par Heike Schmidt
Article publié le 11/12/2007 Dernière mise à jour le 11/12/2007 à 20:57 TU
Le ton est plus cordial mais sur le fond, rien n’a vraiment changé. Pour sa première visite en Allemagne depuis son élection, le nouveau Premier ministre polonais Donald Tusk a mis à l’ordre du jour deux sujets qui fâchent : le projet d’un centre à la mémoire des expulsés à Berlin et le gazoduc sous la mer Baltique, reliant directement l’Allemagne à la Russie. Malgré les récentes divergences entre les deux pays voisins, Berlin se veut optimiste. Contrairement à son prédécesseur Jaroslaw Kaczinski, Donald Tusk mise sur le dialogue et non pas sur la confrontation.
Le soulagement est palpable à Berlin. Après une période de refroidissement, Allemands et Polonais ont confirmé leur volonté d’entamer un « nouveau départ ». A l’issue de leur rencontre ce mardi à Berlin, la chancelière allemande Angela Merkel et le nouveau Premier ministre polonais Donald Tusk ont loué « l’ambiance de confiance » lors de leurs entretiens. Les deux dirigeants ont souligné la nécessité pour les deux pays « d'aborder sans tabous tous les thèmes ».
Le temps des frères conservateurs et nationalistes Kascynski, qui avaient multipliés les conflits entre Berlin et Varsovie depuis deux ans, semble donc révolu. Avant même son départ pour l’Allemagne, le nouvel homme fort de la Pologne avait déclaré qu’il souhaitait un nouveau partenariat politique : « Notre message est clair », avait dit Donald Tusk, « ensemble, nous serons plus fort ». Le nouveau Premier ministre, libéral et pro-européen, souhaite certes normaliser les rapports bilatéraux mis à mal par les frères jumeaux, mais il ne compte pas pour autant céder du terrain sur le plan politique.
Le sujet le plus controversé entre l’Allemagne et la Pologne reste le projet d’un centre à la mémoire des Allemands expulsés après la Deuxième Guerre mondiale. Erika Steinbach, la présidente de la Fédération des Allemands expulsés (BdV) et députée de la CDU, pousse depuis de nombreuses années à la construction d’un tel centre en hommage à ceux et celles qui ont dû quitter leur terre natale après 1945. Officiellement, ce lieu de mémoire sera dédié à tous les Européens expulsés après le conflit.
Mais au cœur de la thématique se trouvent les « Vertriebene », ces 12 millions d’Allemands chassés après la guerre de leurs terres dont la plupart sont aujourd’hui polonaises. Ils devaient fuir pour céder la place à des millions de Polonais, eux aussi chassés de leurs propres territoires de l’Est, annexés par l’Union soviétique. Plus d’un million d’Allemands sont morts dans l’exode. Varsovie craint qu’à travers un centre de mémoire pour les expulsés, l’Allemagne souhaite imposer une nouvelle lecture de l’histoire.
« Il ne doit pas y avoir la moindre ambiguïté »
« Le problème n’est pas que qui que ce soit veuille interdire aux Allemands de mémoriser leur souffrance, a expliqué Donald Tusk dans une interview au Frankfurter Allgemeine Zeitung, seulement, lorsque nous parlons des Allemands et des Polonais pendant la Deuxième Guerre mondiale, nous voulons parler d’une manière claire pour indiquer qui étaient les coupables et qui étaient les victimes. Il ne doit pas y avoir la moindre ambigüité ». Dans un message diffusé ce mardi sur le site internet du quotidien populaire Bild, Donald Tusk n’a pas non plus mâché ses mots. Il demande au gouvernement allemand « d’abandonner définitivement » l’idée de ce projet. « Je viens à Berlin pour proposer au partenaire allemand de participer au projet commun européen d’un musée de la Deuxième Guerre mondiale », a-t-il déclaré en proposant de créer ce musée à Gdansk dans le nord de la Pologne. Selon Donald Tusk, « Gdansk est l’endroit approprié : s’y concentrent comme sous une loupe toutes les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale ».
Même si la chancelière Angela Merkel a jugé la proposition pour un tel musée en Pologne « intéressante », celui-ci ne mettra probablement pas fin à la dispute interminable sur le souvenir des expulsés. Comme l’a rappelé un porte-parole de la chancellerie, Thomas Steg, le centre berlinois fait partie du contrat de gouvernement signé en 2005 entre les conservateurs et les sociaux-démocrates. Un projet de loi, soutenu par Angela Merkel, est déjà en préparation. « Notre projet n'entend nullement relativiser les causes et conséquences de la Deuxième guerre mondiale », a affirmé Mme Merkel à l’issue de ses entretiens avec Donald Tusk.
Deuxième pomme de discorde : le gazoduc germano-russe
Le deuxième sujet de discorde entre les deux pays est la construction d’un gazoduc sous la mer Baltique. Sans passer par la Pologne, ce gazoduc « Nord Stream » relierait directement l’Allemagne à la Russie. Sur 1 198 kilomètres, il doit transporter du gaz de Vyborg en Russie à Greifswald en Allemagne. Varsovie et les pays baltes, extrêmement dépendants des livraisons d’énergie russe, accusent les Allemands de mettre en danger leur sécurité énergétique et de menacer l’environnement. A leurs yeux, le gazoduc germano-russe les rendrait encore plus vulnérables face à la Russie qui pourrait à tout moment décider de fermer le robinet sans craindre les sanctions du reste de l’Europe. La Pologne ne soutient pas la construction d’une « infrastructure qui confirme le monopole de la Russie », a confirmé Donald Tusk, en appelant au principe de solidarité au sein de l’Union européenne. Lors de leurs entretiens à Berlin, les deux dirigeants ont évoqué la possibilité de pourparlers trilatéraux avec la Russie.
Même si quelques sujets délicats restent à traiter, le réchauffement des relations entre la Pologne et l’Allemagne semble se confirmer. A commencer par les compliments. Donald Tusk a qualifié Angela Merkel de « meilleure dirigeante possible en Allemagne, du point de vue de la Pologne ».
Après sa visite à Berlin et avant de retrouver ses partenaires européens au Portugal pour la signature du Traité de Lisbonne, le chef du gouvernement polonais se rendra, ce mercredi, à Paris. « De bonnes relations avec l’Allemagne doivent s’accompagner d’intenses relations avec la France », avait déclaré Donald Tusk dans un discours de politique générale prononcé début décembre devant le Parlement polonais, « l’histoire montre que quand les relations sont bonnes avec Paris et Berlin, cela sert notre intérêt national ».
Audio
« J’ai trouvé avec Angela Merkel une langue commune », a déclaré le Premier ministre polonais à l’issue de son entretien avec la chancelière.
11/12/2007 par Pascal Thibaut