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Arménie

Les urnes, la rue et le jeu de pouvoir

par Piotr Moszynski

Article publié le 03/03/2008 Dernière mise à jour le 03/03/2008 à 17:27 TU

Après onze jours de manifestations de l’opposition arménienne à Erevan, un drame semblait presque inévitable. Il est arrivé dans la nuit de samedi à dimanche. Les affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre se soldent par huit morts (dont un policier) et 131 blessés (dont 72 policiers). L’opposition réclame l’annulation de l’élection présidentielle du 19 février, mais paraît de plus en plus isolée politiquement.

Le Président élu Serge Sarkissian.(Photo : Reuters)

Le Président élu Serge Sarkissian.
(Photo : Reuters)

La présidentielle du 19 février a été gagnée par l’actuel Premier ministre Serge Sarkissian, mais l’opposition rassemblée autour de l’ancien président Levon Ter-Petrossian n’arrive toujours pas à digérer sa défaite, pourtant nette et confirmée par les observateurs internationaux. Selon les résultats officiels, Serge Sarkissian a obtenu 52,8% des voix, Levon Ter-Petrossian 21,5%. Un recours aux fraudes est toujours possible, mais il aurait dû être vraiment massif pour falsifier le résultat au point de faire gagner le candidat gouvernemental avec deux fois plus de suffrages que son principal rival. Or l’opposition ne dispose pas de preuves de fraudes particulièrement massives. Au contraire, au grand dam des adversaires de Serge Sarkissian, les observateurs de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) ont trouvé l’élection « dans l’ensemble conforme aux engagements internationaux ».

Arménie, Russie, même combat ?

Pour un observateur extérieur, la situation politique en Arménie pourrait paraître semblable, dans les grandes lignes, à celle que connaît la Russie. Voilà un président, Robert Kotcharian, qui – comme Vladimir Poutine – ne pouvait plus se représenter pour le même poste après deux mandats consécutifs et qui ambitionne de continuer à régner sur son pays en devenant un influent Premier ministre. Tout comme Dmitri Medvedev – qui reste 1er vice-Premier ministre jusqu’à son investiture présidentielle le 7 mai prochain – l’actuel Premier ministre arménien Serge Sarkissian a gagné les élections, mais doit attendre la passation de pouvoir encore quelques semaines. Et tout comme Medvedev, il doit surtout se poser beaucoup de questions sur sa marge de manœuvre dans l’exercice de ces pouvoirs et sur les relations futures avec son prédécesseur.

Cela dit, les ressemblances s’arrêtent là. Le vainqueur de l’élection présidentielle en Arménie est très loin d’avoir obtenu un score rappelant les exploits des dirigeants soviétiques. Il a en face de lui une opposition nombreuse, bien organisée, capable de mener des manifestations de rue de longue durée et rassemblée autour d’un homme politique expérimenté et populaire. Et surtout, il ne peut pas compter sur un soutien infaillible du président sortant qui risque de devenir son Premier ministre. Il est vrai que les deux hommes se connaissent de longue date et Robert Kotcharian – bien que déclaré « sans parti » - soutient le parti libéral HHK dont Serge Sarkissian est le chef. Il est également vrai que l’élection de Sarkissian confirme que le clan des natifs du Nagorny Karabakh, région orientale objet du conflit avec l’Azerbaïdjan – dont Kotcharian fait aussi partie – domine complètement la vie politique arménienne. Néanmoins, selon la presse russe, Robert Kotcharian traite son successeur avec une « pitié méprisante ». Contrairement à la Russie, la question de la coopération ou du combat pour la position dominante entre les nouveaux maîtres de la scène politique pourrait donc ne même pas se poser. Cela risque d’être le combat. Et Kotcharian semble avoir remporté la première manche.

La lutte continue

L'ancien président, Levon Ter-Petrossian.(Photo : AFP)

L'ancien président, Levon Ter-Petrossian.
(Photo : AFP)

En tout cas, en instaurant l’état d’urgence après les affrontements entre les supporters de Levon Ter-Petrossian et la police envoyée par Serge Sarkissian, Robert Kotcharian pourrait arriver à affaiblir les positions des deux et devenir – si ses ambitions se confirment – un Premier ministre vraiment puissant. En effet, la situation actuelle empêche Levon Ter-Petrossian de continuer à se prévaloir d’une « révolution démocratique » ou d’une « révolution en gants blancs ». En même temps, cette situation met en cause la capacité du nouveau président à résoudre les crises de grande ampleur.

Toutefois, le président élu – qui dirige toujours le gouvernement – est en train de jouer, assez habilement, une autre manche de ce jeu. Le problème immédiat est pour lui de neutraliser les opérations de l’opposition qui visent à le déstabiliser. Il a déjà réussi à rallier un des leaders clés de l’opposition, Artour Bagdassarian du parti Etat de Droit, arrivé troisième à la présidentielle, en lui proposant un poste très important – celui de secrétaire du Conseil de sécurité auprès du président. Par ailleurs, un accord pourrait bientôt être conclu entre Sarkissian et un autre opposant, Vagan Ovannissian, leader du parti nationaliste Dachnaktsoutioun. Si le président élu réussissait ce coup de maître, Levon Ter-Petrossian et ses partisans se retrouveraient isolés. Serge Sarkissian vient également de s’assurer le soutien de l’Eglise orthodoxe arménienne. Son chef a appelé les deux côtés du conflit à la retenue, mais a très clairement critiqué les actions de l’opposition en affirmant que « les manifestations et les marches n’étaient pas la meilleure façon de contester les résultats de l’élection ».

Paralèllement, une quinzaine d’opposants ont été arrêtés juste après les heurts avec la police et deux députés soutenant l’opposition ont été interpellés pour « tentative de prise de pouvoir ». Levon Ter-Petrossian lui-même reste assigné à résidence. En surface, le calme règne donc à Erevan, mais en coulisses la lutte pour le pouvoir continue. Et elle pourrait encore changer de configuration si un besoin de nomination d’un Premier ministre de compromis – comme Artour Bagdassarian ou Vagan Ovanissian – se faisait sentir.