par Jean-Pierre Boris
Article publié le 05/12/2007 Dernière mise à jour le 05/12/2007 à 17:16 TU
Les seize services de collecte et d’analyse du renseignement, réunis dans une même structure ne voulaient pas une nouvelle fois se ridiculiser en fournissant à la Maison Blanche et au département d’Etat des photos de sites où étaient censés se préparer les futures armes nucléaires iraniennes. La prestation de Colin Powell, le secrétaire d’état américain de l’époque, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, le 5 février 2003, est encore dans toutes les mémoires. L’ancien militaire avait brandi devant les représentants de la communauté internationale des photos, des films, des plans des sites irakiens où étaient, théoriquement, installées les armes de destruction massive.
Le souvenir du fiasco irakien
Une fois sur place, après l’invasion du territoire irakien par la coalition internationale, les troupes américaines avaient eu beau effectuer des recherches et multiplier les fouilles, force avait été de reconnaître la dure réalité : l’Irak de Saddam Hussein ne détenait pas ces armes terrifiantes qui avaient servi d’argument à George Bush. Les photos, les films, les bandes sonores brandis par Colin Powell aux Nations unies en février 2003, n’étaient que des leurres. Et le patron de la CIA, George Tenet, assis ce jour-là juste derrière le secrétaire d’Etat, qui avait pourtant garanti dur comme fer l’authenticité des informations fournies par son agence, n’avait fait que suivre le discours politique dominant, discours puisant en particulier sa force dans le terrible choc subi par les Etats-Unis le 11 septembre 2001, lors des attaques aériennes d’al-Qaïda contre les tours du World Trade Center. De nombreuses études publiées depuis lors – rapport d’enquête parlementaire ; écrits du célèbre journaliste Bob Woodward, ont démontré que l’aile ultra conservatrice du Parti républicain, emmenée par le vice-président Dick Cheney et le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, avait vu dans le drame du 11-septembre l’occasion de s’en prendre à l’Irak et de terminer le travail, considéré comme inachevé, entrepris lors de la première guerre du Golfe, puisque les troupes américaines n’étaient pas entrées dans Bagdad.
Les errements de la CIA
La force de ce discours et les pressions politiques subies par les responsables des services secrets avaient amené ceux-ci à faire confiance à des sources indirectes, c'est-à-dire à des oui-dire. En clair, les services secrets américains, en particulier la CIA, avaient été manipulés. Les leçons amères de cette dure expérience les ont amenés à prendre de nombreuses décisions. D’abord, il y a le rassemblement de l’ensemble des seize services au sein d’une structure unique de coordination. Ensuite, est prise la décision d’intensifier la recherche d’informations confidentielles en Iran même. Les sources d’information sont multipliées. On confronte les révélations ainsi faites, on les croise, on les recoupe, on les analyse. On se demande ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas. On intègre un nombre croissant d’agents à ce processus de questionnement. Chaque détail est ainsi scruté par une multiplicité de spécialistes.
En 2005, toujours rien !
Pourtant, les résultats tardent. A l’été 2005, un nouveau rapport est rédigé sur le nucléaire iranien. Il confirme le président Bush dans sa politique : l’Iran prépare bien du nucléaire militaire. Pourtant, lors d’une réunion dans le bureau ovale avec ses conseillers, à la même période, le président Bush s’étonne, selon un témoin de cette réunion cité par le Washington Post, que la communauté américaine du renseignement semble avoir tant de difficultés à rassembler des informations sur la situation en Iran. C’est le point de départ d’une nouvelle intensification des efforts. La direction de la CIA met en place une nouvelle unité opérationnelle. Y sont regroupés les spécialistes de la collecte d’information sur le terrain et les analystes. On multiplie les sources d’informations. Non seulement, on cherche des informations confidentielles. Mais on ne se limite plus à cela. La CIA et les autres agences de renseignement américaines intègrent dans leurs dispositifs ce qu’on appelle les informations « ouvertes ». C'est-à-dire celles collectées dans la presse, dans les revues spécialisées, sur internet, que ce soit des photographies, des films ou des photos. Cette révolution dans le travail de renseignement se traduit par la mise à l’écart de sources ou d’informations qui avaient été utilisées pour le rapport de 2005 et l’intégration dans la réflexion d’éléments qui avaient été écartés à l’époque.
Eté 2007 : du nouveau
Ces efforts ne permettent pas de déboucher tout de suite. Il faut attendre l’été dernier pour voir surgir de nouvelles informations. Selon le Los Angeles Times, dans son édition du 5 décembre, deux nouveautés interviennent. Les services américains réussissent à intercepter des conversations téléphoniques entre de hauts responsables iraniens. Ils évoquent le programme nucléaire de leur pays et l’arrêt de son versant militaire. Aux alentours de la même date, l’Intelligence américaine met la main sur les notes personnelles d’un haut dirigeant iranien expliquant pourquoi cette décision a été prise en 2003. Ces notes figuraient dans le disque dur d’un ordinateur portable dérobé à son propriétaire. Peu à peu, aidés par ces nouvelles méthodes de travail comme par leurs découvertes, les agences américaines acquièrent donc la conviction que les Iraniens ont cessé leur programme de nucléaire militaire en 2003. Mais, toujours hantés par le précédent irakien, afin de valider cette conclusion, ils la soumettent au cours des trois derniers mois à des expertises et à des contre-expertises systématiques, réévaluant d’anciens documents à la lumière des dernières trouvailles.
Face aux hommes politiques : méfiance
Soucieux de la fiabilité de leur information, les directeurs des services de renseignement sont aussi très prudents face aux autorités politiques américaines dont ils ne veulent pas subir les pressions. Au mois d’août, le directeur national des services de renseignement annonce à George Bush que ses services ont de nouvelles informations. Mais aucune précision ne lui est fournie. Et il semble qu’il n’en demande pas. A trois reprises, la divulgation du rapport au niveau gouvernemental est reportée. Finalement, c’est seulement dans la deuxième quinzaine du mois de novembre que le vice-président, Dick Cheney, prend connaissance de l’essentiel du contenu de ce nouveau rapport. Sont aussi mis dans la confidence, le conseiller national à la sécurité Stephen Hadley et quelques autres hauts fonctionnaires.
Dès lors se pose la question de la divulgation de ce rapport qui contredit de manière flagrante la politique de George Bush pour lequel l’Iran fait partie de l’« axe du mal » et qui a même évoqué l’éventualité d’une troisième guerre mondiale pour s’opposer aux mollahs de Téhéran.
L’administration républicaine, en particulier le vice-président, est hostile à la publication de ces informations. Mais le secrétaire à la Défense, Robert Gates, y est favorable. Et le leader démocrate au Sénat, Harry Reid, jette tout son poids dans la bataille. Il fait valoir que la mise au secret de ce document n’évitera pas les fuites qui seraient politiquement très coûteuses pour le président Bush, dont le crédit est déjà très atteint. D’où la conférence de presse de dimanche 2 décembre et l’annonce faite au monde « l’Iran ne prépare pas d’arme nucléaire » mais pourrait le faire.
Mohammed al-Baradeï est soulagé, voilà enfin un rapport compatible avec sa propre évaluation.
06/12/2007 par Monique Mas
04/12/2007 à 18:11 TU
04/12/2007 à 03:47 TU