par François Cardona
Article publié le 29/11/2007 Dernière mise à jour le 29/11/2007 à 20:14 TU
Une affiche géante « Moscou vote pour Poutine » du parti Russie Unie à proximité de la Place Rouge, à Moscou, le 25 novembre 2007.
(Photo : Reuters)
Elu en 2000 et réélu en 2004, Vladimir Poutine peut se targuer d’avoir apporté la stabilité politique à son pays et d’avoir obtenu des résultats économiques plutôt satisfaisants. Les revenus sont en hausse depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin et la consommation des ménages dynamise la croissance, qui s’établissait à 7,8% au premier semestre 2007. Cette croissance est soutenue par une augmentation de l'investissement (+ 22% au premier semestre 2007).
Cependant l’inflation grimpe et pourrait atteindre 10% d’ici fin 2007. Fin octobre dernier, le gouvernement, en accord avec les principaux producteurs et distributeurs de l’industrie alimentaire russe, a donc décidé de geler les prix de certains produits de base soumis à une forte hausse des prix (+ 13% pour l’huile, + 50% pour le pain). Craignant un mouvement de grogne à l’approche des élections législatives, le gouvernement de Viktor Zubkov a gelé le prix du lait, du fromage, des œufs, du pain et de l’huile végétale. Et ce, jusqu’au 31 janvier 2008, soit un mois avant l’élection présidentielle, prévue pour le 2 mars prochain.
Dans une logique de réappropriation du pouvoir économique, Vladimir Poutine a également réussi à réinstaurer la prééminence de l’Etat central sur les oligarques russes. Il a notamment fait plier le groupe pétrolier Youkos, s’est emparé de son empire et a mis son patron Mikhaïl Khodorkovski en prison. Tout comme il a patiemment lancé le Kremlin dans une stratégie de grignotage accéléré des actifs énergétiques dont s’étaient emparés les oligarques lors des privatisations massives, et troubles, des années 90. Ces prises de contrôle par l'Etat du secteur énergétique pourraient, à terme, nuire à son développement et conduire à de lourdes inefficacités de gestion.
Armée russe renforcée
La renaissance de la « Grande Russie » voulue par Vladimir Poutine est également passée par la rénovation de l’armée, l’ex-Armée rouge, mal-équipée, démotivée et en perte de repère. Car tenir un discours musclé sur l’armée est très payant électoralement en Russie. Selon les sondages, de nombreux Russes sont nostalgiques de la puissance militaire et diplomatique de l’ex-URSS.
Poutine, qui a fortement augmenté les dépenses militaires ces huit dernières années, a cherché à renforcer l’influence internationale de son pays en haussant le ton face aux Etats-Unis, l’ennemi d’hier. En août dernier, les vols de bombardiers longue distance ont repris, comme au temps de la Guerre froide. Et le 20 novembre, le président russe déclarait que les forces stratégiques et nucléaires étaient prêtes à riposter « rapidement et de manière appropriée » à toute agression. Une arrogance militaire conforme à la politique du Kremlin, face à l’élargissement à l’Est de l’Alliance atlantique (OTAN), en direction des Etats baltes et de l’Europe centrale.
Retour sur la scène internationale
Depuis son accession au pouvoir, Vladimir Poutine n’a cessé de prendre position sur des dossiers internationaux, sur lesquels la voix de la Russie s’était faiblement fait entendre pendant les années 90. Il a régulièrement reproché aux Etats-Unis de vouloir imposer leur politique au monde entier, de répandre l’instabilité, comme en Irak, avec des initiatives unilatérales. Dans le dossier du nucléaire iranien, Moscou, appuyé par Pékin, refuse l’adoption de sanctions à l’encontre de Téhéran, contrairement à la stratégie poursuivie par les Etats-Unis. La Russie s’oppose également à Washington sur l’avenir du statut du Kosovo. Vladimir Poutine soutient ainsi son allié serbe qui revendique la souveraineté sur cette province séparatiste.
Omniprésence des services secrets
Poutine, lieutenant-colonel du KGB durant la Guerre froide et qui est devenu patron tout puissant du FSB (ex-KGB) en 1998, a systématiquement privilégié ses pairs, les installant au cœur du système étatique. Et c’est un véritable Etat dans l’Etat qui s’est consolidé en huit ans d’exercice du pouvoir. Ces « siloviki », (hommes en uniformes, en français) issus de l’ex-KGB, de son héritier le FSB et de l’armée, contrôlent désormais la majorité des postes clefs de l’Etat russe mais aussi, et surtout, des grands groupes industriels.
Selon Olga Krychtanovkaïa, directrice du centre d’étude des élites, (citée par l’hebdomadaire L’Express), ces hommes de l’ombre, constitués en « Corporation », occupent jusqu’à 77% des postes décisionnels dans les hautes sphères fédérales et régionales. Sergueï Ivanov, un général de l’ex-KGB, natif comme Poutine de Saint-Pétersbourg, est par exemple devenu vice-premier ministre. Viktor Tcherkessov, général du FSB (le successeur du KGB), lié de longue date avec Vladimir Poutine, est responsable du Service fédéral de contrôle des stupéfiants. Quant à Viktor Ivanov, ex-officier du KGB, il est conseiller du président russe, mais aussi président du directoire d’Aeroflot.
Or récemment, de violentes discordes sont apparues dans ce réseau souterrain ; un conflit qui porte sur le contrôle des douanes et le blanchiment d’argent… Mais surtout sur l’avenir des « siloviki », une fois Vladimir Poutine hors du Kremlin. C’est apparemment la fidélité au président russe et les intérêts financiers qui, jusqu’ici, cimentaient les relations entre tous ces hommes. La stabilité politique et la croissance économique de la Russie tiennent donc davantage au succès des « siloviki » qu’au charisme de leur président. Alors comment Vladimir Poutine compte-t-il tenir ses troupes, tout en exerçant la réalité du pouvoir, mais sans être président ? La réponse restera en suspens au moins jusqu’à mars prochain, avec le résultat des élections présidentielles.
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