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Nigeria

Le Sénat pousse Obasanjo vers la sortie

Elu en 1999 et réélu en 2003, Olusegun Obasanjo est exclu de la présidentielle de 2007.(Photo : AFP)
Elu en 1999 et réélu en 2003, Olusegun Obasanjo est exclu de la présidentielle de 2007.
(Photo : AFP)
Le 16 mai, les sénateurs ont voté par acclamation contre le volumineux projet de réforme constitutionnelle dont l’un des 116 points ouvrait au président Olusegun Obasanjo la voie du troisième mandat qu’il entendait briguer l’année prochaine. Avec ce rejet du Sénat (109 membres) à la majorité des deux tiers, le projet est hors-jeu, même si les 360 députés continuent d’en débattre à la Chambre des représentants. Le gouvernement pourrait encore essayer de le représenter sous une forme différente et Olusegun Obasanjo tenter de rallonger son mandat de quelques mois, en jouant par exemple des problèmes de financement des élections. Mais cela risquerait plutôt d’aggraver la crise qui ronge son régime. Le vice-président qu’il s’était choisi pour ne pas faire ombrage à ses ambitions, Atiku Abubakar, a en effet pris la tête de la campagne du non au troisième mandat.

La séance sénatoriale était retransmise en direct par la chaîne de télévision privée African Independant Television (AIT). Celle-ci avait été prise d’assaut la veille par des agents du Service de la sécurité d'Etat (SSS) venus saisir les cassettes d’un documentaire hostile à la réforme et diffusé les jours précédents. Mais les menaces à l’adresse des journalistes n’ont pas suffi à faire taire la contestation du projet déposé le 11 avril dernier par des sénateurs partisans d’Olusegun Obasanjo. Ces dernières semaines, l’opposition s’était faite de plus en plus bruyante. Elle était montée d’un cran avec l'ouverture d'une enquête par l'Agence fédérale de lutte contre la corruption (EFCC) après des accusations lancées contre le gouvernement soupçonné d’avoir tenté d'acheter le vote de certains parlementaires. L’enquête n’a pas abouti mais le climat reste celui d’une fin de règne lourde d’inquiétudes.

A 69 ans, l’ancien général Olusegun Obasanjo a tout connu des juntes militaires qui se sont succédées pendant quatre décennies au Nigeria. Il avait d’ailleurs lui-même assuré l’intérim présidentiel, au titre de son grade, après l’assassinat du général Murtala Mohamed en février 1976. Avant cela, commandant adjoint d’une division d’élite pendant la guerre du Biafra, c’est lui aussi qui avait reçu, en janvier 1970, la reddition des forces sécessionnistes ibo du général Emeka Ojukwu. Enfin, aujourd’hui encore, Olusegun Obasanjo s’enorgueillit d’avoir été le premier militaire africain à remettre le pouvoir de son plein gré à un élu civil, le président Shehu Shagari, en 1979. Adoptant la posture du soldat-paysan depuis sa vaste ferme d’Otta, au nord de Lagos, Olusegun Obasanjo avait alors élargi son carnet d’adresses en participant à de multiples médiations internationales, en Afrique du Sud, en Angola ou au Soudan, sans jamais quitter des yeux la politique nigériane.

Très courtisé par les politiciens nigérians, le «sage d’Otta» a présidé le retour du pays à la vie civile après la dictature militaire de Sani Abacha, mort en juin 1998. Olusegun Obasanjo est en effet revenu à la tête de l’Etat en mai 1999 sous l’étiquette de son Parti démocratique du peuple (PDP). Il a ouvert son règne sous les auspices de la Constitution de 1999, celle dont il voulait modifier l’article limitant la mandature présidentielle à deux fois quatre ans. Chrétien, Olusegun Obasanjo est un Yoruba du Sud. En 2003, il a été réélu avec le soutien de son vice-président musulman, Atiku Abubakar, un Nordiste de l’Adamaoua.

Le vice-président piaffe d'impatience

En 2007, le président Obasanjo devra passer son tour sans avoir tiré le Nigeria de l’ornière communautaire qui le menace de décomposition. Il ne pourra pas non plus promettre à nouveau de relever le défi économique comme il l’a dit et répété ces sept dernières années. Olusegun Obasanjo peut en revanche se féliciter des cours du pétrole qui galopent sur le marché international. Mais au Nigeria, l’or noir est surtout synonyme de corruption, de pollution, d’affrontements ethniques et de drames funestes, lorsque la misère enflamme un pipeline. En tout cas, Olusegun Obasanjo se résout difficilement à quitter le pouvoir, d’autant que cette fois il devra renoncer sans doute à jouer sa partition en sous-main.

Outre les oppositions en tous genres qui veulent déloger son PDP du pouvoir, le principal obstacle politique d’Obasanjo est issu de son propre parti présidentiel. A 49 ans, son vice-président, Atiku Abubakar piaffe en effet d’impatience. Il revendique l’investiture du PDP et se réclame de son islam modéré pour séduire les électeurs. Ces derniers n’ont peut-être pas tous oublié les scandales financiers qui ont accompagné dans le passé son passage aux douanes nigérianes comme contrôleur financier. Mais Atiku Abubakar s’est toujours vu comme le fidèle dauphin d’Obasanjo. Il reproche à son ingrat parrain de ne pas lui renvoyer l’ascenseur. En fait, la rupture est consommée depuis des mois déjà. Mais le vote négatif du Sénat lui donne un relief supplémentaire.

«Aujourd'hui, les Nigérians ont parlé et ont vaincu de manière retentissante le monstre appelé troisième mandat. C'est une victoire pour le Nigeria et c'est une victoire pour la démocratie», lance Yari Gandi, sénateur du turbulent Etat de Sokoto, au nord-ouest du pays. Reste à savoir quelle démocratie sortira effectivement du giron nigérian. Atiku Abubakar prophétisait des troubles ethniques et confessionnels au cas où Obasanjo priverait le pays d’alternance. Ces problèmes restent entiers. Ils s’enveniment d’ailleurs avec la question du pactole pétrolier dont chacun entend profiter, collectivement ou en particulier.


par Monique  Mas

Article publié le 17/05/2006 Dernière mise à jour le 17/05/2006 à 15:59 TU