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Ukraine/Russie

L’accord est dans les tuyaux

par Piotr Moszynski

Article publié le 12/02/2008 Dernière mise à jour le 12/02/2008 à 18:46 TU

En janvier 2006, un employé de la société Gazprom ferme les vannes du gazoduc qui approvisionne l'Ukraine.(Photo : AFP)

En janvier 2006, un employé de la société Gazprom ferme les vannes du gazoduc qui approvisionne l'Ukraine.
(Photo : AFP)

L'Ukraine et la Russie sont convenues mardi d'un accord de principe sur leur contentieux gazier qui menaçait de conduire à une réduction des livraisons de gaz russe à Kiev. La nouvelle a été annoncée par les présidents des deux pays eux-mêmes. L’Ukraine est prête à commencer à payer sa dette dès le 14 février. Le tarif appliqué sera celui de 2007, alors que le fournisseur russe demandait celui de 2008.

Ce n’est pas la première fois que la Russie et l’Ukraine s’affrontent à propos de livraisons de gaz – et probablement pas la dernière. Cette marchandise hautement stratégique était déjà au cœur d’un conflit très sérieux qui a fini par toucher l’Europe toute entière. En janvier 2006, elle a subi une brève interruption des livraisons du gaz russe transitant par l’Ukraine. Depuis, les Occidentaux craignent une nouvelle crise semblable, mais en plus grave. Ils suivent donc toute brouille entre le géant russe Gazprom et les Ukrainiens avec une attention particulière.

Ils ont de quoi s’inquiéter : environ 80% du gaz russe consommé par les pays membres de l’Union européenne passent par le réseau de gazoducs ukrainiens. Gazprom ne manque aucune occasion de rassurer ses clients occidentaux, en leur promettant qu’ils ne seraient pas affectés cette fois, même en cas d’une réduction effective des livraisons à l’Ukraine. Celle-ci n’achète que 25% de son gaz aux Russes, le reste étant assuré par les fournisseurs d’Asie centrale.

Litige sur les prix

C’est d’ailleurs un litige autour d’une supposée diminution temporaire des livraisons asiatiques qui était à la base du dernier conflit. Selon Gazprom, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan et le Turkménistan, subissant un hiver particulièrement rude, auraient réduit leurs ventes d’un tiers en janvier. L’intermédiaire qui exécute directement les livraisons du gaz russe et asiatique – RosUkrEnergo (RUE), dont le directeur Constantin Tchouïtchenko est en même temps membre de la direction de Gazprom – affirme avoir remédié au problème en approvisionnant l’Ukraine avec le gaz russe. Gazprom aurait volontiers accepté de dépanner l’Ukraine, mais pas au même prix que ses fournisseurs habituels. Alors que ces derniers ne demandent que 179 dollars pour 1 000 m3 de gaz (prix 2007), Gazprom exige 314,7 dollars (prix 2008) pour le même volume.

Le Premier ministre ukrainien, Ioulia Timochenko, affirme de son côté que la version de Constantin Tchouïtchenko ne correspond pas à la réalité. Selon ses informations, à aucun moment en janvier l’Ukraine ne recevait de gaz russe, s’approvisionnant exclusivement de sources asiatiques. En conséquence, le gouvernement a refusé de régler la partie de sa dette envers Gazprom qui correspond aux prétendues livraisons de janvier. Il s’agissait de quelque 500 millions dollars sur 1,5 milliard réclamé par les Russes. L’Ukraine s’est dite prête à payer 1,072 milliard, mais Gazprom l’a menacée de réduire l’approvisionnement en gaz d’un quart si la somme exigée n’était pas réglée en totalité avant le 12 février à 15h00 TU. L’ultimatum expirait le jour de la visite du président ukrainien Viktor Iouchtchenko à Moscou. Finalement, ce sont justement Viktor Iouchtchenko et Vladimir Poutine qui ont annoncé, à l’issue de leurs entretiens, qu’un « accord de principe sur leur contentieux gazier » était trouvé.

Jeu géostratégique

Le spectre d’une nouvelle coupure de gaz à l’Ukraine s’est donc éloigné. Pourtant, les problèmes persistent et peuvent à tout moment provoquer une nouvelle crise. Ioulia Timochenko exige la suppression de tout intermédiaire entre Gazprom et son partenaire ukrainien Naftogaz pour rendre la situation moins opaque.

RosUkrEnergo est une société de droit suisse, détenue à 50% par Gazprom. L’autre moitié appartient – du moins formellement – aux deux hommes d’affaires ukrainiens. Selon Le Figaro, « l’un des actionnaires ukrainiens de RosUkrEnergo est réputé lié, indirectement, au président Iouchtchenko. De son côté, Ioulia Timochenko, qui a fait fortune dans les années 1990 dans le gaz, fut liée à Itera, une entreprise écartée de juteux contrats au début des années 2000 ».

Mais, indépendamment de griefs éventuels qu’Ioulia Timochenko ait pu garder du passé à l’encontre du secteur gazier, elle peut légitimement se poser la question de savoir à quoi servent en réalité les intermédiaires alors que la transaction en jeu est excessivement simple sur le plan technique et financier : il s’agit de pomper le gaz dans un tuyau qui passe directement du territoire russe au territoire ukrainien. Néanmoins, en parallèle au conflit avec Gazprom à ce sujet, l’affaire a provoqué aussi un différend ukraino-ukrainien entre le Premier ministre et le président du pays. Viktor Iouchtchenko n’a pas hésité à qualifier l’attitude d’Ioulia Timochenko en la matière de « populisme politique ».

En général, l’aspect purement économique de cette affaire semble passer plutôt au second plan par rapport à l’aspect politique. En effet, elle a en toile de fond la volonté de l’Ukraine de Iouchtchenko et Timochenko de se rapprocher de l’Occident, et en particulier de l’Otan – attitude insupportable pour la Russie qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour arrêter le glissement de son « étranger proche » vers l’Occident et pour garder son emprise et son contrôle sur cet espace. On peut donc s’attendre à ce que ce jeu géostratégique s’exprime encore plus d’une fois dans des conflits à une échelle plus limitée et dans des domaines très divers.