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Tchad

A la croisée des couloirs d'hôtel

Des représentants de l'opposition et des ministres du gouvernement à la sortie d'une séance de négociations sur le cadre électoral.  

		(Photo : Sophia Rolley)
Des représentants de l'opposition et des ministres du gouvernement à la sortie d'une séance de négociations sur le cadre électoral.
(Photo : Sophia Rolley)

Reportage dans les couloirs d'un grand hôtel de N'Djaména, où se croisent sans toujours se voir les protagonistes de la crise tchadienne, civils et militaires, nationaux et étrangers.


De notre correspondante à N'Djaména

7h du matin, un groupe de militaires chinois en uniformes se prépare à quitter l’hôtel. Leur présence ne surprend aujourd’hui plus personne. Pourtant, il y a moins d’un an, le Tchad accusait sans relâche la Chine de fournir, à travers le Soudan, des armes aux rebelles tchadiens. Mais, en août 2006, juste avant l’investiture du président Deby, le gouvernement tchadien a décidé de rétablir les relations diplomatiques avec Pékin. Depuis, coopérants militaires ou businessmen avec leurs familles, les Chinois sont de plus en plus présents un peu partout dans la capitale.

Instructeurs américains, pilotes mexicains et coopérants français

Dans le hall de l’hôtel, se croisent la plupart de ceux qui participent au renforcement des capacités de l’armée tchadienne. Les officiers américains font des sessions d’entraînement pour deux bataillons de la garde présidentiel, dans le cadre d’un programme de lutte anti-terroriste. Des pilotes mexicains des hélicoptères de l’armée tchadienne viennent y boire un verre entre deux missions. Sans oublier bien sûr, les militaires français de l’opération Epervier qui envahissent chaque jour la piscine et se prélassent sur les transats.

Les mouvements sont quasi-pendulaires. Aux environs de midi, alors que les humanitaires ou les coopérants français vont faire un break à la piscine lors de leur pause déjeuner, les ténors de l’opposition et de la majorité sortent de l’une des salles de conférence. Certains continuent de discuter dans les couloirs. D’autres, pressés, repartent immédiatement reprendre leurs occupations. Chaque jour, pendant plusieurs heures, sous l’égide de l’Union européenne, tous échangent leurs points de vue sur le cadre électoral des futures élections, locales et législatives, au Tchad.

«Il faut avouer que le climat est apaisé», lance Yorongar, le président du parti FAR, l’un des deux groupes d’opposition à avoir boycotté l’élection présidentielle de 2006. A l’époque, la CPDC et le parti FAR reprochaient au président Déby, au pouvoir depuis 17 ans, d’avoir modifié la Constitution pour pouvoir se représenter et d’avoir truqué les élections. Quelques plaisanteries fusent. «Cela n’a rien d’étonnant», explique un opposant. «Certains ont été à l’école ensemble et nous n’avons pas toujours été ennemis. Même s’il y a toujours des divergences, l’important est d’aller de l’avant», confie-t-il.

L’opposition politique intérieure, la société civile et les mouvements rebelles tchadiens réclament en fait, au-delà des questions techniques du cadre électoral, un dialogue «inclusif», comprenant tous les acteurs de la crise politico-militaire tchadienne, sous médiation de la communauté internationale, pour parvenir à un gouvernement de transition et à des élections libres et démocratiques.

Chassé-croisé rebelle

Des hommes enturbannés, en boubous blancs immaculés, discutent sur la terrasse, à l’ombre des arbres. Ce sont des responsables d’un mouvement rebelle soudanais du Darfour non-signataire de l’accord de paix d’Abuja, le Mouvement justice et égalité (MJE). Quelques chaises restent vides, dans l’attente d’éventuels visiteurs. «Le théâtre d’opération du MJE, c’est ici», s’amuse l’un des représentants d’un mouvement rebelle soudanais concurrent, le Mouvement de libération du Soudan (MLS), en désignant la terrasse de l’hôtel. «Ils sont plus souvent ici que sur le terrain», raille-t-il.

Les visiteurs ne tardent pas. Ce sont des responsables politiques et militaires érythréens. L’Erythrée est l’un des pays qui a la plus grande connaissance des mouvements rebelles du Darfour. Et pour cause, depuis 1994, ils apportent un soutien à l’opposition soudanaise, l’Alliance nationale démocratique (NDA), mais aussi aux mouvements rebelles du Sud Soudan et, depuis puis plus récemment, à d'autres au Darfour. Après l’échec de l’accord de paix d’Abuja, sur initiative de l’Erythrée, les rebelles non-signataires de l’accord de paix se sont réunis à Asmara durant l’été 2006. Certains d’entre eux se sont unis sous la bannière du NRF, le National Redemption Front. Depuis le début de l’année, des officiels érythréens sont au Tchad pour rencontrer les chefs de la rébellion.

Les visiteurs ne manquent pas : Américains, Français, Libyens… La communauté internationale pousse dans son ensemble à l’unification des mouvements rebelles pour lancer un nouveau round de négociations avec Khartoum. Mais elle reste divisée sur la manière de s’y prendre. Un premier pool de médiateurs ( Etats-Unis, Union européenne, ONU, Union africaine) pousse le Mouvement de libération du Soudan (MLS), jusque-là très divisé, à s’unifier sous un commandement militaire ou politique plus clair. Le second pool (Erythrée, Libye et Tchad) préfère l’option NRF. Parallèlement, l’Erythrée et les Etats-Unis, dont les relations sont de plus en plus mauvaises, cherchent à s’exclure l’un l’autre du processus.

La présence des rebelles soudanais dans l’hôtel reste quasi-insoupçonnée. Les leaders des mouvements se croisent, se saluent, discutent. Ils sont à la terrasse, dans le bar ou les chambres. Autour d’eux gravitent toutes sortes de personnalités, tchadiennes, soudanaises, étrangères, civiles ou militaires. La routine de l’hôtel se trouve parfois perturbée par l’arrivée massive d’officiers tchadiens en uniforme. Sans même demander leur chemin, ils se précipitent à l’étage, où d’anciens ennemis les attendent dans des chambres spécialement réservées pour eux. Ce sont des responsables politiques ou militaires de la rébellion tchadienne de l’Est. Loin de l’image d’hommes vivant au front, ils sont fraîchement rasés, vêtus de costumes flambant neufs.

«Ce n’est pas du tout le même mode de vie», confie l’un d’entre eux. Il est trop tôt pour parler de ralliement. Il s’agit de simples «négociations», expliquent-ils, mais elles ont un parfum de retrouvailles. Militaires et rebelles tchadiens se tombent dans les bras, évoquent d’anciennes batailles, des connaissances communes… «Ce sont des amis ou des membres de la famille», explique encore le rebelle. Au Tchad, le va-et-vient des défections et des ralliements, le passage des combattants d'un camp à l'autre, est monnaie courante.



par Sonia  Rolley

Article publié le 29/04/2007 Dernière mise à jour le 29/04/2007 à 14:23 TU