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Tchad-Soudan

Le prix d'une guerre silencieuse

Des réfugiés du Dar Sila. 

		(Photo : Sonia Rolley/RFI)
Des réfugiés du Dar Sila.
(Photo : Sonia Rolley/RFI)
Les tensions inter-communautaires ont été relancées depuis 2006 à la frontière Est du Tchad. Ces derniers jours, elles ont conduit à de violentes attaques contre des communautés africaines Dadjos. S’agit-il d’un débordement de la crise du Darfour sur le Tchad ? Pas uniquement : l’Est paie également le prix de la guerre silencieuse qui oppose Tchad et Soudan par groupes rebelles interposés. 

Tiero et Marena après les attaques. Les humanitaires ont pu se rendre dans les deux villages détruits par les milices le 31 mars dernier. Ils y ont trouvé un décor apocalyptique. Des corps abandonnés. Des centaines de maisons réduites en cendres. Des cadavres d’animaux en décomposition «Une odeur pestilentielle s'échappait des carcasses d'animaux domestiques tels que les ânes, les chèvres et les poulets qui avaient été abattus par balles, brûlés ou qui sont morts de soif, explique un porte-parole du HCR à Genève, Ron Redmond, car leurs propriétaires n'avaient pas eu le temps de les détacher. Des chiens affamés et terrifiés ne cessaient d'aboyer». Le long de la route, on trouvait encore les biens abandonnés par des villageois en fuite.

Le village de Tiero lors d'une précédente attaque. 

		(Photo : Reuters)
Le village de Tiero lors d'une précédente attaque.
(Photo : Reuters)

Tiero et Marena sont situés à l’Est du Tchad, dans le département du Dar Sila. Les attaques de la fin mars y ont fait, selon les derniers bilans, entre 200 et 400 victimes. «Comme beaucoup de morts ont été enterrés sur les lieux même où leur corps a été trouvé, indique le porte-parole du HCR, souvent dans des fosses communes, compte tenu de leur nombre, nous ne saurons peut-être jamais le nombre exact de morts». Les violences ont également conduit au déplacement de plus de 9 000 Tchadiens, originaires d’une trentaine de villages.

Qui sont les auteurs de ces exactions ? Selon les témoignages recueillis par les humanitaires auprès des déplacés, ce sont les membres de milices arabes tchadiennes, de milices arabes soudanaises, mais aussi des rebelles tchadiens. Qui sont les victimes ? Des communautés Dadjos : l’un des principaux groupes de population non-arabe dans le Dar Sila.

L’horreur des destructions ne doit pourtant pas masquer que des populations arabes ont également fui la région dès avant les attaques par peur des milices Dadjos, neuf cents ménages environ selon des sources humanitaires : «Vous avez des communautés arabes (notamment) qui auraient fui vers la frontière soudanaise en anticipation d’attaques possibles contre leur village», explique Hélène Caux, du HCR. Les combats intercommunautaires sont rarement simples à décrire. Les victimes d’aujourd’hui peuvent être les bourreaux de demain. La peur existe des deux côtés, elle est d’ailleurs souvent l’un des moteurs de la violence.

Politique des milices au Soudan et au Tchad

Human Rights Watch (1) a effectué des recherches sur les précédentes vagues de violences dans le Dar Sila, celle d’octobre 2006 notamment. Le rapport mentionne les exactions des milices arabes, mais décrit également des attaques de milices Dadjo. Il nous apprend également que ces violences ont eu une dimension politique : «Les pillages étaient un motif clair, mais les raids des milices ont également été guidés par un agenda politique spécifique, comme le suggèrent les déclarations attribuées au chef des milices arabes, un homme appelé Abdul Haq. (…) Il est venu un jour avec sept hommes armés à dos de cheval, raconte un homme Dadjo, et il a dit aux janjawids de ne pas tuer les femmes, les enfants et les hommes âgés. Tous les jeunes hommes sont des Toro Boro. Ne tuez que les jeunes hommes». Toro Boro : les rebelles soudanais présents à l’Est du Tchad, et par extension toutes les milices alliées au gouvernement tchadien… Les destructions du Dar Sila sont plus complexes qu’un simple débordement de la crise du Darfour sur l’Est tchadien, une simple extension de la zone de raid des janjawids soudanais. Elles sont également liées à la guerre silencieuse que se livrent Tchad et Soudan depuis fin 2005.

Les départements du Dar Tama et du Sila à l'est du Tchad voient se multiplier les violences inter-communautaires depuis 2006. 

		(Cartographie: Marc Verney/RFI, source: Géoatlas)
Les départements du Dar Tama et du Sila à l'est du Tchad voient se multiplier les violences inter-communautaires depuis 2006.
(Cartographie: Marc Verney/RFI, source: Géoatlas)

Il y a dans le Dar Sila des conflits traditionnels pour les ressources naturelles, l’eau, la terre, etc. Mais jusqu’ici, ils atteignaient une ampleur bien moindre. Quand les autorités soudanaises ont lancé leur campagne de contre-insurrection contre les rebelles dans le Darfour sud, dans les premiers mois de 2004 (pour répondre à l’ouverture d’un nouveau front au Sud par les rebelles), elles ont recruté et armé des tribus arabes qui venaient du Tchad, forcées à émigrer dans le Darfour. Les milices de ces tribus se sont retrouvées équipées de nouveaux moyens de destruction.

En octobre 2005, l’ANT, l’Armée nationale tchadienne décide de redéployer ses forces présentes à la frontière pour pouvoir se renforcer sur des villes stratégiques comme Adré et Abéché… Là où l’armée disparaît, les milices prennent la place. Et les milices arabes ne sont pas seules : ne pouvant pas assurer la sécurité de toute la frontière, les autorités tchadiennes décident de s’appuyer sur les communautés Dadjo, qui payent un lourd tribut aux attaques de milices arabes… Elles leur donnent des armes, car elles suspectent les arabes d’être favorables à la rébellion. C’est une politique dangereuse : on comble une absence de l’Etat avec un jeu d’équilibre délicat entre milices ethniques. La région risque de basculer à tout moment dans un cycle de violences et de représailles.

Vengeances dans le Dar Tama

Le Dar Sila n’est pas la seule région de la frontière où se produit ce jeu dangereux. Dans le Dar Tama, plus au nord, les hommes de l’ex-rebelle et désormais ministre de la Défense, Mahamat Nour, se vengent actuellement des années où leur communauté, la communauté Tama, était victime des exactions des communautés Zaghawas.

Le chef rebelle Mahamat Nour, «l’homme du Soudan», a rallié le régime le 24 décembre dernier… Il a signé un accord à Tripoli qui prévoit que le FUC, Front uni pour le changement démocratique (ou tout au moins sa faction du FUC), soit associé au pouvoir… Il est devenu ministre de la Défense, un brassage des troupes est prévu mais il prend beaucoup de retard et les hommes de Nour ont tendance à faire la loi dans le département du Dar Tama, leur région d’origine. Ils règlent de vieilles histoires inter-communautaires.

Des Zaghawas sont arrivés dans le Dar Tama au début des années 90, chassés de leurs terres par la sécheresse. Comme à l’époque l’un des leurs (Idriss Déby) est au pouvoir à N’Djamena, ils se sentent en position de force et multiplient les exactions contre les Tama… Ceux-ci accumulent les griefs et partent en rébellion. Il y aura l’ANR de Mahamat Garfa… puis bien plus tard le RDL de Mahamat Nour qui est un ancien de l’ANR mais refuse de rallier le régime avec Garfa. Pour ces mouvements, le Dar Tama est un bassin de recrutement, ce qui incite le gouvernement à s’appuyer sur les milices zaghawas pour casser la base de la rébellion. Les autorités profitent des griefs qui existent entre Tamas et Zaghawas.

Le pouvoir de N'Djamena répond à ces contestations en jouant la carte ethnique : Il arme des milices zaghawas dans le département. Il accélère les distributions d’armes en 2006… Depuis le ralliement de Mahamat Nour et depuis que les rebelles d’un chef zaghawa, Timane Erdimi, ont réussi à entrer sans grande difficulté dans la ville de Guéréda, le chef-lieu du Dar Tama, le régime semble avoir changé son fusil d'épaule. Il accuse les milices zaghawas d’être manipulées par Erdimi, il affirme même qu’il existe dans le Dar Tama des groupes armés mis sur pieds par les rebelles lors de leur passage, qu’il faut démanteler. Il laisse donc aux hommes de Nour, les Tama, le soin d'assurer la sécurité du département.

C’est un renversement d'alliance qui a relancé les tensions entre communautés. Des familles réfugiées zaghawas quittent le département pour aller dans des camps du territoire de Kobé. Certains proches du pouvoir dénoncent à mots couverts les attaques de représailles qui visent des localités zaghawas... Il y a eu depuis la fin de l'année dernière plusieurs accrochages entre combattants tamas et milices zaghawas.

L’Est du Tchad n’est pas le Darfour. La dynamique politique n’est pas la même, les violences n’y ont pas atteint la même échelle… Il y a cependant une parenté entre la crise du Darfour et ce qui se passe à l’Est du Tchad : dans les deux cas on assiste à un manque d’Etat, l’Etat faillit à réguler les conflits inter-communautaires. Dans les deux cas, l’Etat alimente même ces conflits en faisant reposer sa sécurité sur des milices ethniques, et il ne choisit pas les ethnies qu’il arme au hasard : il choisit les groupes opposés à ceux dans lesquels les rebelles sont censés recruter. Au Darfour comme dans l’Est du Tchad, cette stratégie conduit à une prolifération des armes.

Aux origines de la guerre silencieuse

Ce cycle de violence à l’Est n’a été rendu possible que parce que depuis fin 2005, début 2006 le Tchad et le Soudan sont entrés dans une guerre silencieuse… Ils se battent par rébellions interposées. Le conflit Tchad-Soudan n’est pas le point de départ des violences inter-communautaires qui ont lieu actuellement, mais additionné à la crise du Darfour, il a permis aux affrontements entre communautés de prendre une telle ampleur.

Un rebelle tchadien monte la garde, à la frontière Tchad-Soudan. 

		(Photo : Laurent Correau / RFI)
Un rebelle tchadien monte la garde, à la frontière Tchad-Soudan.
(Photo : Laurent Correau / RFI)

Pour comprendre cette «guerre silencieuse», il faut remonter au début des années 2000, quand des mouvements rebelles se structurent au Darfour sur des revendications régionalistes. Ces mouvements ne veulent pas l’indépendance de leur région, ils réclament plus de développement, un meilleur partage du pouvoir… A l’époque, le régime soudanais sort à peine d’une crise politique profonde qui a vu l’exclusion de l’islamiste Hassan Al-Turabi : il souffle lui aussi sur les braises. Les mouvements s’organisent, ils passent à l’action en février 2003. En avril, ils remportent leur première vraie victoire dans la bataille d’El-Fasher. Le gouvernement soudanais répond en armant des milices qui vont faire le travail de contre-insurrection pour lui et commence, dans le Darfour nord, une politique de la terre brûlée et de déplacement systématique des populations qui sont liées aux rebelles : les Furs, les Massalits et les Zaghawas.

Il y a aussi des Zaghawas au Tchad. Ils sont même très bien placés puisqu’en 90, c’est l’un des leurs, Idriss Déby qui a pris le pouvoir. Les rebelles soudanais cherchent donc à jouer la carte de la solidarité ethnique : ils demandent de l’aide au Tchad. A l’époque, Idriss Déby a de bonnes relations avec le Soudan. C’est en partie grâce aux Soudanais qu’il a réussi à prendre le pouvoir, il sent bien les problèmes que le Darfour peut lui valoir… et il refuse. Ce sont en fait des dignitaires de son régime ou des militaires qui vont prendre l’initiative, par solidarité entre Zaghawas, de soutenir les rebelles ou même de se battre dans leurs rangs. Déby n’approuve pas, mais il laisse faire.

Ca n’est que le premier épisode de l’histoire : ces appuis tchadiens aux rebelles du Darfour pèsent sur les relations entre les deux pays, les relations se dégradent. Les militaires de Khartoum sont d’autant plus inquiets qu’ils assistent à une crise de régime chez leur voisin tchadien à l’issue de laquelle des Zaghawas entrent en rébellion. C’est une catastrophe : si ces Zaghawas en viennent à remplacer un autre, le soutien tchadien aux rebelles du Darfour risque de se poursuivre, voire de s’aggraver. La sécurité soudanaise met donc en selle un homme qui lui a déjà offert des services précieux au sud Soudan et dans le Darfour, Mahamat Nour.

Nour crée son mouvement, le RDL (Rassemblement pour la démocratie et la liberté), il attaque Adré le 18 décembre 2005, puis fin décembre, il est placé à la tête d’une grande alliance des rebelles de l’Est, le FUC, le Front uni pour le changement démocratique. Les Soudanais encadrent le FUC, fournissent des armes, des véhicules. La guerre silencieuse entre Tchad et Soudan est déclarée. Idriss Déby, cette fois-ci, se rapproche de façon très claire des rebelles du Darfour. On sort d’un soutien informel, juste toléré : le MJE ( Mouvement pour la justice et l'égalité) aide le régime tchadien à stopper l’offensive d’avril 2006, et depuis, ceux qu’on appelle les «Toro Boro», c’est-à-dire les rebelles soudanais présents au Tchad, aident l’armée tchadienne à assurer la défense de la frontière. Toro Boro et gouvernement tchadien s’opposent au gouvernement soudanais et aux rebelles tchadiens. Les populations de la frontière, elles, se rangent de façon croissante derrière l’un ou l’autre bloc dans une dangereuse polarisation.



par Laurent  Correau

Article publié le 13/04/2007 Dernière mise à jour le 13/04/2007 à 16:16 TU

(1) Human Rights Watch « They came here to kill us », Militia attacks and ethnic targeting of civilians in Eastern Chad, janvier 2007. Téléchargeable à l’adresse : http://hrw.org/reports/2007/chad0107/chad0107web.pdf