par Léa Lankoandé
Article publié le 13/02/2008 Dernière mise à jour le 13/02/2008 à 20:58 TU
Lowitja O'Donoghue de 'Génération volée' et Kevin Rudd, le Premier ministre australien, à Canberra, le 13 février 2008.
(Photo : Reuters)
En avril 1997, un rapport de la Commission nationale d'enquête, fondé sur plus de 700 témoignages, détaillait comment des dizaines de milliers d'enfants autochtones avaient été arrachés à leurs parents sur ordre du gouvernement. Ce rapport révélait les traitements et les sévices moraux et physiques subis par les Aborigènes, et accusait les autorités d'avoir pratiqué une politique de « génocide ». Les Aborigènes, présents depuis 40 000 ans en Australie, ne représentent aujourd'hui qu'environ 470 000 personnes sur 20 millions d'Australiens, soit à peine 2% de la population totale.
Des « générations volées »
Les « générations volées » désignent ces d'enfants, retirés de force à leurs familles entre 1910 et 1970, et placés dans des institutions ou des foyers pour être élevés comme des Blancs. Cette politique d'assimilation aurait touché entre un dixième et un tiers des enfants aborigènes.
Premier ministre australien
« Nous présentons nos excuses, particulièrement, à ces enfants aborigènes qui ont été enlevés de leurs familles, de leur communauté et de leur pays… »
En mai 1997, l'ex-Premier ministre John Howard avait rejeté les conclusions du rapport gouvernemental. Il avait exprimé des regrets, mais avait mis un point d'honneur à ne pas formuler d'excuses officielles.
Après sa victoire aux élections législatives de novembre, Kevin Rudd avait promis des excuses officielles du gouvernement. La communauté aborigène a donc été conviée pour la première fois à la séance inaugurale du nouveau Parlement. Une centaine de membres des « générations volées » étaient présents et des milliers d'autres personnes s'étaient rassemblées sur les pelouses aux abords du Parlement pour assister au débat parlementaire sur des écrans géants. Le discours a été retransmis en direct dans toute l'Australie. « Aujourd'hui, le Parlement s'est réuni pour corriger une grande faute, a déclaré Kevin Rudd. Nous nous excusons pour les lois et les décisions des Parlements et gouvernements successifs qui ont causé de grandes peines, des souffrances et des pertes à nos compatriotes australiens ».
L'ouverture d'une ère de réconciliation
Après son discours, la foule à l'extérieur a réservé à Kevin Rudd une ovation. « Pour la première fois depuis longtemps, la communauté indigène se sent véritablement appartenir à l'Australie, elle sent qu'elle est acceptée par l'ensemble de la nation australienne », a déclaré le doyen de la « génération volée », Mark Bin Bakar.
« C'est une reconnaissance de ce qui nous est arrivé, cela met fin à des années de déni », explique Andi Kirwin, une étudiante aborigène. Malgré tout, pour Darryl Towney, ce pardon officiel arrive « 200 ans trop tard ».
Les Australiens attendent que ce discours ouvre une ère de réconciliation entre la population aborigène et le reste des Australiens. « Pour moi, en tant qu'Australienne blanche, ce jour signifie que l'on peut désormais avancer et bâtir des ponts entre les communautés blanche et aborigène », souligne Annie Kentwell, une fonctionnaire de Canberra venue apporter son soutien aux Aborigènes.
« Aucune somme d'argent ne compensera la peine »
Mais l'activiste aborigène Sam Watson, affirme que le discours de Kevin Rudd devrait être complété par des actions, y compris par une compensation financière. Selon lui, l'Etat et le gouvernement fédéral devraient suivre l'exemple du gouvernement de Tasmanie, qui a mis en place un fonds de cinq millions de dollars pour les « générations volées », et de l'Etat de Victoria, qui a fondé un groupe de soutien pour réunir les familles. « Les personnes qui ont été victimes d'actes criminels ont besoin d'une compensation de la part de la justice », a affirmé Sam Watson. En Tasmanie, ces compensations sont attribuées au cas par cas. Elles ont été accordées pour la première fois en août 2007. Bruce Tevorrow, enlevé à sa famille alors qu'il était enfant, avait reçu 447 000 dollars.
« Je pense que réparation est un mot plus juste que compensation, a déclaré l'archevêque anglican Philip Aspinall. Aucune somme d'argent ne compensera la peine des Aborigènes et le tort qu'ils ont dû subir, néanmoins ces réparations impliquent un dédommagement financier ».
Les Aborigènes sont le groupe social le plus défavorisé en Australie, avec une espérance de vie de 17 ans inférieure à celle du reste de la population. Ils restent très marginalisés avec des taux d'alcoolisme, de chômage, de suicide et de violences domestiques largement supérieurs à la moyenne nationale. Kevin Rudd s'est engagé à ramener, en l'espace d'une génération, l'espérance de vie des Aborigènes au même niveau que celle de l'ensemble des Australiens, et à mettre fin aux formes d'inégalité dont ils souffrent.