par Frédérique Genot
Article publié le 25/01/2008 Dernière mise à jour le 26/01/2008 à 00:28 TU
Difficile de croire en la responsabilité d'un seul homme dans l'affaire de la « fraude » massive au dépens de la Société Générale révélée, hier, par cette banque. L’invité de RFI, Grégory Moore, gérant de la société de gestion de portefeuilles Montségur Finance, donne des éclaircissements.
RFI : Un peu plus de vingt quatre heures après les premières explications de la Société Générale sur ses pertes phénoménales, près de 7 milliards d'euros, on ne peut pas dire qu’on y voit totalement clair, d’autant plus que des tas de questions se posent. Grégory Moore, vous êtes gérant de la société de gestion de portefeuilles Montségur Finance. Etes-vous de ceux qui pensent que le courtier fraudeur, dont on parle depuis hier, serait un bouc émissaire ?
Grégory Moore : Au-delà du fait qu'il puisse être un bouc émissaire, cette fraude soulève beaucoup de questions. Il semble irréaliste qu’une seule personne ait pu construire des portefeuilles de l’ordre de cinquante milliards d’euros, puisque si on parle d’une perte de cinq milliards d’euros, il faut derrière avoir accumulé des positions de quarante à cinquante milliards d’euros. Pour vous donner un ordre d’idée, c’est plus que le budget de la France, et c’est une fois et demie les fonds propres de la Société Générale. Donc, c’est vrai qu’à un moment donné, on aurait dû détecter une anomalie, surtout avec la batterie de contrôleurs internes qu’il y a à la Société Générale. On a du mal à imaginer qu’une seule personne ait pu faire cela.
RFI : Justement, on pense à la faillite de la Barings, même si on ne connaît pas forcément bien l’histoire. On sait qu’il y a eu cette banque coulée par un courtier, et qu’en principe, on nous avait dit que des systèmes avaient été mis en place ensuite pour éviter que l'histoire se répète. Cela n'a-t-il pas été le cas ?
GM : Je ne sais pas. Je pense qu’il va y avoir une enquête là-dessus. Il faut savoir que, quand même, on travaille sur des métiers qui sont très réglementés, très contrôlés, à la fois au niveau interne, mais aussi au niveau externe, puisque l’autorité des marchés financiers contrôlent les mouvements. Lorsque nous passons des ordres sur les marchés, il y a des « bandes enregistrantes ». Celles-ci enregistrent tous les ordres que l’on passe sur les marchés. Il y a aussi ce que l’on appelle « les appels de marge », c’est-à-dire qu’il faudrait mettre en face des ordres passés de la trésorerie, en l’occurrence la Société Générale devait sortir de la trésorerie pour pouvoir acheter ses positions sur le marché. Donc, il est vrai que « ce trader fou » est passé à travers les mailles de beaucoup de niveaux de sécurité.
RFI : Est-il vrai que dans une banque comme la Société Générale, il y a des centaines de contrôleurs dans le travail, et précisément, pour repérer les anomalies ?
GM : Obligatoirement. La Société Générale est en plus connue au niveau mondial pour justement ses opérations de marché, et son équipe de contrôleurs internes fait partie des meilleures, des plus réputées. Il est sûr que dans toutes les banques, et même à un plus petit niveau, le contrôle est très important.
RFI : Quand on entend des économistes commenter cette histoire, on comprend mal comment la Société Générale a pu présenter, hier, une version qui suscite aussi vite le doute.
GM : C’est l’ampleur de la perte qui impressionne, puisqu’on parle quand même de cinq milliards d’euros. Il y a une coïncidence inouïe, car cette affaire intervient lors de la publication des résultats annuels de la Société Générale. Il faut savoir que les groupes bancaires, et pas uniquement la Société Générale, sont mis à mal depuis l’été dernier à cause du phénomène de subprimes, ces crédits hypothécaires résidentiels américains où finalement ils ont communiqué une perte de deux milliards d’euros là-dessus.
RFI : Pourrait-on imaginer que ces pertes colossales soient une façon de cacher beaucoup plus de casse que l'on prétend dans la crise des subprimes, la crise des crédits immobiliers à risque ?
GM : Pour l’instant, je n’en sais rien du tout. Je pense qu’il y aura une enquête. Une plainte a été déposée par la Société Générale. J’espère que, justement, une des sorties de cette crise sera la transparence qu’on va avoir sur l’enquête qui aura été faite en interne par la Société Générale.
RFI : Il y a effectivement une plainte déposée par la Société Générale, et également des plaintes déposées par les actionnaires.Même si c’est dans longtemps, pensez-vous que l’on saura vraiment ce qui s’est passé ?
GM : On l’espère, car le secteur bancaire dans son ensemble est mis à mal par cette crainte et cette suspicion qui pourraient y avoir sur ce qui s’est passé. Je pense que le secteur bancaire dans son ensemble a besoin de transparence, a besoin d’avoir des produits qui sont beaucoup plus lisibles par sa clientèle.
RFI : C’est à cause de ces produits là qu’il y a tous ces problèmes.
GM : Les banquiers développent des produits de plus en plus complexes. On a du mal à voir quels sont les sous-jacents. Aujourd’hui, un contrôle de risques est de plus en plus difficile avec l’élaboration de produits de plus en plus complexes.
RFI : Pourquoi la version officielle, donnée hier par la Société Générale, est ainsi soutenue par le président de la Banque de France ?
GM : Je ne sais pas. La Banque de France a certainement été mise au courant ce week-end et il va y avoir une enquête. Le soutien de la Banque de France doit être clair. Ce trader a dû faire des fautes graves, notamment prendre des risques non vraiment mesurés sur les marchés. Je pense qu’avec l’enquête, on l’espère, on y verra beaucoup plus clair.
RFI : Il y a des fautes imputables au courtier. La banque savait la chose depuis la fin de la semaine dernière mais elle ne l’a pas ébruitée. Est-ce normal ?
GM : Justement, le fait de ne pas avoir ébruité cette nouvelle là sachant que le trader avait pris des positions très importantes sur les marchés, car on peut le rappeler, s’ils ont une perte de cinq milliards d’euros, les positions derrière étaient très importantes. Ils ont été obligés de vendre sur les marchés pour déboucler ces positions là et entraîner en fait la baisse des marchés. S’il y avait eu des fuites auparavant, on imagine l’impact encore plus négatif qu’il aurait pu y avoir.
RFI : Vous dites, en somme, que la tourmente boursière dont on parlait lundi dernier est sans doute en partie due à cela ?
GM : En partie, on l'imagine, car en fait ce trader aurait pris des positions sur les marchés européens, et notamment les grands indices comme le CAC 40. Et on estime finalement que le débouclage de ces positions a eu un impact très négatif, en tout cas sur les marchés financiers, et notamment lundi.
« Si le courtier, Jérôme Kerviel, est reconnu coupable de faux, usage de faux, d’escroquerie et d’abus de confiance, il encourt de trois à cinq ans de prison, peine assortie d’une forte amende de 45 000 à 375 000 euros. »
25/01/2008 par Muriel Delcroix
«C'est vrai qu'il est difficile (...) de comprendre, comment une personne seule peut, en un temps aussi court, occasionner des pertes aussi considérables.»
25/01/2008 par Quentin Dickinson