par Manon Rivière
Article publié le 27/01/2008 Dernière mise à jour le 28/01/2008 à 00:49 TU
De notre envoyée spéciale à Atar,
« La semaine du 23 décembre, juste avant les événements d’Aleg, nous avions donné du travail à 50 chauffeurs et 23 guides pour encadrer les groupes. Là, le vol du 27 janvier est tellement vide que nous n’avons réquisitionné que 4 voitures ! C’est une chute vertigineuse et catastrophique pour l’économie en Adrar ! » Kadi ould Mehdi travaille dans le tourisme depuis treize ans, depuis l’émergence de cette activité dans le Nord mauritanien. Il est aujourd’hui le patron de Mauritanides Voyages, une agence chargée de faire la liaison entre les tours opérateurs et les prestataires locaux, tels que les cuisiniers, les chameliers, ou encore les chauffeurs. En janvier, faute de clients, sa société a décidé de réduire de 50% les salaires de ses employés. « Nous pouvons déjà dire que c’est une année noire. Et si cela se poursuit en février et mars, nous serons obligés de mettre la clef sous la porte ! »
Chute vertigineuse
Fatimetou (G) vend des objets artisanaux au marché couvert d'Atar. Elle espère que les touristes vont bientôt revenir en Mauritanie.
(Photo : Manon Rivière / RFI)
Le ministère du Tourisme évalue à plus de 3 millions d’euros les pertes dues directement à l’annulation du Rallye Dakar en Mauritanie. Sans compter le manque à gagner promotionnel : le passage de la caravane offrant d’ordinaire une publicité gratuite au pays. Le ministère tablait cette année sur 15 000 touristes, mais selon toute vraisemblance le nombre de visiteurs ne devrait pas dépasser les 6 000. D’autant que la saison touristique s’achève bientôt, en avril, en raison de l’arrivée des fortes chaleurs. « Ce qui arrive en ce moment, c’est mortel pour une ville comme Atar ! s’exclame Christian Neuville, un retraité français qui tient depuis quatre mois un petit restaurant dans le cœur de la ville. Pour moi aussi c’est difficile : j’ai investit 6 000 euros pour retaper le restaurant. Je suis locataire, je paye des charges, j’ai deux employés…Ce n’est pas en vendant 15 sandwichs et 6 poulets frites par jour que je vais m’en sortir ! »
Patron d’une agence de voyage locale, Sidi ould Meimoun se montre fataliste : « Tous nos voyages ont été annulés et j’ai été obligé de licencier une trentaine de personnes. C’est très dur, mais on supporte. Nous n’avons pas le choix ! »
Les rues d’Atar, habituellement parcourues par des groupes de touristes en transit, ont depuis un mois des allures de ville fantôme. Vêtu d’un boubou bleu traditionnel, Chérif nous invite à pénétrer dans sa boutique d’artisanat. Chez lui, on trouve de beaux objets de cuir, des bijoux en argent, des bracelets. Cela fait dix ans qu’il travaille à Atar durant la saison touristique. « Nous, les artisans, sommes touchés de plein fouet par la crise. Normalement, à cette époque de l’année, les charters nous amènent beaucoup de touristes ! Là, regardez autour de vous : il n’y a personne dans la boutique. » Idem au marché, où les femmes s’inquiètent de la baisse de la fréquentation. « J’espère que les étrangers vont bientôt revenir », lâche Fatimetou.
Tous les secteurs sont touchés
Khadija tient avec son mari l'auberge Medina, à Azougui. A cette époque de l'année, elle accueille généralement une trentaine de touristes par nuit. Cette semaine, en raison des annulations, elle n'a que cinq clients.
(Photo : Manon Rivière / RFI)
A quelques kilomètres d’Atar, se trouve la palmeraie d’Azougui. Un havre de paix, encastré dans une vallée. Khadija et son mari y ont ouvert l’auberge Medina il y a quatre ans. Une salle à manger en pierre de taille est en train de sortir de terre, au centre du campement.
D’ordinaire, l’auberge peut accueillir une trentaine de touristes dans les Tikit, ces huttes de paille traditionnelles. Mais lorsque nous arrivons chez elle, le constat est éloquent : « Nous n’avons que cinq clients cette semaine, se désole-t-elle. Pour le moment, je n’ai licencié personne, mais si cela continue, je serais bien obligée ».
« Vous savez, le secteur touristique c’est comme un engrenage mécanique, explique encore Kadi ould Mehdi, de Mauritanides Voyages. Il suffit d’un grain de sable, et toute la machine s’arrête ! Le fait que certains tours opérateurs aient complètement suspendu leurs activités en Mauritanie, cela touche tout le monde : les commerçants, les cuisiniers, les guides, les chameliers, tout le monde ! »
Priorité à la sécurité
Du côté des autorités, on tente de positiver. « Le tourisme est un secteur très fragile, soumis aux aléas climatiques, politiques et sécuritaires, explique Cissé mint Cheikh ould Beide, la directrice du Tourisme. Je pense que la secousse que nous vivons est passagère et qu’elle va même nous permettre de réfléchir plus intensément aux moyens d’améliorer le fonctionnement de notre activité touristique. »
Au-delà de la véracité du risque, les voyageurs potentiels ont surtout besoin d’être rassurés. Gouverneur de la région de l’Adrar, Sall Seydou affirme que le dispositif de sécurité a été durablement renforcé et que des unités supplémentaires de militaires et de gendarmes ont été déployées. « Le plus important, précise-t-il, c’est que l’environnement social soit fondamentalement opposé à ces pratiques. Les gens rejettent en masse le terrorisme ! » Un argument entendu maintes fois à Atar, du petit commerçant au haut fonctionnaire. « Les Mauritaniens n’ont pas besoin d’apprendre à être accueillants, ils le sont par nature », déclarait encore le ministre du Tourisme Ba Madine, de passage à Atar.