Union européenne
Triste 50e anniversaire européen pour les Turcs
(Cartographie: Marc Verney/RFI, base Géoatlas)
De notre correspondant à Istanbul
Sur la photo de la famille européenne qui fête ce week-end, à Berlin, un demi-siècle de construction politique basée sur les principes de réconciliation pacifique, de solidarité économique et de valeurs humanistes, il manquera l’un des partenaires les plus proches et le plus ancien postulant à rejoindre le bloc qui commença à six sous le nom de Communauté économique européenne et regroupe aujourd’hui 27 membres dans ce qui s’appelle l’Union européenne: la Turquie. Ankara, qui avait demandé dès 1959 à signer un accord d’association (conclu en 1963), et est officiellement candidat depuis décembre 2005, n’a tout simplement pas été invité à assister aux festivités, ce qui en dit long sur le peu d’empressement de ses «amis» à envisager la poursuite de leur élargissement.
La Turquie se sent «blessée» de ce qui n’est de toute évidence pas un oubli, commentait jeudi le responsable du secrétariat turc aux Affaires européennes, l’ambassadeur Oguz Demiralp. «L’Union européenne affiche ainsi ses doutes», continue le haut fonctionnaire, «comme si elle craignait de regarder son futur et son élargissement, qui sont pourtant intimement liés». En début de semaine, le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères avait déjà regretté que l’Allemagne, qui assure la présidence tournante de l’Union, ait choisi d’ignorer les pays candidats, «alors que leur invitation aurait constitué un geste d'une grande portée, mettant en lumière l'unité de la famille européenne». Fermez le ban. Autre pays candidat, la Croatie a également été priée de rester chez elle.
Cette décision tient essentiellement à la frilosité envers la Turquie du pays hôte des cérémonies du cinquantenaire, la chancelière allemande n’ayant jamais caché sa préférence pour un statut de partenariat privilégié avec Ankara plutôt qu’une adhésion pleine et entière, même à long terme. Alors qu’il y a peu encore les responsables européens interrogés sur la date d’une possible conclusion des négociations d’adhésion menées avec la Turquie évoquaient dix ou quinze ans, Angela Merkel parle maintenant de «relations plus étroites dans 50 ans, mais pas forcément d’une adhésion». En cela, elle est au diapason avec plusieurs autres membres influents de l’Union, au premier rang desquels la France. Si, du côté européen, on ne parle pas encore de divorce, on évoque désormais de plus en plus ouvertement ses divergences de vues et on n’hésite plus à faire chambre à part, comme à Berlin ce week-end.
Nouvelles négociations
Pourtant, le processus d’intégration se poursuit avec la Commission européenne, et les négociations officiellement ouvertes il y a un peu plus de deux ans, partiellement gelées en décembre dernier en raison du blocage sur Chypre, sont sur le point de reprendre. Jeudi 29 mars, les discussions sur le chapitre «entreprise et politique industrielle» devraient être ouvertes à Bruxelles et Ankara espère démarrer les discussions sur trois autres thématiques («statistiques», «politique économique et monétaire» et «contrôle financier») d’ici au 30 juin, terme de la présidence allemande. Mais cela dépend des politiques et d’une décision du Conseil des ministres, indique le secrétariat du Commissariat à l’élargissement. Depuis le gel de 8 chapitres liés à l’union douanière –la Turquie refusant la libre circulation avec la République de Chypre en raison de l’embargo qui frappe le nord de l’île qu’elle occupe militairement– c’est en effet le Conseil qui avalise le démarrage de nouveaux chapitres de discussions, qui ne peuvent être refermés sans déblocage sur Chypre. Auparavant, seul le dossier «sciences et recherche» avait été conclu, sur un total de 35 chapitres.
La Turquie, elle, entend bien continuer ses efforts de réformes et d’harmonisation vaille que vaille, quitte à faire cavalier seul. «Nous poursuivons sur la voie européenne et nous définirons nous-même notre calendrier et notre programme de réformes», déclarait samedi le ministre d’Etat en charge de l’Economie et chef négociateur avec la Commission européenne, Ali Babacan. «Notre processus d’intégration se poursuit et notre but est l’adhésion», insistait-il, sans commenter la distance de plus en plus grande mise entre les ténors de l’Union européenne et son pays. Et les Turcs pouvaient toujours se dire qu’ils n’avaient pas été totalement oubliés pour marquer l’anniversaire de la signature du Traité de Rome: le maire d’Istanbul, Kadir Topbas, a en effet été invité à représenter son pays dans la capitale italienne pour une soirée de gala présidée par José Manuel Barroso, président de la Commission. Mais le lot de consolation paraît bien dérisoire.
par Jérôme Bastion
Article publié le 25/03/2007 Dernière mise à jour le 25/03/2007 à 09:21 TU