Nigeria
Obasanjo choisit son successeur
(Photo : AFP)
Umar Musa Yar’Adua sera-t-il le prochain président du Nigeria ? Il a en tous cas pris le chemin d’Aso Rock (surnom de la présidence), dimanche, puisqu’il a été élu candidat du Parti démocratique des peuples du Nigeria (PDP), actuellement au pouvoir, pour les élections générales d’avril 2007. Après une journée et une nuit de débats houleux, le gouverneur de l’Etat de Katsina (Nord du pays) devient le successeur probable du président nigérian Olusegun Obasanjo qui quittera ses fonctions en 2007, après les deux mandats réglementaires. Umar Musa Yar’Adua a été élu haut la main, avec plus de 3 000 voix contre 372 pour son challenger Rochas Okorocha, ex-collaborateur du président et homme d’affaires. Il a également devancé Aliyu Muhammed Gusau, ex-conseiller national à la Sécurité, et Jerry Gana, ex-ministre de l’Information. Et a battu des poids lourds médiatiques comme les gouverneurs de deux Etats pétroliers du Sud, Peter Odili (Rivers State) et Donald Duke (Cross River).
Quasi-inconnu sur la scène politique nationale, mais proche d’Obasanjo, son élection a été saluée de façon très mesurée par les fidèles du PDP, à cause de la bataille politique et des dures négociations qui ont précédé l’élection de ce week-end. Les huit gouverneurs qui devaient disputer ces primaires avec lui se sont désistés deux jours avant la tenue du congrès, sous pression de la présidence, et le Forum des gouverneurs l’a soutenu comme candidat du «consensus».
Yar’Adua l’incorruptible
L’arrivée de Umar Musa Yar’Adua est une surprise… sans surprise, préparée en coulisse par l’actuel président. Père de six enfants, ancien professeur de chimie, Ya’Aruda est gouverneur de l’Etat de Katsina depuis 1999 (réélu en 2003). Ce musulman de 55 ans sort peu de son fief et fuit les apparitions publiques. On le dit taciturne, certains avançant une maladie de foie chronique. Si plusieurs observateurs nigérians lui reprochent son manque d’expérience, il descend d’une célèbre famille politique. Son père a été ministre dans les années 60 et son frère aîné, Shehu Musa Yar’Adua, a été le second d’Obasanjo dans les années 70 et l’a aidé à remporter la présidentielle de 1999. Le choix du président serait donc une façon de «renvoyer l’ascenseur» au cadet.
Dans les journaux locaux, on lit qu’Obasanjo l’aurait choisi pour son «patriotisme, ses qualités d’homme d’Etat, son courage et son amour pour le Nigeria». Les commentateurs ne manquent pas d’adjectifs à son endroit : humble, discret, calme, droit, modeste. Et surtout, intègre. Dans un pays considéré par Transparency International comme l’un des plus corrompus de la planète, et alors qu’Olusegun Obasanjo a lancé une croisade anti-corruption, le PDP se devait de choisir un homme au-dessus de tout soupçon. Reconnu comme un gestionnaire rigoureux qui mène une vie frugale, Umar Musa Yar’Adua est l’un des rares gouverneurs du pays à avoir reçu un satisfecit de la part de la redoutable Commission anti-corruption mise sur pied il y a 4 ans. Celle-ci a ouvert des enquêtes sur 31 des 36 gouverneurs du pays. Fait rare au Nigeria, Yar’Adua a déclaré publiquement son patrimoine après son élection en 1999, puis en 2003. «Je ne vous décevrai pas. Les réformes économiques vont se poursuivre et je continuerai le combat contre la corruption», a-t-il d’ailleurs déclaré dimanche après son investiture.
Contenter le Nord et le Sud
Certains commentateurs nigérians laissent entendre qu’Obasanjo l’aurait poussé sur le devant de la scène pour s’en servir comme d’une «marionnette» après sa mise à la retraite. Ce que conteste Simon Kolawole, un journaliste du quotidien national This Day : «Le jour où Yar’Adua assumera le rôle de président, s’il est élu, il contrôlera tous les instruments du pouvoir. Ce n’est pas parce qu’un homme est calme et discret que vous savez tout de lui et qu’il ne peut pas penser par lui-même». Toujours est-il qu’avec cette investiture, Obasanjo réussit un coup de maître. Dans ce pays-mosaïque de 130 millions d’habitants, aux équilibres ethniques et religieux fragiles, et aux fortes rivalités régionales, il donne satisfaction au Nord musulman qui réclame le fauteuil présidentiel au nom d’une alternance avec le Sud, majoritairement chrétien. Mais le Sud, dont l’Etat tire 95% de ses devises de ses ressources pétrolières, ne devrait pas être oublié. Dimanche, Yar’Adua a présenté son colistier : Jonathan Goodluck, gouverneur chrétien de l’Etat pétrolier de Bayelsa.
Lors de la présidentielle d’avril, Yar’Adua affrontera l’ancien dirigeant militaire Muhammadu Buhari, qui devrait remporter l’investiture du All Nigeria People’s Party (ANPP), et le vice-président Atiku Abubakar, suspendu du PDP suite aux accusations de corruption portées contre lui, mais favori du parti Action Congress (AC). La semaine dernière, l’ANPP et l’AC ont annoncé leur alliance pour tenter de faire le poids. En effet, le PDP, qui dispose de la majorité au Parlement fédéral, contrôle actuellement 28 des 36 Etats. Le candidat investi par le parti est donc quasi-assuré d’arriver au pouvoir, sauf retournement de situation.
Pétrole et pauvreté
La tension est palpable dans le pays, avant ces élections qui pourraient marquer la première transition réussie d’un régime civil à un autre depuis l’accession du Nigeria à l’indépendance, il y 46 ans. Outre la corruption qui gangrène le pays à tous les niveaux, la région du Delta du Niger, siège des richesses pétrolières, est toujours aussi instable. Ces six dernières années, les attaques menées par différentes milices contre les installations pétrolières ont fait quelque 600 morts, dont un certain nombre d’étrangers. Plus de 180 travailleurs ont été pris en otage par des groupes qui affirment lutter pour que les revenus du pétrole profitent davantage aux communautés locales. Ces groupes, comme le Mouvement d’émancipation du delta du Niger (Mend), se battent à la fois contre l’Etat fédéral, qui ne redistribue pas les bénéfices du pétrole, et les multinationales comme Shell, Chevron et Exxon-Mobil qu’ils accusent de «piller» la région.
Sixième producteur mondial de brut et premier producteur de pétrole d’Afrique, (2,6 millions de barils par jour), le Nigeria perd pratiquement 25% de sa production du fait de cette violence. Malgré les immenses réserves de pétrole et de gaz nigérianes, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) pointe le fait que près des trois quarts de la population vit avec moins d’un dollar par jour.
par Olivia Marsaud
Article publié le 18/12/2006 Dernière mise à jour le 18/12/2006 à 17:25 TU