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Russie

L’aristocratie secrète du président Poutine

par François Cardona

Article publié le 30/11/2007 Dernière mise à jour le 30/11/2007 à 17:39 TU

Ils se sont infiltrés partout. De nouveaux oligarques tiennent désormais la Russie entre leurs mains, avec à leur tête Vladimir Poutine. Les « Siloviki » (Hommes en uniforme) – issus de l’ex-KGB, de son héritier le FSB et de l’armée – détiennent  la plupart des postes clefs au sein des institutions fédérales et régionales, mais aussi, et surtout, dans les grands groupes industriels, dont l’énergie. Leur objectif : rendre à la Russie sa stabilité et sa grandeur passée. Mais à quel prix ?

Vladimir Poutine (droite) avec Dmitri Medvedev, premier vice-Premier ministre, qui préside également le conseil de surveillance de Gazprom, le numéro 1 mondial du gaz.(Photo : AFP)

Vladimir Poutine (droite) avec Dmitri Medvedev, premier vice-Premier ministre, qui préside également le conseil de surveillance de Gazprom, le numéro 1 mondial du gaz.
(Photo : AFP)

Vladimir Poutine et son parti, Russie unie, sont quasiment assurés de remporter les élections législatives de ce dimanche. Face à la propagande présidentielle, l’opposition n’avait pas la moindre chance. Les manifestations ont été réprimées dans la violence et les candidats les plus récalcitrants, comme l’ex-champion du monde d’échec Garry Kasparov, ont été mis en prison pour quelques jours. Ce scrutin s’apparente donc davantage à un référendum/plébiscite en faveur du chef du Kremlin qu’à une véritable élection pluraliste.

Elu en 2000, réélu en 2004, Vladimir Poutine ne s’est finalement pas résolu à modifier la Constitution russe qui lui interdit de briguer un troisième mandat, lors de la prochaine élection présidentielle du 2 mars 2008. Il semble néanmoins assuré de devenir le Premier ministre de la Russie ou, à tout le moins, le chef de la future majorité parlementaire. Le système qu’il a patiemment mis en place a donc toutes les chances de perdurer. Car Vladimir Poutine, obscur lieutenant-colonel du KGB, adepte de la « verticale du pouvoir », a depuis des années tissé un immense réseau, en s’appuyant sur le KGB et son successeur le FSB.

Les « Hommes en uniforme »

Ce réseau, cette « Corporation » comme l’appellent les spécialistes, permet au chef du Kremlin de contrôler l’ensemble de la pyramide du pouvoir économique et politique en Russie. En maître, Vladimir Poutine a systématiquement placé dans les institutions politiques fédérales et régionales, les organes de sécurité et les groupes industriels d’Etat, des anciens du KGB, des membres actifs du FSB et des membres de l’armée. On les nomme les « Siloviki », (Hommes en uniforme). Ils sont devenus les nouveaux oligarques de la Russie de Poutine. Les premiers oligarques s’étaient enrichis pendant les années 90 en profitant des privatisations à bas prix, souvent frauduleuses. Sous l’égide de Boris Eltsine, ce petit clan avait dépecé à son profit l’économie russe et s’était constitué des fortunes considérables, au détriment de l’Etat russe. Insupportable pour Vladimir Poutine, qui une fois au pouvoir a mis ces multimillionnaires au pas ou les a contraints à l’exil, puis les a remplacés par des hommes à lui, des « Siloviki ». Ces hommes règnent désormais sur l’administration présidentielle, le gouvernement, l’état-major, les grands groupes énergétiques, les potentats régionaux, et bien évidemment les services secrets. Avec un objectif : redonner à la Russie une place centrale sur l’échiquier mondial.

« Crochet de boucher »

Cette « Corporation » a, pour la première fois, été publiquement révélée en octobre dernier par un général membre du FSB, Viktor Tcherkessov, un proche de Vladimir Poutine, qui déplorait des luttes internes au sein du réseau, dont son bras droit avait fait les frais.

Pour Tcherkessov, comme pour tous les « Siloviki », la Russie a été sauvée du chaos grâce aux hommes du KGB-FSB, en 1999 (un an après la nomination de Vladimir Poutine à la tête du FSB). Dans une lettre rendue publique, Viktor Tcherkessov comparait les « Siloviki » à un « crochet de boucher » auquel le pays serait suspendu, après avoir été menacé de « tomber dans l’abîme ». Mais ce crochet est « rongé par la rouille interne » et menace de se rompre. Pour éviter la guerre de « tous contre tous », les hommes du FSB doivent donc « respecter certaine normes », et notamment privilégier leur fidélité à Poutine. A l’origine de cette déclaration, des conflits au sein des services de sécurité, concernant le trafic de drogue et le blanchiment d’argent, des affaires très lucratives dans lesquelles baigne le FSB, mais qui excitent les convoitises.

Cercle restreint tout puissant

Au dessus de la mêlée règne une poignée d’hommes qui ont la confiance du président russe. Une bonne partie de ces « élus » est passée par la mairie de Saint-Pétersbourg, dans laquelle a officié Vladimir Poutine. Il y a tout d’abord les deux vice-Premiers ministres, Sergueï Ivanov (ex-membre du KGB) en charge du complexe militaro-industriel, et Dmitri Medvedev (ancien de la mairie de Saint-Pétersbourg) qui occupe un poste stratégique, outre celui de premier vice-Premier ministre : Dmitri Medvedev préside le conseil de surveillance de Gazprom, le numéro 1 mondial du gaz (49 milliards de dollars de chiffre d’affaires). Gazprom, le bras armé du Kremlin, capable de fermer les conduites de gaz lorsque l’Ukraine, par exemple, emportée par la révolution Orange, menace de porter au pouvoir un président pro-occidental, Viktor Iouchtchenko, au détriment du pro-russe Viktor Ianoukovitch, protégé de Vladimir Poutine.

Des dizaines de milliards de dollars

Dans ce petit groupe de proches installés au cœur du Kremlin, on trouve également Sergueï Tchemezov, ancien collègue de Poutine au KGB. Il est président de Rosoboronexport, l’agence d’exportation d’armes d’Etat, dont on sait peu de chose, sauf que le montant de ses ventes en 2006 s’élève à 6 milliards de dollars. Vient ensuite Igor Setchin, (ex-agent du KGB) qui est à la tête du conseil de surveillance de l’entreprise pétrolière Rosneft (17,6 milliards de dollars de CA en 2006). Il y a aussi Viktor Ivanov (ex-agent du KGB, où il a connu Poutine) ; il préside le directoire du constructeur aéronautique militaire Almaz Antey et celui de la compagnie aérienne Aeroflot. Enfin, n’oublions pas Alexeï Koudrine (qui est passé par la mairie de Saint-Pétersbourg). Il préside Alrosa, le deuxième producteur mondial de diamants, ainsi que la deuxième banque russe, Vniechtorgbank (22 milliards de dollars d’actifs, selon le quotidien français Les Echos).

Lutte à mort

A partir de ce petit groupe, la toile s’étend jusqu’aux confins de la Russie. La liste de « Siloviki » semble sans fin. Selon Olga Krychtanovkaïa, directrice du centre d’études des élites, (citée par l’hebdomadaire français L’Express), ces hommes de l’ombre occupent jusqu’à 77% des postes décisionnels dans les hautes sphères fédérales et régionales.

De bas en haut, Poutine contrôle tout, fidèle au précepte du KGB enseigné dans les années 70. Fidèle aussi à son modèle, Youri Andropov, patron du KGB puis président de l’URSS au début des années 80. Fidèle à sa politique enfin : restaurer l’unité et la grandeur passée de la Russie. Pour cela, la Russie est en train de se doter de groupes industriels monopolistiques : gazier, pétrolier, minier, d’armement… Des champions nationaux, forts des immenses richesses enfouies dans le sous-sol sibérien. Une intégration économique verticale conforme à la doctrine de la « verticale du pouvoir » chère au président, et qui découle d’une logique toute soviétique.

Mais que se passera-t-il lorsque la tête n’occupera plus la première place… lorsque Vladimir Poutine devra quitter le Kremlin? Les luttes internes, violentes et mortelles (accidents, empoisonnements, meurtres par balles), dont nous avons eu connaissance, ne sont que la partie émergée d’une intense compétition pour le pouvoir et les dollars. Pour l’instant, la fidélité au meilleur d’entre eux, Vladimir Poutine, semble empêcher les principaux antagonismes de s’exprimer. L’avenir de la Russie est entre leurs mains.

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