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Serbie

Vers un deuxième tour de première importance

par Piotr Moszynski

Article publié le 21/01/2008 Dernière mise à jour le 21/01/2008 à 23:33 TU

Une participation exceptionnellement élevée au premier tour, plus de 60%, n’a pas suffi pour départager les deux principaux candidats aux élections présidentielles en Serbie : un ultranationaliste russophile Tomislav Nikolic et un réformateur pro-européen Boris Tadic, président sortant. Ils s’affronteront donc le 3 février au deuxième tour qui décidera de l’avenir de la Serbie, mais influencera aussi l’avenir des Balkans en général.

Le président sortant, Boris Tadic, face à ses militants après l'annonce des premiers résultats le 20 janvier à Belgrade.(Photo : Reuters)

Le président sortant, Boris Tadic, face à ses militants après l'annonce des premiers résultats le 20 janvier à Belgrade.
(Photo : Reuters)

Quatre points. C’est l’avance de Tomislav Nikolic du Parti radical serbe (SRS), obtenue dimanche au premier tour des présidentielles sur le chef de l’Etat sortant, Boris Tadic. C’est peu et cela ne garantit rien. Les deux hommes le savent et les deux assurent que, dans deux semaines, la victoire leur appartiendra. Il suffit en effet de peu de chose pour faire basculer le choix des électeurs serbes d’un côté ou d’un autre.

En premier lieu, le report des voix qui sont allées au premier tour aux sept rivaux malheureux des vainqueurs. Le pronostic n’est pas simple à faire. Si l’on prend en compte la proximité de liens politiques, ce report pourrait se faire selon la règle « 50-50 » - et donc ne pas modifier le rapport de forces actuel. Le facteur décisif, ce seront probablement les indications données par le Premier ministre Vojislav Kostunica. La presse serbe est pratiquement unanime à annoncer – souvent à la une – que c’est bien lui qui jouera le faiseur de roi le 3 février.

Au premier tour, Kostunica a soutenu Velimir Ilic de la petite formation populiste Nouvelle Serbie, même si le Parti démocratique (DS) de Boris Tadic fait partie de la coalition au pouvoir. Ilic est arrivé en troisième position au premier tour avec 7,45 % des voix et la consigne de vote de Vojislav Kostunica au deuxième tour pourrait être déterminante pour son issue. Sa fibre nationaliste de plus en plus affirmée ne facilite pas les prévisions.

Humiliation contre humiliation

En effet, la question nationale vue sous tous ses aspects – de l’avenir du Kosovo jusqu’au rapprochement avec l’Union européenne, en passant par le panslavisme prorusse – risque d’être un axe majeur de la campagne avant le deuxième tour.

Le choix des électeurs quant à la thématique dominante de cette campagne pourrait être décisif pour le résultat des élections. Si c’est l’économie ou l’Europe, Boris Tadic pourrait voir ses chances de victoire augmenter. Si c’est – comme au premier tour – le Kosovo et ses projets de sécession, il pourrait avoir plus de mal à l’emporter. C’est pour cela que les Occidentaux – qui préfèrent le président sortant à son challenger ultranationaliste – vont certainement tout faire pour que les Kosovars prennent leur mal en patience et s’abstiennent de proclamer unilatéralement leur indépendance avant le 3 février. Dans le cas contraire, la colère et l’élan nationaliste des Serbes, amplifiés par le sentiment d’humiliation, pourraient porter facilement Tomislav Nikolic au pouvoir. Et cela, ce serait une vraie humiliation pour l’Occident : le parti de Nikolic reconnaît toujours comme son chef Vojislav Seselj, détenu à La Haye sous l’inculpation de crimes de guerre.

Les deux candidats restés en lice ne divergent pas sensiblement sur l’attitude envers le Kosovo et la Russie ; un peu plus quand même sur celle envers l’UE. Tout se joue dans les détails, dans les nuances, dans les accents mis ici ou là… Ainsi, l’un et l’autre excluent l’indépendance du Kosovo, mais en cas de reconnaissance de celle-ci par l’Union européenne, Nikolic prévoit de tourner définitivement le dos à l’Europe, de lui préférer une alliance étroite avec la Russie et d’instaurer des sanctions contre le Kosovo pouvant aller jusqu’au blocus de la province.

Tadic, quant à lui, tient également à entretenir de bonnes relations avec la Russie, mais semble encore plus soucieux de faire entrer la Serbie dans l’UE. Ainsi, la reconnaissance très probable par celle-ci de l’indépendance du Kosovo ne constituerait pas pour lui de casus belli. Ce qui est très apprécié à Bruxelles mais qui rend sa position un peu plus difficile à expliquer à un Serbe ordinaire que celle, extrêmement simple, de son rival.

Antichambre ou avant-poste ?

Après l'annonce des résultats, Tomislav Nikolic fête sa victoire.( Photo : Reuters )

Après l'annonce des résultats, Tomislav Nikolic fête sa victoire.
( Photo : Reuters )

Il est donc vrai que les personnages de Boris Tadic et Tomislav Nikolic serviront aux électeurs serbes d’expression symbolique d’un choix lourd de conséquences. Il serait sans doute à la mode de l’appeler un choix de civilisation. Il est en effet question, pour la Serbie, de rejoindre la maison européenne en s’installant d’abord dans l’antichambre, ou de devenir l’avant-poste de la Russie en Europe du Sud, comme la Biélorussie l’est déjà en Europe de l’Est.

La procédure et les effets prévisibles de la première solution s’inscrivent dans un schéma déjà bien rôdé et bien connu. Evidemment, les Serbes peuvent être critiques par rapport à cette procédure et ne pas se considérer intéressés par les effets attendus. C’est leur droit élémentaire. Comme celui de préférer une marche vers la Russie que l’on espère plus familière, plus accueillante et moins humiliante. Cette deuxième solution peut sembler tentante, mais elle contient des risques considérables.

L’expérience des Biélorusses en tant que poste avancé n’a pas toujours été très encourageante. Les Russes n’ont pas hésité à repousser les avances de Minsk, par exemple en se montrant très durs sur la question énergétique et en abordant avec le plus grand scepticisme le projet de créer un Etat fédératif commun. Bref, en faisant comprendre aux Biélorusses que si la fratrie slave est une très bonne chose, les relations familiales sont désormais basées sur les intérêts de chacun.

Les Serbes pourraient se retrouver un jour dans une situation similaire, dans la mesure où le soutien à la Serbie dans l’affaire du Kosovo est actuellement bien utile à Moscou dans son jeu géopolitique, mais personne ne peut prévoir qu’en sera-t-il dans quelques années – voire quelques mois – avec le dossier kosovar inévitablement réglé, les relations avec l’UE apaisées et les démocrates sans doute installés à la Maison Blanche ? Et puis, comment vivre comme une île qui boude l’Union européenne, alors que tous les pays voisins dans les Balkans sont déjà membres de l’UE ou aspirent à le devenir ?

En tout état de cause, quel que soit le choix des électeurs serbes, il va engager leur pays résolument sur un chemin qu’il ne sera pas facile de rebrousser.

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Chercheur à l'Académie internationale de géopolitique

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