Rwanda-France
Riposte du Rwanda à l’enquête Bruguière
( Photo : Stéphanie Maupas/RFI )
De notre correspondante à La Haye
Le gouvernement rwandais a saisi la Cour internationale de justice (CIJ) d’une requête contre la France suite aux mandats d’arrêt délivrés par Paris à l’encontre de neuf hauts responsables rwandais. En novembre 2006, le juge français Jean-Louis Bruguière, chargé d’enquêter sur l’attentat perpétré contre l’avion de l’ex-président rwandais Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994 - attentat qui avait entraîné le génocide de près de 800 000 tutsis et le meurtre de hutus de l’opposition - avait accusé neuf responsables rwandais. Saisi à la demande des familles de coopérants français décédés dans l’attentat, le juge antiterroriste avait par ailleurs demandé au secrétaire général des Nations unies de saisir le tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) contre l’actuel président rwandais, Paul Kagame.
Dans sa requête déposée mercredi matin devant la Cour internationale de justice (CIJ), organe des Nations unies chargé de régler les différends entre Etats, Kigali demande à la Cour de suspendre, dans un premier temps, les mandats d’arrêt délivrés par le juge français. «La tentative du juge français, qui, exerçant sous l’autorité du système judiciaire français, s’assigne un pouvoir de police au Rwanda, violant sa souveraineté et restreignant ses capacités de fonctionner librement et normalement comme un Etat souverain», écrit Kigali, «créerait un dangereux précédent dans lequel des décisions irresponsables pourraient dresser les nations les unes contre les autres».
Le Rwanda ne peut pas fonctionner comme un Etat souverain
Selon le ministre de la Justice rwandais, Tharcisse Karugarama, présent à La Haye mercredi, «ces mandats d’arrêts ont été délivrés contre des officiers de haut rang du gouvernement rwandais, ce qui rend difficile, pour le Rwanda, de fonctionner comme un Etat souverain, parce que ces officiers ne peuvent circuler librement pour accomplir leurs devoirs». Sur les neuf responsables contre lesquels des mandats d’arrêt internationaux ont été délivrés, trois hommes sont particulièrement embarrassés par ces difficultés, précise le ministre : le chef d’état-major, James Kabarebe, le chef du Protocole, Rose Kabuye et l’ambassadeur du Rwanda en Inde, Charles Kayomba.
Sur le fond, Kigali estime que les mandats d’arrêt délivrés à la demande du juge français, «posent de sérieux problèmes en droit international». «Si des juges, n’importe où dans le monde, siégeant dans une capitale étrangère (…) peuvent de façon indiscriminée et irresponsable délivrer des actes d’accusation et des mandats d’arrêt contre les officiers de haut rang d’autres Etats souverains, cela serait le prélude au désastre et au chaos sur le terrain du droit international et pourrait ouvrir une brèche à la paix internationale, l’ordre et la sécurité des nations», écrit Kigali.
«La France doit accepter la compétence de la Cour»
La Cour internationale de Justice ne pourra se saisir de la requête rwandaise que si Paris accepte sa compétence dans cette affaire. Suite aux conclusions de l’enquête Bruguière, Kigali avait dénoncé une manœuvre politique de la France. Le document remis par le juge au Parquet, après plusieurs années d’enquête, était effectivement teinté de considérations politiques qui portent ses conclusions à caution. Le Rwanda présente donc l’affaire comme un test. «La France a toujours maintenu que la question était purement judiciaire. Le gouvernement rwandais donne, dès lors, à la France le bénéfice du doute» et estime que la question peut être examinée «par une Cour internationale, impartiale et compétente».
A la suite de l’émission des mandats d’arrêt, en novembre, le Rwanda avait rompu ses relations diplomatiques avec la France et fermé son ambassade à Paris. En février, Kigali ouvrait une nouvelle ambassade à La Haye, aux Pays-Bas. La requête a été déposée devant la CIJ à la veille d’une audience dans une affaire enclenchée cette fois devant la justice belge et qui doit se tenir à Bruxelles, suite à une plainte déposée par Charles Kayonga et Jack Nziza, visés par les mandats du juge Bruguière et plainte destinée, là encore, à leur permettre de circuler librement.
par Stéphanie Maupas
Article publié le 18/04/2007 Dernière mise à jour le 18/04/2007 à 16:27 TU