Article publié le 14/02/2008 Dernière mise à jour le 14/02/2008 à 14:59 TU
De notre correspondant à Beyrouth, Paul Khalifeh
Journée à hauts risques, ce jeudi 14 février, au Liban. Deux rues antagonistes, chauffées à blanc par des discours guerriers, vont se croiser. Les tensions sont tellement fortes que la moindre friction entre partisans de la majorité parlementaire, soutenue par l’Occident, et l’opposition, appuyée par la Syrie et l’Iran, pourrait dégénérer.
La coalition du 14-Mars au pouvoir organise un grand meeting pour commémorer le troisième anniversaire de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, tué avec 20 autres personnes par l’explosion d’une camionnette piégée, le 14 février 2005. Un attentat imputé à la Syrie par le mouvement du 14-Mars. Pour mobiliser ses partisans, la majorité a utilisé les grands moyens: campagnes d’affichage, spots télévisés, talk-shows, mais aussi discours cultivant la peur du retour de la Syrie au Liban et mettant en garde contre les complots de «l’axe syro-iranien», selon les termes du chef sunnite du 14-Mars, Saad Hariri. «Si l’opposition veut la confrontation, nous sommes prêts à relever le défi», a-t-il dit.
Un autre ténor de cette coalition, le druze Walid Joumblatt, est allé encore plus loin. Il a carrément évoqué un retour à la guerre civile. «Vous voulez le chaos ? Il sera le bienvenu. Vous voulez la guerre ? Elle sera la bienvenue. Nous serions prêts à tout brûler sur notre passage. Notre existence, notre dignité et la survie du Liban sont plus importants que tout. Nous n’avons pas de problème avec les armes, pas de problème avec les missiles. Nous vous les prendrons. Pas de problème avec le martyre et le suicide non plus», a-t-il martelé lundi.
Tous les moyens sont bons
Dans le souci de mobiliser une grande foule afin de faire contrepoids aux manifestations de plusieurs centaines de milliers de personnes, organisées par l’opposition depuis le début de la crise politique, le 1er décembre 2006, Saad Hariri a pratiquement fait du porte-à-porte. Le fils de l’ancien Premier ministre s’est rendu dans le nord du Liban, considéré comme le réservoir sunnite du pays, pour inciter les habitants à participer au meeting du 14 février.
Le point à la mi-journée
L’argent a coulé à flot. En plus des sommes forfaitaires payées aux propriétaires de voitures, bus et autobus qui feraient le plein de passagers, jeudi, Saad Hariri a promis de dépenser 52 millions de dollars pour financer divers projets de développement dans cette région déshéritée du Liban. Fait inhabituel chez les partisans du 14-Mars, chacune de ses interventions télévisées était saluée par de longues rafales de mitrailleuses et des jets de grenades. Une attitude de défiance face au Hezbollah qui possède un arsenal impressionnant d’armes de divers calibres.
La place des Martyrs, lieu de commémoration du 3ème anniversaire de la mort de Rafic Hariri.
(Photo : Wikipédia)
L’échec de toutes les médiations visant à régler la crise politique n’a pas arrangé les choses. La dernière en date a été menée, la semaine dernière, par le secrétaire général de la Ligue arabe. Amr Moussa n’a pas réussi à obtenir l’élection à la présidence du commandant en chef de l’armée. Pourtant, le général Michel Sleimane est le seul candidat consensuel. Mais les négociations entre le 14-Mars et l’opposition achoppent sur la répartition des portefeuilles dans un gouvernement d’union nationale, l’identité du futur Premier ministre, et le nouveau découpage électoral.
Dans cette ambiance survoltée, il n’était pas étonnant que les incidents armés se multiplient entre les partisans des deux camps. Les plus graves se sont produits à Beyrouth, lorsque des coups de feu ont été tirés contre la résidence du président du Parlement, Nabih Berry, également un des chefs de l’opposition. Plusieurs personnes ont été blessées dans des accrochages armés qui ont eu lieu dans la montagne druze et dans d’autres régions du pays.
Les inquiétudes des Libanais sont amplifiées par le fait que le meeting du 14-Mars va être organisé, comme tous les ans, Place des Martyrs, à une cinquantaine de mètres du campement installé depuis le 1er décembre 2006 par l’opposition pour réclamer la démission du gouvernement de Fouad Siniora. Seules des rangées de fils barbelés électrifiés, gardées par des unités de l’armée, séparent les protagonistes.
Le Hezbollah enterre MoughniehEt comme un malheur n’arrive jamais seul, un événement imprévu est venu compliquer une situation déjà inextricable. Le Hezbollah a décidé d’enterrer, pratiquement au même moment, un de ses principaux chefs militaires tué mardi soir à Damas dans l’explosion d’une voiture piégée.
Un portrait d'Imad Moughnieh (non daté) sur les écrans de la chaîne de télévision Al-Manar du Hezbollah.
(Photo : Reuters)
Figure énigmatique du Hezbollah, Imad Moughnieh, 46 ans, était l’un des hommes les plus recherchés de la planète. Traqué par la CIA, le FBI et le Mossad israélien, sa tête mise à prix pour 5 millions de dollars, Imad Moughnieh était entouré d’un grand mystère. Vivant dans la clandestinité depuis près de 20 ans, cet homme clé de la branche militaire du parti islamiste était soupçonné d’implication dans de nombreux attentats anti-américains et anti-israéliens au Liban et ailleurs. Il était également accusé d’être lié aux enlèvements d’Occidentaux dans les années 80 du siècle dernier et au détournement d’un avion de la TWA en Grèce, en 1985. Son nom a aussi été cité dans l’enquête sur l’attentat contre l’ambassade d’Israël en Argentine, en 1992, qui a fait 29 morts et 200 blessés.
Discours de Hassan Nasrallah
« C'est sans doute le discours le plus menaçant que Hassan Nasrallah ait jamais prononcé. »
Les circonstances de son assassinat restent imprécises. Médias et analystes ont très vite fait le lien entre l’explosion, mardi soir, d’une voiture piégée qui a fait un tué à Damas, et l’annonce par le Hezbollah de sa mort, le lendemain. Le parti d’Hassan Nasrallah a immédiatement accusé Israël d’être responsable de l’attentat. L’Etat hébreu a nié, sans faire d’autres commentaires. Un porte-parole du Département d’Etat a pour sa part affirmé que le monde est maintenant «plus sûr» après la mort de Moughnieh.
La disparition de l’un des plus importants chefs du Hezbollah -selon certaines informations, il était le chef suprême de la branche militaire- a provoqué un choc chez les cadres, les militants de base et les sympathisants du parti. Les médias audiovisuels du Hezbollah ont suspendu leurs programmes et diffusé des versets du Coran. Les funérailles seront organisées ce jeudi à 14h30, dans la banlieue sud de Beyrouth. Presque au même moment que le meeting du 14-Mars, mais à l’autre bout de la ville. Le Hezbollah a appelé à une participation passive aux obsèques, au cours desquelles le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, devrait prendre la parole.
Tous les ingrédients sont donc réunis pour une confrontation tant redoutée par les Libanais, et contre laquelle les responsables politiques locaux et étrangers mettent en garde ouvertement depuis plusieurs semaines. Il manque juste l’étincelle. Si les développements dérapent, celle-ci pourrait se produire ce jeudi.
«Les autorités argentines auraient la preuve qu'Imad Moughnieh serait bien passé par leur territoire, juste avant l'attentat de 1994».
Ancien président libanais
Les Libanais vont participer en force à cette manifestation (du 3ème anniversaire de l'assassinat de Rafic Hariri) pour démontrer qu'ils sont déterminés à aller jusqu'au bout pour réaliser les objectifs nationaux et ce sera un acte de foi dans un Liban démocratique et ouvert.
14/02/2008 par Frédéric Rivière