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Cambodge

Le procès des Khmers rouges va pouvoir commencer

Le mémorial des victimes des Khmers rouges à Choeung Ek, près de Phnom Penh. 

		(Photo : AFP)
Le mémorial des victimes des Khmers rouges à Choeung Ek, près de Phnom Penh.
(Photo : AFP)

Il aura fallu près de trente ans pour ouvrir l’espoir d’un procès aux millions de victimes du régime khmer rouge de Pol Pot et porter l’un des quatre génocides du Xxe siècle devant les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) , la cour mixte spécialement créée à cet effet en 2003 et composée de juges nationaux et internationaux. Ces derniers ont en effet adopté le règlement intérieur de la cour, ce 12 juin, à Pnom Penh, après des mois d’épineuses tractations et des années de controverses largement alimentées par les revendications de souveraineté sourcilleuses du Cambodge.


«Nous pouvons désormais avancer», assurait mercredi le coprocureur du tribunal, le Canadien Robert Petit, son alter ego cambodgien, Chea Leang, renchérissant : «Nous sommes conscients que le monde a les yeux fixés sur ces affaires». Cette fois, les magistrats cambodgiens ont en tout cas adopté une centaine de règles de fonctionnement de la cour, à l’unanimité avec leurs homologues de l’ Assistance des Nations unies au procès des Khmers rouges (l’UNAKTR, selon son acronyme anglais), l’instance qui constitue la partie internationale des CETC. Comme en témoigne leur communiqué publié le 13 juin, «au cours des discussions des 11 derniers mois, les juges de divers pays et systèmes judiciaires, notamment de common law, sont parvenus à des solutions mutuellement acceptables garantissant des procès équitables». Les magistrats ont en particulier réglé la question de «la participation des victimes et de la manière de garantir leurs droits» en respectant «la procédure et le droit cambodgien» aussi bien que «les standards internationaux».

Un premier procès possible d'ici début 2008

Les victimes devraient donc finalement pouvoir se constituer parties civiles mais «seule une réparation collective et non financière a été jugée possible». Le communiqué du «tribunal hybride» indique que les procureurs peuvent désormais «délivrer leur premier réquisitoire introductif» et les juges d’instruction commencer leur travail, les enquêteurs ayant «prêté serment devant la Chambre préliminaire» ce même 12 juin au cours de l’Assemblée plénière des CETC. Le premier procès devrait pouvoir se tenir d’ici le début 2008. Les dernières hypothèques qui pesaient sur le tribunal chargé de rendre justice à quelque deux millions de morts et à d'innombrables survivants de l'apocalypse khmère rouge paraissent levées. Et cela après des années d’atermoiements et de tensions qui alimentaient ces derniers mois des doutes sur la réelle détermination de Pnom Penh à juger des accusés en voie de disparition avec le temps qui passe.

Les 29 magistrats des CETC avaient prêté serment en juillet 2006, après huit ans de tractations entre Pnom Penh et les Nations unies à qui le gouvernement cambodgien avait demandé une aide judiciaire dès juin 1997. Il avait à l'époque refusé la création d’un tribunal pénal international ad hoc sur le modèle de ceux qui avaient été créés quelques années plus tôt pour juger des crimes contre l’humanité commis en Yougoslavie et du génocide du Rwanda. De bras de fer en menaces de rupture, un accord bilatéral avait finalement été signé le 6 juin 2003, donnant naissance à un «tribunal hybride», les CETC. Dotées d’un budget de 56 millions de dollars, ces chambres mixtes sont «compétentes pour juger des crimes suivants : génocide, crimes contre l’humanité, infractions graves aux Conventions de Genève de 1949, autres crimes définis par la loi cambodgienne instituant les Chambres extraordinaires, en particulier le meurtre, la torture, la persécution pour des motifs religieux, la destruction de biens culturels dans le cadre d’un conflit armé, ainsi que les infractions aux conventions de Vienne protégeant les diplomates».

Les «responsables étrangers de la tragédie» ne seront pas poursuivis

Compétentes pour les seuls «crimes commis entre la prise de pouvoir par les Khmers rouges le 17 avril 1975 et l’arrivée des troupes vietnamiennes le 6 janvier 1979», les Chambres extraordinaires devront limiter leurs poursuites «aux principaux dirigeants du Kampuchéa démocratique et aux principaux responsables des crimes» inscrits dans son champ de compétences au Cambodge, à l’exclusion des «responsables étrangers de la tragédie, qui ont notamment apporté un soutien au régime de Pol Pot», parmi lesquels la Chine. Il s'agira donc de prévenir les éclaboussures par delà les frontières et de laver en famille un linge sale qui est aussi à prendre avec des pincettes au plan national. Il n'est de ce fait pas désagréable à tout le monde qu'entre-temps Pol Pot soit passé de vie à trépas. Le «frère numéro 1» d'un national-communiste qui a voulu faire table rase du passé cambodgien, raboter la pensée en éliminant intellectuels et opposants, enfermer en camp de rééducation tout un peuple chassés des villes et mis au travail forcé à la campagne, Pol Pot a en effet disparu à soixante-treize ans, le 15 avril 1998.

Condamné à mort par contumace au Cambodge, Pol Pot s’était volatilisé, en Thaïlande semble-t-il, jusqu’à ce qu’en juillet 1997 ses anciens camarades le ramènent, malade et usé, devant la justice cambodgienne qui prononça alors une peine de détention à perpétuité. Difficile à croire tant le boureau khmer avait semblé omnipotent, sa mort a fait couler beaucoup d’encre. Le 21 juillet 2006, celle de son redoutable commandant militaire, Ta Mok (arrêté en mars 1999 dans la forêt sui sépare le Cambodge de la Thaïlande), avait frustré un peu plus ceux qui souhaitent que lumière soit faite sur cette sinistre période. Aujourd’hui, tandis que d’anciens cadres du régime de Pol Pot vivent librement au Cambodge, seul reste en prison un ancien responsable Khmer rouge (surnommé Duch) qui dirigea un centre d'interrogatoires et de tortures à Phnom Penh. Par ailleurs, Nuon Chea, qui fut le «frère numéro deux» de l'organisation, l'ancien président Khieu Samphan et l’ancien ministre des Affaires étrangères Ieng Sary devraient être parmi les premiers mis en accusation. Mais pour le reste, la liste complète et l’identité des éventuels suspects passibles des CETC n’ont pas encore été rendus publics.



par Monique  Mas

Article publié le 13/06/2007 Dernière mise à jour le 13/06/2007 à 13:43 TU

Audio

Marcel Lemonde

Co-juge d'instruction français du procès des Khmers rouges

«Les juges cambodgiens et internationaux ont affirmé leur volonté et leur détermination de mener à bien ce procès dans les meilleures conditions et dans les meilleurs délais.»

[14/06/2007]

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