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Zimbabwe

Survivre à Harare

Un pain vaut des dizaines de milliers de dollars du Zimbabwe. 

		(Photo : Reuters)
Un pain vaut des dizaines de milliers de dollars du Zimbabwe.
(Photo : Reuters)

Le président Mugabe participait ce 29 mars à Dar-es-Salam à un sommet de la Communauté du développement de l''Afrique australe (SADC), qui devait notamment discuter de la crise au Zimbabwe. La veille, Robert Mugabe avait fait arrêter une vingtaine d’opposants, pendant que les locaux du principal parti d'opposition, le MDC, étaient longuement perquisitionnés. Le chef de l’Etat zimbabwéen ne donne aucun signe d’assouplissement. Dans les quartiers populaires frappés par la catastrophe économique, de plus en plus de jeunes sont prêts à en découdre avec le régime.


De notre envoyée spéciale à Harare

«Nous n’avons plus peur ! Les gens ont faim et ils sont prêts à tout !» affirme Gloria Mauta, 47 ans, une habitante de Highfield. C’est dans ce quartier populaire que Morgan Tsvangiraï, le leader du Mouvement pour le changement démocratique (MDC, principal parti d’opposition) et 49 autres opposants ont été arrêtés le 11 mars, alors qu’ils se rendaient à un rassemblement pacifique. Leur passage à tabac avait provoqué un tollé international. Gloria, elle-même, s’était rendue au meeting. Elle a essuyé sa part de coups de matraque, qui lui ont laissé une hanche douloureuse.

Depuis sept ans, Mugabe, au pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1980, n’a cessé de durcir la répression pour se maintenir dans le fauteuil présidentiel. Après avoir perdu un référendum en 2000 et craignant une défaite électorale face au tout nouveau MDC, il avait alors lancé une violente réforme agraire pour chasser les 4 500 fermiers blancs, accusés de financer l’opposition. Mugabe a ainsi renforcé son aura de héros de la lutte anti-coloniale, en faisant passer le MDC pour une «marionnette de la Grande-Bretagne», l’ex-puissance coloniale, accusée de vouloir maintenir les privilèges de ses fermiers. Mais s’il a pu maintenir son emprise sur les zones rurales, Mugabe a perdu le soutien des banlieues urbaines, victimes de la crise économique et de la répression croissante.

Une inflation de 1 700%

Chaque jour, les prix augmentent, entraînés par une hyperinflation qui atteint 1 700 % par an, un record mondial. «Mon mari a dû quitter son emploi parce qu’il ne pouvait plus payer les frais de transport, explique Gloria. Comme maçon, il gagnait 100 000 dollars par mois (5 dollars US au change parallèle) alors qu’un ticket de bus coûte 5 000 dollars !». Sa famille survit en vendant des fruits dans la rue. A la sauvette. Car, «régulièrement, la police saisit la marchandise». Depuis l’opération «Murambatsuina» (Vidons les ordures), lancée en juin 2005 pour chasser quelque 800 000 pauvres hors de la ville, le commerce de rue est interdit.

Dans son salon, le lecteur de CD  témoigne de jours meilleurs. Sa fille Juliet, 17 ans, devait passer son bac cette année. «Mais on ne pouvait plus payer les frais annuels de 300 000 dollars. Beaucoup de familles sont dans ce cas», constate amèrement sa mère. Il y a encore dix ans, le système d’éducation zimbabwéen était l’un des meilleurs de la région… Pour le repas de midi, la famille mangera de la farine de maïs avec quelques légumes du potager. «Une fois par semaine, on a de la viande hachée. Parfois, ma sœur me ramène du riz du Botswana».

Plus d’un quart des Zimbabwéens vit désormais à l’étranger, surtout en Afrique du Sud. Les devises précieusement gagnées sont changées au cours parallèle, cent fois plus avantageux. D’autres traversent simplement les frontières pour acheter des marchandises, revendues au marché noir.

A Highfield, beaucoup de jeunes affirment être prêts à affronter le régime en place. «Quand nos leaders ont été arrêtés, ils ont attaqué des policiers», raconte Peter Dzama, un militant du MDC, dont le bras a été cassé par la police, le 11 mars.

La politique du pire

Le gouvernement accuse le MDC d’avoir lancé des cocktails molotovs sur des postes de police et contre un train. «Nous démentons toute responsabilité. Mais quand les gens sont attaqués, c’est normal qu’ils répliquent par la violence, répond le politologue Eliphas Mukonoweshuro,  responsable des relations extérieures au MDC Mais il ne faudrait pas tomber dans le piège de Mugabe, qui veut entraîner le pays dans une guerre civile».

A 83 ans, le chef de l’Etat ne semble pas prêt à renoncer à son trône. Il a annoncé son intention de briguer un nouveau mandat, alors qu’il avait promis de partir à la retraite, en mars 2008. «Mugabe n’a presque plus d’appuis, même au sein de son propre parti», poursuit Mukonoweshuro. Le mécontentement au sein de la Zanu-pf [e parti au pouvoir] et la crise économique sont nos meilleurs alliés». Le MDC a, en effet, été affaibli par des luttes internes violentes, qui ont débouché sur la scission du parti, en 2005, et le départ  de nombreux intellectuels à l’étranger.

Certains croient pourtant fermement à un soulèvement populaire, comme Lovemore Madhuku, un juriste, qui préside L’Assemblée nationale constitutionnelle (NCA),  une ONG à l’avant-garde de la résistance contre Mugabe : «Les choses vont changer d’ici la fin de l’année !», affirme-t-il. Mais beaucoup sont sceptiques, même si le MDC et la société civile (Eglises exceptées) ont adopté un programme commun d’action. Objectif : obtenir une nouvelle Constitution, avant toute participation à des élections. L’opposition croit toujours dans une solution négociée. En attendant, la situation se détériore de jour en jour, alors que Mugabe semble prêt à jouer la politique du pire …



par Marina  Burgeon

Article publié le 29/03/2007 Dernière mise à jour le 29/03/2007 à 12:18 TU

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Daniel Compagnon

Enseignant à Sciences Po-Bordeaux

«Tous ceux qui rêvent d’un putsch interne ou d’une recomposition de l’espace politique du Zimbabwe se trompent. C’est totalement exclu tant que Mugabe est là. »

[20/03/2007]

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