par Monique Mas
Article publié le 24/01/2008 Dernière mise à jour le 31/01/2008 à 22:46 TU
Après deux journées de ruée palestinienne en Egypte via le point de passage de Rafah, ouvert à coup d’explosifs par des hommes masqués dans la nuit de mardi à mercredi, le vice-ministre de la Défense israélien, Matan Vilnaï, agite la perspective pour Israël de « se séparer » de la bande de Gaza. Ballon d’essai ou surenchère ? Le Hamas vient en tout cas de surgir de l’ombre imposée par le boycott international. Mercredi, il appelait à une « réunion d'urgence » au Caire pour négocier avec son adversaire du Fatah, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et avec les autorités égyptiennes. Après avoir dû renoncer à repousser la marée palestinienne, celles-ci craignent d’être « forcées de s'immiscer » dans le « différend » palestinien, au risque d’une brouille avec l’Etat hébreu.
D’après l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), en deux jours, mercredi et jeudi, au moins 700 000 Palestiniens ont franchi le point de passage de Rafah pour aller en Egypte faire provision de nourriture, de carburant, de cigarettes ou de tout autre article introuvable dans la bande de Gaza, sous blocus israélien depuis le 17 janvier en représailles aux tirs de roquettes palestiniennes. Diligemment orchestrée par le Hamas, cette sortie en force a aussi été pour certains Palestiniens l’occasion de retrouvailles après des années d’enfermement dans leur territoire verrouillé par Israël. Mais au-delà de la cité côtière égyptienne d’Al-Arich, à une cinquantaine de kilomètres de Rafah, les contrôles policiers barrent la route.
« Au-delà d'Al-Arish, pas de trace de Palestiniens. »
Nul doute que le Hamas a mûrement pesé les profits politiques et diplomatiques qu’il pouvait escompter de la déferlante palestinienne sur Rafah. Depuis le coup de force qui lui avait permis de chasser le Fatah de Gaza le 15 juin 2007, le mouvement islamique subissait en effet un boycott international renforcé, Washington et Israël appelant à miser sur le président Abbas pour le contourner. A la fin de l’année dernière, le Hamas avait été écarté de la conférence d’Annapolis destinée à relancer les négociations israélo-palestiniennes. La situation intenable faite depuis janvier par Israël à la population de Gaza menaçait en outre de finir par le desservir auprès de son électorat exsangue.
Chercheur au CNRS, spécialiste de la question palestinienne
« Cet événement est une victoire diplomatique pour le Hamas, peut-être ponctuelle, mais qui aura le mérite de réimposer le mouvement au coeur de la scène politique et diplomatique. »
Le Hamas : trouver des « arrangements » avec le Fatah et l'Egypte
Il était urgent pour le Hamas de rompre le cercle. Il a choisi, cette fois, de tabler sur la compassion humanitaire internationale troublée jusque là par les lancers de roquettes artisanales sur le sud d’Israël. Dans les jours qui ont précédé l’événement, le Hamas avait préparé le terrain, demandant à la Ligue arabe d’obtenir de l’Egypte l’ouverture de Rafah et appelant les Palestiniens à manifester jusqu’à la « chute » des murs et des barbelés. De leur côté, les alliés égyptiens du Hamas, les Frères musulmans n’ont pas été en reste, descendant dans les rues du Caire pour exiger la fin du blocus israélien.
Les autorités égyptiennes ont interpellé plusieurs centaines d’opposants islamistes en province et dans la capitale. Mais lances d’incendie et tirs de dissuasion n’ont pas pu contenir longtemps la marée palestinienne face aux caméras d’al-Jazira et à la réprobation des opinions arabes, égyptienne comprise. « Je leur ai dit de les laisser entrer, tant qu'ils ne portent pas d'armes, pour qu'ils puissent manger, acheter des produits alimentaires et puis retourner chez eux », déclarait mercredi un Hosni Moubarak coincé entre ses engagements avec l’Etat hébreu, son hostilité pour le Hamas et ses propres soucis de politique intérieure. Un bain de sang palestinien sur son territoire ou sous le feu de ses quelque 750 gardes frontières relancerait les accusations de « complicité avec Israël » contre l’Egypte.
« Nous sommes prêts à nous asseoir avec les frères égyptiens et les frères de Ramallah [Mahmoud Abbas], lors d'une réunion d'urgence au Caire, pour établir des arrangements sur l'ouverture du point de passage de Rafah et de tous les autres points de passage » de la bande de Gaza, a lancé hier Ismaël Haniyeh. Hosni Moubarak répugne à s’engager dans cette voie. Mais il risque de devoir composer. D’autant qu’ Israël apporte du grain à moudre au Hamas en rejetant désormais la responsabilité « humanitaire » de Gaza sur l’Egypte.
Porte-parole du Hamas à Gaza
« (...) Nous sommes sous occupation, Israël doit donc nous fournir ce dont nous avons besoin. »
Israël : « Nous voulons nous séparer » de Gaza
« Il faut comprendre que lorsque Gaza est ouvert de l'autre côté, nous en perdons la responsabilité. Nous voulons par conséquent nous en séparer », affirmait jeudi le vice-ministre israélien de la Défense, Matan Vilnaï, à la radio militaire. A l’entendre, Israël envisage de cesser ses fournitures d’électricité, d’eau et de médicaments « afin qu'elles proviennent d'un autre endroit ». L’Etat hébreu souhaite aussi que les organismes humanitaires affectés aux Palestiniens se déplacent en Egypte. En revanche, il entend garder la main sécuritaire à ses frontières avec Gaza où, comme l’a répété le Premier ministre Ehud Olmert, il se réserve un droit de suite militaire.
Du côté de Mahmoud Abbas, certains dénoncent la mise en œuvre d’un « vieux plan » israélien de dislocation de l’entité palestinienne. Gaza serait placé sous assistance égyptienne et la Cisjordanie dans l’orbite jordanienne. De fait, la cassure politique entre les morceaux de territoires palestiniens est consommée depuis juin dernier. Et pour le reste, Israël refuse à l’Autorité palestinienne le contrôle des principaux postes frontaliers de Gaza. Selon son ministère des Affaires étrangères, l’Etat hébreu n'est pas « tellement inquiet de ce qui sort de Gaza, mais plutôt de ce qui y rentre ». « Le Hamas et les autres groupes terroristes vont profiter de l'occasion pour infiltrer terroristes et armes, la situation qui était grave va devenir pire », assure-t-il.
Des souterrains creusés sous les murs et les barbelés servent depuis des années de cordon ombilical aux trafiquants de tous poils qui opèrent autour de Rafah. En surface, depuis le retrait israélien de Gaza en août 2005, bien qu’inopérante depuis la victoire du Hamas, c'est une mission européenne qui est officiellement chargée de surveiller la circulation des biens et des personnes. Et cela en vertu d’un accord entre gouvernement israélien et Autorité palestinienne signé le 15 novembre 2005. Depuis, l’armée israélienne n’était plus physiquement présente. Par caméras interposés, elle gardait toutefois un droit de regard sur les passages qu’elle pouvait refuser.
Avec la prise de contrôle du Hamas à Gaza en juin dernier, l’Europe a suspendu sa mission à Rafah, Israël a renforcé son bouclage des territoires et l’Egypte a fermé ses barrières. Rafah ne s'est rouvert qu'une seule fois, en décembre dernier pour laisser passer quelque 2 000 pèlerins de retour de la Mecque. L'Egypte avait fait valoir auprès d'Israël une mesure humanitaire exceptionnelle. Cette fois, la tournure des événements menace de changer profondément la configuration géopolitique des lieux. Dans l’immédiat, le Hamas s’impose sur l’échiquier palestinien comme sur la scène diplomatique régionale, au grand dam de Mahmoud Abbas et pour le plus grand embarras de l’Egypte. Quant à Israël, il s’agit de rebondir après cette manche perdue contre un adversaire décidément difficile à neutraliser.
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