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Brésil

Contre le crime, les militaires

Rio de Janeiro, Catumbi, mardi 17 avril. 

		Photo : AFP
Rio de Janeiro, Catumbi, mardi 17 avril.
Photo : AFP
Le bilan de 22 morts dans des incidents séparés à Rio de Janeiro depuis le début de la semaine relance la question de la sécurité publique de la ville, à trois mois des Jeux panaméricains.
Le gouverneur de l'État de Rio, Sergio Cabral a demandé début avril au président Luiz Inacio «Lula» da Silva l'aide de l'armée pour contrôler les gangs des narcotrafiquants qui sévissent dans les favelas.

«Nous étions au courant», a reconnu le colonel Samuel Dionisio aux journalistes du quotidien brésilien O Globo après l’une des fusillades les plus meurtrières de mardi, à Rio de Janeiro (Brésil). Le service de renseignement du Secrétariat de la sécurité publique surveillait depuis quelques mois le Morro (morne) de Mineira, à Catumbi, un quartier situé au nord de la ville. «Nous savions que le gang de trafiquants de drogue voulait reprendre le contrôle de ses points de vente, tombés aux mains d’une bande rivale. Mais nous n’étions pas sûrs de notre information».

L’attaque des bandits, venus du Morro du Complexe allemand, a débuté à 5 heures du matin, à l’heure où certains habitants partaient au travail.  Les membres de la faction rivale ont répliqué et se sont enfoncés dans les ruelles du bidonville. Certains se sont repliés dans un cimetière provoquant la panique des employés qui procédaient à une levée de corps.

9 bandits sont morts dans la course-poursuite qui a duré jusque tard dans la matinée. 4 autres ont été abattus par les policiers, arrivés sur les lieux. Il y a eu 3 morts et une douzaine de blessés parmi les passants. 12 suspects ont été arrêtés. Les forces de l'ordre ont saisi 8 fusils, 4 pistolets et des munitions.

La fusillade a provoqué un embouteillage monstre et une série de carambolages de voitures dans Rio : les policiers avaient encerclé le quartier et ont bloqué par intermittence un tunnel stratégique de la ville, situé entre les quartiers Nord et Sud.

Mercredi, les bataillons des opérations spéciales (unités de lutte contre la criminalité) avaient pris position à Catumbi.

Peu avant l’échange de tirs de Mineira, à l’autre bout de la ville, dans la favela de Rebu (ouest), 6 trafiquants de drogue présumés ont été tués par la police militaire (gendarmerie). Selon la version des policiers, les bandits circulaient dans une voiture volée. Ils auraient ouvert le feu lors du contrôle du véhicule.

La guerre dans les favelas 

Le regain de violence soulève à nouveau la question de la militarisation de Rio de Janeiro. Au mois de juillet prochain, la ville doit accueillir les Jeux panaméricains. Entre la sécurité des athlètes et celle des spectateurs, les policiers seront sur les dents. Le président Luiz Inacio Lula da Silva pourrait décider de déployer l’armée d’ici cette date.

Début avril, au lendemain de l’assassinat d’un jeune policier chargé de sa protection personnelle, le gouverneur de l’Etat, Sergio Cabral avait demandé au chef de l’Etat l’envoi de l'armée pour lutter contre la criminalité.

Ce n’est pas la première fois que le pouvoir central est appelé à la rescousse. Mais les opérations précédentes menées par les militaires consistaient à envahir en force les favelas (bidonvilles). Ces opérations provoquent souvent de violents affrontements avec les bandits et les trafiquants, semant la terreur dans la population. L’attitude des soldats entraîne aussi des réflexes d’autodéfense de la part des habitants des favelas et les opérations dégénèrent en bataille rangée.

Les narcotrafiquants, qui auraient établi depuis quelques années des liens avec les cartels colombiens, sont de mieux en mieux organisés et équipés. Depuis leurs bases dans les hauteurs des favelas, ils restent en contact avec leurs chefs emprisonnés comme l’ont démontré les affrontements de l’an passé à Sao Paulo.

Fin 2006, Rio connaissait une série d’attaques contre des postes de police, causant 19 morts et 22 blessés. Le mode opératoire des truands laissait penser que l’ordre en avait été donné d’une prison. À la même période, un autre incident, au cours duquel un enfant de 6 ans avait connu une mort particulièrement atroce, avait indigné le président Luiz Inacio Lula da Silva. «La barbarie ne doit pas être traitée comme un crime banal, c’est du terrorisme !», s’était-il exclamé.

Rio de Janeiro, avec son agglomération de 11,3 millions d’habitants et ses 752 favelas, est considérée comme l’une des villes les plus violentes d’Amérique du Sud. En 2005, le Brésil a enregistré 55 312 homicides, dont 6 438 dans l’État de Rio. La mort violente est la principale cause de décès des hommes âgés de 15 à 44 ans.

Amnesty International comptabilise une moyenne de 50 homicides pour 100 000 habitants, tout en signalant que 7% sont dus à des «hommes en uniforme».

L’association, Rio Body Count, affichait ce mercredi sur son site internet  la macabre comptabilité : 716 morts et 394 blessés depuis le 1er février 2007.

La militarisation

Rio Body Count ne fait pas de distinction entre «bons» et «méchants» dans ses statistiques. Il est vrai que les trafiquants et présumés trafiquants tombent aussi souvent sous les balles des policiers militaires ou civils que des groupes paramilitaires qui sévissent dans les bidonvilles.

L’Observatoire des favelas, une association qui mène plusieurs programmes sociaux dans les favelas cariocas (originaire de Rio de Janeiro) indiquait l’an passé que sur les 230 adolescents affiliés à des groupes de bandits dont s’occupait cet Observatoire, 46 étaient morts au cours des deux dernières années. Les deux-tiers tués par des policiers.

Dès son entrée en fonction en janvier 2007, Sergio Cabral a fait appel aux forces nationales de sécurité (FNS), un corps d’élite de policiers fédéraux, hautement qualifiés, créé il y a quatre ans par Luiz Inacio Lula da Silva. Ceux-ci travaillent en coordination avec la police civile et militaire de Rio. Leur stratégie est celle de l’infiltration des favelas plutôt que l’invasion en force. Leur efficacité reste encore à prouver.

Non content de devoir  répondre à de nombreuses contraintes légales, la demande du gouverneur sur l’emploi de l’armée dans la lutte contre la criminalité pose un problème politique à «Lula».

Le président brésilien a toujours prêché la prévention plutôt que la répression. Pour lui, la violence naît d’une situation de pauvreté. Les solutions sont avant tout sociales et économiques.



par Marion  Urban

Article publié le 18/04/2007 Dernière mise à jour le 18/04/2007 à 10:17 TU