de faire sauter des installations pétrolières. Et cela, malgré un accord de cessez-le-feu entre Ateke et Asari, contresigné par le président Olusegun Obasanjo en personne, le 1er octobre 2004. Un an, des dizaines de morts et des milliers de déplacés plus tard, Asari était en prison. Depuis, les attaques ont repris.

Aujourd’hui, commentant les opérations du MEND, Olusegun Obasanjo monte à nouveau au créneau pour démentir leur caractère politique et estimer que «tout ceci arrive en raison des succès du gouvernement contre les détournements de pétrole». Il n’en reste pas moins que l’importance et la répétition de ces attaques ont très largement sapé les efforts diplomatiques engagés par le président Obasanjo pour redorer le blason nigérian, depuis son arrivée au pouvoir en 1999. En janvier dernier, le MEND avait menacé d’amputer les exportations pétrolières du Nigeria de 30%. L’objectif est à portée de main, si l’on en juge par la vulnérabilité désormais démontrée du secteur pétrolier face aux assauts du MEND dans le delta du Niger. Lundi, à Londres, les prix du pétrole ont grimpé de plus d’un dollar.

Attentif à l’insécurité qui prévaut dans les champs pétroliers nigérians, le marché international n’a cessé de jouer au yoyo ces dernières années. «Le marché est sur les nerfs», explique un spécialiste. Shell aussi. Le président Obasanjo n’a pas gagné son pari sécuritaire. Séparatistes ou racketteurs, les activistes se succèdent sans relâche pour lui disputer le delta du pétrole.


par Monique  Mas

Article publié le 20/02/2006 Dernière mise à jour le 20/02/2006 à 17:49 TU