Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Rwanda-France

Le juge Bruguière démenti par l'un de ses témoins-clés

Un manifestant rwandais brandit une photo de Jean-Louis Bruguière, le juge français honni à Kigali. 

		(Photo : AFP)
Un manifestant rwandais brandit une photo de Jean-Louis Bruguière, le juge français honni à Kigali.
(Photo : AFP)
Le feuilleton politico-judiciaire entre Paris et Kigali rebondit. Emmanuel Ruzigana, l’un des témoins-clés du juge Jean-Louis Bruguière, l’accuse d’avoir «déformé son témoignage». Il y a dix jours, le juge français a lancé neuf mandats d’arrêt internationaux contre des proches du président rwandais, Paul Kagame, entraînant la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays.

Le dossier du juge Bruguière se fissure. Un de ses témoins rwandais, cité dans les pages 23 à 25 de l’ordonnance qu’il a transmise au parquet au mois de novembre, l’accuse d’avoir «déformé son témoignage». Emmanuel Ruzigana, 35 ans, exilé en Norvège, a été entendu par le juge anti-terroriste le 29 mars 2004 dans le cadre de son enquête sur l’attentat contre le président rwandais Juvenal Habyarimana, le 6 avril 1994, qui s'était ensuivi du génocide. Dans l’ordonnance, Emmanuel Ruzigana est présenté comme «membre d’un ‘Network commando’, chargé de la protection du site de tir de missiles depuis la colline de Masaka» et «témoin visuel de l’attentat».

Dans une lettre adressée au magistrat et que s’est procurée le journal Libération, Ruzigana explique aujourd’hui «ignorer l’existence» d’un «Network commando» (présenté par Jean-Louis Bruguière comme celui qui a abattu l’avion présidentiel) et «n’avoir aucune connaissance sur la personne qui aurait tiré sur l’avion». Il affirme en outre qu'il n'était pas présent à Kigali le 6 avril, se trouvant dans le nord-est du pays et n’étant revenu dans la capitale qu’à la fin du génocide, deux mois plus tard. Emmanuel Ruzigana précise que, lors de son audition, la greffière lisait un texte, lui demandant de confirmer ou d’infirmer. «Parfois, je ne comprenais pas la question, il fallait s’y reprendre à plusieurs fois. Le juge n’aimait pas mes réponses. A la fin, il m’a dit, énervé : ‘C’est fini, sortez, il n’y aura pas d’asile !’», rapporte Libération.

Grains de sable dans les rouages

Le revirement de Ruzigana fait désordre côté français. Saisi en 1998, à la suite de la plainte des parents des pilotes français de l’avion présidentiel, le juge Bruguière avait lancé une véritable bombe politico-judiciaire le 23 novembre dernier. Il a en effet signé neuf mandats d’arrêt international contre des proches de l’actuel président rwandais, Paul Kagame, pour leur implication présumée dans l’attentat, provoquant l’ire des officiels.

Dans son rapport de 64 pages, le juge français soupçonne également Kagame, à l’époque le chef militaire de la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR), d’avoir ordonné l’attentat et recommande des poursuites devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Selon Jean-Louis Bruguière, la décision d’attenter à la vie de Juvenal Habyarimana aurait été prise lors d’au moins trois réunions tenues fin 1993 et début 1994 au quartier général du haut-commandement militaire du FPR, à Mulindi. Le juge français suggère aussi que le chef du FPR avait prévu et instrumentalisé les massacres.

Traitant Bruguière «d’imposteur» et l’accusant d’«allégations totalement infondées», Paul Kagame avait alors rompu le 27 novembre les relations diplomatiques de son pays avec la France. Les deux témoins principaux sur lesquels s’appuie le juge Bruguière sont Emmanuel Ruzigana et Abdul Ruzibiza, ancien infirmier et soldat. Ce dernier, exfiltré par les services français via l’Ouganda, vit lui aussi en Norvège et affirme avoir participé à l’attentat dans son livre Rwanda, l’histoire secrète (Panama, 2005).

Ruzibiza n’est pourtant pas visé par les mandats d’arrêt du juge. Ruzigana non plus d’ailleurs. Les témoignages des deux hommes, dissidents du FPR, n’ont pas été recoupés sur le terrain et le juge Bruguière n’a jamais voulu se rendre Rwanda pour mener l’enquête. Pour autant, la chambre du TPIR saisie du procès du colonel Théoneste Bagosora (accusé par le procureur d'être «le cerveau» du génocide) a déclaré ce lundi avoir «admis en preuve» le rapport du juge qui pourrait être «utile», pour l'appréciation du «contexte» du génocide de 1994. 

Riposte judiciaire à venir

Après la riposte diplomatique, le Rwanda prépare sa riposte judiciaire. En effet, une commission d’enquête rwandaise a été créée en avril dernier pour déterminer le rôle de la France avant, pendant et après le génocide. La France est régulièrement accusée par l’actuel régime rwandais d’avoir entraîné et armé les responsables du génocide avant les massacres mais Paris a toujours démenti toute implication.

Selon le président rwandais, le dossier du juge Bruguière n’est pas étayé par «des faits ou des preuves». «Les gens ont tout faux quand ils associent l’attentat contre l’avion à la cause du génocide. Les massacres ont commencé en 1959 (date de l’indépendance du pays, ancienne colonie belge», avait-il rappelé le 27 novembre dernier. Annonçant que la commission rwandaise «va sortir des éléments sur l’attentat contre cet avion qui implique des Français : les pilotes, les soldats qui gardaient l’aéroport. (…) Le rapport Bruguière est basé sur des faussetés, mais nos juges peuvent poursuivre également des responsables français sur la base de faits et de preuves .»

La commission doit reprendre ses audiences publiques le 11 décembre et, à terme, se prononcer sur une éventuelle procédure contre Paris devant la Cour internationale de justice (CIJ). Entre Paris et Kigali, c’est œil pour œil et dent pour dent.



par Olivia  Marsaud

Article publié le 04/12/2006 Dernière mise à jour le 04/12/2006 à 16:21 TU

Audio

Emmanuel Ruzigana

L'un des témoins-clé

«Je suis prêt à jurer, je n'ai aucune relation avec l'attentat d'Habyarimana. Il faudrait quand même que vous sachiez je n'étais pas à un échelon militaire où j'avais le pouvoir de tirer sur l'avion.»

[04/12/2006]

Emmanuel Ruzigana

L'un des témoins-clé

«Ce n'est pas le juge Bruguière qui posait les questions, c'est la fille... je ne sais pas qu'elle était sa fonction, je crois que c'était une greffière ou quelque chose comme ça.»

[04/12/2006]

Articles